A plus de 2.800 mètres d'altitude et à 450 kilomètres à
l'heure au cours d'un vol de nuit, le « moyen courrier » vient de
quitter, tout ruisselant, le front d'orage rencontré sur la France et la Belgique ...
Alors, comme si un voile s'était brusquement déchiré ...
une féerique vision s'offre à la vue des trente-six passagers, qui s'écrasent
littéralement aux larges hublots du bimoteur.
Nous devinons, là-bas, à gauche, la mer du Nord. Sous nos
ailes Rotterdam, puis Utrecht. Ces villes brillamment illuminées se détachent
avec une netteté extraordinaire, tandis que le puissant réseau d'autostrades
hollandais forme un immense tracé rectiligne de guirlandes lumineuses et
multicolores ... La lune baigne d'une douce clarté les immenses champs de
tulipes ; c'est un spectacle d'une rare intensité.
Mais voici que le bimoteur a amorcé la descente, il fonce en
un léger piqué vers Amsterdam ... Amsterdam ! ... la « Venise
du Nord », qui se déploie, elle aussi, en une féerie lumineuse.
A 300 mètres d'altitude, nous effectuons pleins gaz un
majestueux virage en bordure de la capitale hollandaise pour prendre la piste.
Schiphol ! ... Volets sortis, moteurs au ralenti,
nous venons de nous poser avec une douceur stupéfiante sur le second aéroport
d'Europe, le troisième du monde ! ... Il est 23 h. 15 exactement ;
une activité fébrile règne dans les divers services et dans les immenses
hangars et ateliers où l'éclairage au néon est roi ! ...
Accueil hollandais ... délicieux et inoubliable, avec
beaucoup de grâce et une fierté légitime, les responsables de l'aviation
commerciale hollandaise me permettront, au cours de mon séjour, de prendre
contact avec Schiphol.
Le second aéroport d'Europe.
— Nation de marins et de commerçants, la Hollande, dès 1919,
eut l'intuition des possibilités de l'aviation commerciale. Les premiers pas de
cette dernière furent timides, mais, à la veille de la guerre, Amsterdam était
reliée à toutes les principales villes d'Europe.
Démantelée par l'Allemagne pendant l'occupation, la
Compagnie nationale néerlandaise de navigation aérienne (K. L. M.) connaît,
depuis la fin des hostilités, un redressement et un essor prodigieux. Décollant
uniquement de Schiphol, plus de cent avions « long-courrier ou
moyen-courrier » desservent cinq continents et pratiquement toutes les
capitales du monde.
A ces avions, viennent s'ajouter ceux de plusieurs
compagnies étrangères qui y font escale.
La moyenne quotidienne de départs et d'arrivées à Schiphol
dépasse la centaine. Pratiquement sans arrêt, une des immenses pistes est
utilisée par un avion qui décolle, un autre qui se pose, au rythme réglé par la
tour de contrôle.
Toutes les dix minutes, de puissants haut-parleurs diffusent
parmi le vrombissement des moteurs la voix claire de la speakerine polyglotte
qui dirige les passagers sur l'aéroport vers les avions, les cars et les autos,
en langues : française, tchèque, danoise, norvégienne, allemande,
suédoise, anglaise, espagnole, portugaise et néerlandaise.
Ainsi, du fait de la concentration des départs et des
arrivées sur ce seul aéroport hollandais, Schiphol est devenu le second
d'Europe après Kestrup au Danemark.
Pistes et hangars.
— Schiphol possède d'immenses pistes bétonnées. La plus
importante mesure 2km,300 de longueur et 60 mètres de large. Près d'un million
de mètres cubes de pierres, de sable, de ciment et d'asphalte ont été
nécessaires pour édifier cette seule piste. Elle peut recevoir des avions de
100 tonnes. Orientée nord-est sud-est, elle comporte, tous les 25 mètres, un balisage
lumineux.
L'accroissement considérable du trafic aérien et du nombre
d'avions posait aussi un autre problème à Schiphol : celui des hangars.
Depuis la libération, quatre nouveaux hangars ont été édifiés. Sans avoir
l'ampleur de ceux que l'on peut voir en Amérique, ils n'en sont pas moins de
très grandes dimensions.
Un des derniers-nés présente beaucoup d'astuces dans sa
réalisation. En effet, sans égaler en longueur l'envergure d'un « Constellation »,
il lui est cependant possible de l'héberger complètement.
Ce type de hangar a été dénommé « hangar à carlingue ».
Il est doté des derniers perfectionnements modernes en chauffage, éclairage,
lutte contre le feu et aussi en matériel de manutention pour l'inspection ou le
démontage des moteurs.
Ce hangar, invention néerlandaise, suscite à l'étranger un
vif intérêt.
D'autres immenses hangars sont en projet de construction ;
à Schiphol ; ils permettront d'abriter les tout derniers géants du ciel.
Les installations techniques.
— La section des moteurs à Schiphol est fort importante.
Elle dépend entièrement de la K. L. M. Trois cent cinquante techniciens y sont
constamment occupés. Les efforts accomplis dans ces ateliers et la conscience
professionnelle qui y règne sont bien connus des milieux aéronautiques. Certaines
compagnies étrangères font réviser leurs moteurs à Schiphol.
Ces ateliers aux conceptions et à l'outillage modernes
couvrent plus de 2.500 mètres carrés. Dix moteurs peuvent être révisés
simultanément par dix équipes de spécialistes.
Aucun moteur ne quittera les installations de Schiphol, même
pour les révisions les plus complètes. Une gamme d'opérations est prévue pour
ces révisions ; chaque section spécialisée prendra en charge le moteur et
assumera la responsabilité des travaux qui lui incombent ...
Une ultime vérification : des « points fixes »
au banc d'essais ... Si elle est satisfaisante, le moteur est remonté sur
l'avion pour la vérification finale en vol.
Ultra-modernes encore les services techniques et de
laboratoires chargés de l'entretien et de la vérification des multiples
instruments de bord dont sont équipés les avions multimoteurs actuels.
Des appareils indicateurs et enregistreurs de haute
précision et des microscopes puissants y sont au service de techniciens
spécialisés.
Dans toutes les installations visitées, la propreté
méticuleuse et traditionnelle des Hollandais se manifeste.
L'aérogare.
— Cette dernière est certainement une des plus vastes et des
plus somptueuses qui soient au monde. De construction très récente, un souci de
luxe inouï semble avoir présidé à ses aménagements : immense salle de
réception compartimentée en divers services (douane, police, renseignements,
etc. ...), salons d'attente au confort inouï, bar et salle de restaurant
dignes des plus grands palaces de nos Champs-Élysées. De larges baies vitrées,
face à la piste principale d'envol, permettent aux voyageurs de contempler
l'extraordinaire activité qui règne, jour et nuit, à Schiphol. A la belle
saison, une multitude de petits parasols s'épanouissent sur une esplanade face
à l'aire d'embarquement. Le service hôtelier est aussi à la mesure de
l'aérogare. Dans une cuisine immense, quatre équipes de vingt personnes
travaillent sans arrêt à préparer les spécialités hollandaises. Deux immenses
frigidaires les conservent en attendant l'heure de l'embarquement. Annexée à la
cuisine se trouve la pâtisserie occupant plus d'une dizaine de spécialistes
réputés. Quelques chiffres donneront une idée du travail fourni chaque jour par
le service hôtelier : 3.000 petits gâteaux, 3.000 sandwiches, 300 litres
de café, plus de 1.500 repas froids ou susceptibles d'être réchauffés à bord
des avions.
Tous les cuisiniers employés à Schiphol doivent évidemment
connaître leur métier à fond et pouvoir s'exprimer en une ou plusieurs langues
étrangères. Sans quitter son bureau, grâce à un système de haut-parleurs, le chef-cuisinier
peut passer ses ordres à tout le personnel.
Ainsi m'est apparu Schiphol, à 12 kilomètres au sud-est
d'Amsterdam ...
Utilisé par les voyageurs de toutes les nations du globe et
orgueil des Hollandais, ceux-ci s'y pressent en foule le dimanche près des
parterres aux tulipes multicolores ; heureux et fiers, ils assistent au
perpétuel carrousel aérien qui y règne.
Maurice DESSAGNE.
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