Ce sont les officiers du Service de Santé des Colonies qui, les
premiers, exercèrent la médecine dans les territoires de la France d'outre-mer.
Certes, avant eux, les médecins et chirurgiens de la Marine avaient prodigué leurs
soins aux populations autochtones, mais le plus souvent occasionnellement, dans
les agglomérations côtières seulement. Aussi l'on peut dire que l'étape
décisive de l'organisation et du développement de notre œuvre sanitaire
outre-mer date de la création du corps des officiers du Service de Santé des
Colonies (décret du 7 Juillet 1890), qui fut rattaché aux troupes coloniales —
ministère de la Guerre — dès juillet 1900.
A peu près dans le même temps (en 1901 à Madagascar et en
Indochine, en 1905 en A. O. F.), des médecins civils recrutés pour constituer les
cadres locaux d'assistance médicale vinrent renforcer l’action des médecins des
troupes coloniales. Mais le nombre de ceux-ci devait toujours l'emporter et de
beaucoup, approximativement dans la proportion de 9 à 10 pour 1. Plus tard
encore, les besoins du Service de Santé étant toujours supérieurs aux possibilités
des effectifs mis à sa disposition, il devint nécessaire d'engager par contrat
des médecins civils.
Une autre étape importante fut celle de la création des
écoles de médecine locales (à Madagascar en 1896, en Indochine en 1902, en A. O.
F. en 1918, au Cameroun en 1932), qui, en fournissant les précieux auxiliaires que
sont les médecins autochtones, marquait le début de la participation au Service
de Santé de l'élément local.
Les médecins exerçant à titre privé étaient et sont encore
très rares outre-mer. On ne les trouve guère que dans les grandes villes :
Hanoi, Saigon, Tananarive, Dakar …
Dans ses débuts, le Service de Santé outre-mer limita son action
aux soins curatifs dans les formations sanitaires fixes. Mais, dès 1925, la
création de circonscriptions médicales, l'institution des services de
consultations foraines à jours fixes, puis l'organisation des groupes mobiles
devaient permettre de dépister et traiter les malades dans les coins les plus
reculés des territoires.
Une nouvelle et grande étape fut franchie le 15 juin 1944
par la création des « services mobiles d'hygiène et de prophylaxie »
décidée à la Conférence de Brazzaville. Destinés à lutter contre les maladies endémo-épidémiques
et sociales, ces organismes, qui disposent de centres de traitement spécialisés
(hypnoseries, léproseries ...) sont dotés de moyens puissants aussi bien
en personnel qu'en matériel et véhicules. Leur caractéristique essentielle est
la mobilité qui permet de porter leurs efforts, dans des délais très brefs, en
un point quelconque où sévit une épidémie ou qui en est seulement menacé.
Doté de formations sanitaires fixes pour la médecine
curative et d'organismes orientés vers la médecine de « masse » et la
prophylaxie, on peut dire que le Service de Santé a atteint le but qui lui
était assigné, à savoir la protection de la Santé publique outre-mer.
Pour l'atteindre, deux moyens sont mis en œuvre : assurer
la sécurité sanitaire des territoires d'outre-mer, accroître les moyens de
traitement et de guérison des malades.
La sécurité sanitaire des territoires d'outre-mer est
assurée par les services d'hygiène mobile et de prophylaxie qui ont su sinon
supprimer, du moins enrayer et contenir les fléaux sociaux. Les premiers
résultats encourageants et les plus beaux aussi, ont été obtenus, sans
conteste, dans la lutte contre la maladie du sommeil (trypanosomiase). Cette
affection, qui sévissait en faisant de grands ravages, a été l'objet d'une
lutte intensive, d'abord au Cameroun, par le médecin colonel Jamot et son
équipe. Parfait organisateur qui sut obtenir les moyens nécessaires à son
action, les résultats qu'il obtint furent si remarquables que tout ce qui a été
entrepris en ce domaine par la suite n'a été que la continuation et l’amplification
de son œuvre.
Cette même lutte s'est étendue, basée sur les mêmes
principes — ou à peu près — en A. O. F., en A. E. F., au Togo. L'indice moyen
de contamination, qui était de 2,7 en 1937, est descendu nettement au-dessous
de l’unité et, dans certaines régions, aux environs de 0,35.
Les services d'hygiène mobile et de prophylaxie n'ont pas comme
seul but la lutte contre la maladie du sommeil. Leur objectif s'étend à la
fièvre jaune, la variole, la lèpre, la syphilis, la tuberculose ... en un
mot toutes les maladies endémo-épidémiques et sociales. La fièvre jaune — autrefois
si redoutée par la soudaineté de l'attaque des épidémies qu'elle déclenchait et
le caractère dramatique des symptômes de la maladie —, la variole, responsable
de tant de décès et d'infirmes, ont pratiquement disparu grâce aux vaccinations
rendues obligatoires dans toute l’Afrique noire.
Si le Service de Santé outre-mer porte de plus en plus son
action vers la médecine prophylactique et de « masse », il n'en
délaisse pas pour autant la médecine individuelle et curative.
Dans toute agglomération d'une importance moyenne, existe
une formation sanitaire de médecine et de chirurgie générale, ce qui, en
pratique, donne à tous, qu'ils soient urbains ou ruraux, la certitude qu'ils
trouveront à leur portée les soins que nécessite leur état.
A un échelon supérieur, généralement les chefs-lieux des
territoires, on trouve en outre les services de spécialités.
Un effort particulièrement important a été porté sur la
protection de la mère et de l'enfant. Depuis ces dernières années, les
maternités se sont multipliées, ainsi que les consultations prénatales,
postnatales et de nourrissons.
En ce domaine de médecine individuelle comme dans le
précédent, la Santé publique a obtenu des résultats remarquables.
Et cependant il n'est que de parcourir une carte de l'un
quelconque de nos territoires, d'y marquer les points d'implantation des
formations sanitaires, d'y tracer les rayons d'action des médecins qui y sont
affectés, pour s'apercevoir que les uns et les autres sont encore en nombre insuffisant :
— insuffisantes les formations sanitaires pour recevoir les
malades ;
— insuffisant le nombre des médecins pour la tâche qui leur
est demandée.
Les formations sanitaires qui, au début, pouvaient suffire
aux besoins de l'hospitalisation, sont devenues très vite trop petites du fait
du succès de la médecine française. Grâce aux efforts budgétaires des
territoires, elles ont été agrandies et modernisées ; de plus,
l'institution du Fonds d'investissement pour le développement économique et
social (F. I. D. F. S.) a, ces dernières années, donné une impulsion nouvelle
aux constructions sanitaires. Déjà plusieurs formations dotées des
perfectionnements les plus modernes sont réalisées ou en voie de l'être ;
d'autres sont encore à l'état de projet.
Les effectifs sont devenus insuffisants du fait du
développement des services sanitaires ; pour pallier à ce déficit
temporaire, les gouvernements locaux ont augmenté, dans la mesure du possible,
le nombre des médecins contractuels en faisant surtout appel aux jeunes
praticiens sortant des Facultés, non encore établis en France, et qui
reculaient devant une installation souvent trop onéreuse ou se trouvaient être attirés
par la médecine tropicale.
Par ailleurs, plusieurs médecins africains sortis de l'École
de médecine et de pharmacie de Dakar avaient obtenu des gouvernements locaux
des bourses d'études leur permettant d'accéder au diplôme d'État dans une
Faculté métropolitaine.
Récemment — en 1950 — un Institut des Hautes Études a été
créé à Dakar, au sein duquel se trouve une école préparatoire de médecine, qui
permet aux étudiants africains de commencer, chez eux, les études médicales en
vue de l'obtention du diplôme d'État. Ces éléments autochtones, titulaires des
mêmes diplômes que les médecins du Corps de Santé colonial ou de l'Assistance
médicale, viendront, dans un avenir proche, renforcer leurs rangs.
En conclusion, nous dirons que les résultats obtenus dans le
domaine de la santé publique outremer, aussi satisfaisants qu'ils soient, sont
loin d'avoir atteint leur plafond. L'œuvre à accomplir est immense, mais ce qui
a été acquis, dans des circonstances souvent difficiles, est le plus sûr garant
de la réussite souhaitée.
N. B. — Le Corps de santé colonial se recrute par les
écoles de médecine navale de Bordeaux et de Santé militaire de Lyon. Il y a un
très grand nombre de bourses complètes d'internat qui permettent aux étudiants
dépourvus de moyens financiers d’arriver.
Victor TILLINAC.
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