L'emploi d'avions de transport équipés de turbo-propulseurs
ou même de turbo-réacteurs n'est plus qu'une question de temps. Déjà, les
grandes compagnies aériennes se préoccupent des conditions d'utilisation de ce
nouveau matériel.
Jusqu'à présent, les constructeurs ont cherché, dans la
conception de leurs prototypes, un compromis entre les possibilités pratiques
d'exploitation et de très hautes performances, ce qui se traduit par le rejet
de caractéristiques révolutionnaires. Les prototypes actuels sont assez proches
des appareils classiques, notamment en ce qui concerne la charge alaire. Le
plus évolué de ces prototypes, le « Comet », peut utiliser tous les
grands aérodromes existants. Mais l'avenir verra, sans doute, des appareils
d'une plus grande finesse, dont les vitesses de croisière encore plus élevées
permettront une exploitation plus économique ; mais, comme les vitesses
d'atterrissage croîtront proportionnellement, il deviendra nécessaire
d'augmenter les dimensions des terrains.
L'emploi de certains dispositifs évitera, dans une large
mesure, cette coûteuse solution. Les fusées Jato, largement utilisées sur les
appareils militaires, en sont un exemple. De même, l'injection d'un mélange eau-méthanol
donne une surpuissance qui permet de réduire considérablement le roulement au
décollage. En ce qui concerne l'atterrissage pour les appareils équipés de turbo-propulseurs,
les hélices à pas réversible fournissent une solution facile. Les appareils
munis de turbo-réacteurs emploieront sans doute les parachutes-freins.
Quelques problèmes annexes sont liés aux aérodromes. Des
pistes en béton deviennent indispensables, car l'asphalte fond rapidement sous
le souffle d'un réacteur. Des essais ont été faits avec un « Meteor » ;
la température de la surface de la piste atteignit rapidement 400°, ce qui pose
un nouveau problème de sécurité : le personnel ou les passagers, on s'en
doute, doivent éviter de passer derrière un réacteur en marche. A 15 mètres
derrière l'avion, le souffle atteint 80 mètres-seconde et 75°. Il est vrai
qu'en revanche l'absence d'hélices permet de travailler facilement près des
moteurs à plein régime. Enfin, la consommation durant le roulement au sol étant
trop élevée, il deviendra presque indispensable de remorquer les appareils des
hangars ou de la gare aérienne jusqu'aux pistes d'envol.
Mais la question la plus difficile à résoudre est celle du
contrôle du trafic sur les aéroports encombrés, en particulier lorsque avions
classiques et transports à réaction s'y trouvent ensemble. En raison de leur
consommation très élevée, les avions à réaction doivent atterrir aussi
rapidement que possible. La pratique actuelle de l'attente, à une altitude
déterminée, en cas d'encombrement du terrain, est pratiquement inacceptable. Un
quadriréacteur étudié par Boeing a besoin de 9 tonnes de combustible pour
disposer d'une marge de sécurité d'une demi-heure, alors que 5 tonnes d'essence
suffisent à un « Stratocruiser » ; 9 tonnes représentent
sensiblement la charge payante. Remarquons que les appareils équipés de turbo-propulseurs
s'accommodent mieux de ce système de « stacking », car ils volent
économiquement avec un ou deux moteurs stoppés.
Faudra-t-il donner la priorité aux appareils à réaction
descendant à 700 à l'heure de leur route à 10.000 mètres d'altitude, tandis que
les avions classiques tourneront autour du terrain ? On peut espérer que
les retards sur les horaires et, par conséquent, l'attente au-dessus des
aéroports diminueront avec l’amélioration constante du vol sans visibilité et
du contrôle au sol. Mais le problème est loin d'être résolu.
La difficulté d'adapter les avions modernes au contrôle
rigide du trafic, en cours de vol, est du même ordre. Sur tous les grands axes
mondiaux, des altitudes de route sont fixées arbitrairement pour éviter les
collisions. Mais les avions à réaction, pour conserver une vitesse constante,
doivent monter au fur et à mesure que le combustible consommé diminue leur charge.
Garder une altitude préétablie signifie diminution de rendement.
Les appareils de transport de demain voleront entre 9.000 et
12.000 mètres. Les connaissances météorologiques actuelles permettent-elles
d'utiliser ce nouveau matériel dans des conditions de sécurité et d'économie
satisfaisantes ? Aujourd’hui, les vents sont connus à une altitude de
12.000 mètres, à 20 nœuds près. Un vent debout de 20 nœuds correspond à une
augmentation de consommation de 4 p. 100, soit huit minutes de vol sur 3.000
kilomètres. Sur l'Atlantique Nord, l'approximation atteint 24 nœuds (44 km./h.),
alors que pour une utilisation véritablement rentable elle ne doit pas dépasser
10 nœuds (18 km./h.).
Un autre problème apparaît. Le rendement des réacteurs ou turbo-propulseurs
est étroitement lié à la température ambiante, et les compagnies réclament une
prévision à 5° C près en altitude ; alors que les moyens actuels ne
permettent qu'une approximation de 15° C. Un très grand effort doit être
accompli dans le domaine de la prévision météorologique pour l'exploitation
rationnelle des nouveaux appareils.
Il faudra également tenir compte de certains vents violents
rencontrés parfois entre 10.000 et 12.000 mètres et sur lesquels on manque de données
statistiques. A ces altitudes, les appareils à réaction éviteront généralement le
mauvais temps. Un radar pour la détection des orages peut être installé surtout
pour les vols de nuit. Le « Comet » est maintenant muni d'une telle
installation d'un poids réduit à 35 kilos.
Les changements de route ou d’altitude doivent être très rares.
Il faudra des vents debout exceptionnels pour justifier une diminution
d'altitude. On pourra admettre a peine 1.500 mètres, si le vent debout atteint 90
kilomètres-heure.
Pratiquement, l'appareil sera plutôt dérouté ou augmentera
son altitude, car le vol à haute altitude est une nécessité sur les appareils à
réaction, si l'on veut compter avec une consommation acceptable. En
particulier, les avions déroutés regagnent l'altitude de croisière normale pour
atteindre le nouvel aérodrome, plutôt que continuer leur vol à basse altitude.
Armand AVRONSART.
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