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Chasse au gibier d'eau

La tolérance des 30 mètres

La saison de chasse sera close quand paraîtront ces lignes écrites en mars, et deux ou trois mois, suivant les régions, devront s'écouter encore avant que ne s'ouvre la prochaine. Mais, avant celle-ci (ouverture au marais j'entends), il n'est pas superflu de dire quelques mots de cette question qui, au cours de la saison dernière, a fait naître tant de protestations et couler tant d'encre pour dire, souvent, des bêtises et induire les chasseurs en erreur. Même de la part des fédérations.

On a dit que la tolérance de 30 mètres pour la chasse du gibier d'eau en bordure des rivières, fleuves, étangs et marais avait été supprimée et qu'on ne pouvait, de ce fait, chasser que dans l'eau, quand sa profondeur le permettait, ou en bateau dans le cas contraire. Il était, ainsi, interdit de chasser en suivant les bords sur la terre ferme. Ceci, parce qu'aucune mention à ce sujet ne figurait, comme précédemment, dans l'arrêté ministériel et les arrêtés préfectoraux relatifs à l'ouverture et à la fermeture de la chasse. Du coup, les chasseurs de sauvagine se sont émus et ont protesté, car il paraissait illogique en effet d'autoriser d'un côté une chasse qu'en fait la plupart des chasseurs ne pouvaient, de l'autre, pratiquer. Car tout le monde n'a pas un bateau ; on ne peut non plus aller en bateau partout, car il est des fleuves et des rivières dont le lit et le courant sont trop irréguliers pour permettre la chasse en barque. Des contraventions, — très peu, heureusement — ont même été dressées par des gardes ou des gendarmes un peu trop zélés. Il n'en fallait pas plus pour faire grand bruit parmi la corporation des coureurs de marais et de rivières.

Et tout cela pour rien, et sans raison. La loi sur la chasse — notre vieille loi de 1844 — limite en effet les droits de l'autorité publique : ministres, préfets, maires, en ce qui concerne la réglementation de la chasse. Le ministre et les préfets ont le droit de fixer le temps, c'est-à-dire l'époque, pendant lequel la chasse pourra être pratiquée : ouvertures anticipées ou fermetures retardées, suivant les régions, dictées par le souci de la protection des oiseaux. Les maires eux-mêmes ont le pouvoir de prendre certaines mesures touchant la sécurité des habitants ou la protection des récoltes. Mais aucun ne peut s'arroger plus de droits que ne lui en donne la loi.

On l'a bien vu durant la guerre, lorsqu'un arrêté limite l'exercice de la chasse à certains jours de la semaine, les autres étant considérés comme temps prohibé. Cet arrêté était illégal, car un arrêté, même d'un ministre, ne peut modifier une loi. Or la loi de 1844 permet la chasse tous les jours pendant la saison et si le ministre, ou les préfets, ont le pouvoir de fixer le « temps » où la chasse est permise, c'est-à-dire les dates d'ouverture et de fermeture, ils ne peuvent aller au delà sans commettre un abus de pouvoir.

C'est pourquoi, certain chasseur, condamné en correctionnelle pour chasse un jour soi-disant prohibé, puis débouté en appel, trouva un avocat assez malin pour porter l'affaire jusqu'en Conseil d'État, qui lui donna raison en le relaxant des poursuites et en déclarant nul l'arrêté en question. Il ne fut plus question, les années suivantes, de cette restriction dans les arrêtés sur la chasse.

Ce n'est pas que j'approuve loin de là, cette faculté, laissée aux chasseurs par la loi, de poursuivre le gibier tous les jours que le bon Dieu a faits jusqu'à extermination complète. Et, puisqu'on nous promet — depuis des années — cette fameuse loi sur la réorganisation de la chasse, laquelle dort toujours, la pauvre, dans de poussiéreux cartons, il faudrait bien qu'elle édicte cette mesure absolument indispensable sans se préoccuper des intérêts particuliers : trois jours de chasse par semaine, au maximum, fixés par la loi, sauf pour le gibier d'eau, qui, en raison de sa nature foncièrement migratrice, pourrait être chassé tous les jours. Et qu'on ne vienne pas alléguer les impossibilités des uns ou des autres travaillant les jours où la chasse est permise et pouvant être libres un jour ou elle est interdite. Il y a belle lurette que les jours de chasse sont limités — souvent un ou deux seulement par semaine — dans les chasses privées et je connais même des chasses communales où cette réglementation existe depuis longtemps ; et personne ne s'en plaint.

Mais ceci est une autre histoire et j'ai dévié de la question qui nous occupe aujourd'hui. La tolérance des 30 mètres ne figure donc plus sur les arrêtés. Cela ne veut pas dire qu'elle ait été supprimée. C'est uniquement parce qu'elle n'était pas légale.

Et, à l'appui de cette thèse que j'ai soutenue toute cette saison passée chaque fois que la conversation entre chasseurs mettait la question sur le tapis, vient de paraître récemment, dans le numéro 54 de janvier 1951 de La Sauvagine — organe des chasseurs de gibier d'eau — une réponse faite à cette association par l'administration des Eaux et Forêts qui dissipe toute équivoque. La voici, en toutes lettres, pour ceux des lecteurs du Chasseur Français qui ne seraient pas membres de l'A. H. C. G. E. (Association de Huttiers et Chasseurs de Gibier d'Eau) :

« La chasse au gibier d'eau sur les lacs, étangs, fleuves, rivières, canaux et réservoirs, ainsi que dans les marais non desséchés, est ouverte le ...

» Par ailleurs, aucune disposition n'est prévue en ce qui concerne l'autorisation de chasser le gibier d'eau à une certaine distance des étendues d'eau.

» En effet, si la loi permet au ministre de fixer le temps pendant lequel il est permis de chasser le gibier d'eau, il ne lui est pas permis, légalement, d'étendre cette faculté à des parties du sol autres que celles nommément spécifiées dans la loi, bien que certains oiseaux puissent accidentellement s'y rencontrer.

» On s'accorde toutefois à reconnaître que l'autorisation doit s'étendre aux berges de rivières, cours d'eau, etc., car il serait dérisoire d'accorder une faveur et en même temps d'enlever aux intéressés la possibilité d'en profiter.

» Il est donc admis que la chasse peut avoir lieu non seulement sur l'eau, en barque ou en nacelle, mais encore sur les bords, à la condition de ne point s'éloigner à une trop grande distance dans les terres.

» Il suffit, pour que les chasseurs soient en règle, qu'ils se maintiennent à une distance assez rapprochée du cours d'eau pour qu'on ne puisse pas les soupçonner de chercher autre chose que du gibier d'eau.

» C'est là une question de fait laissée à l'appréciation des tribunaux. »

Voici donc la question résolue. Vous pourrez donc, sauvaginiers mes frères, sauf modification apportée, d'ici la prochaine saison, à la loi sur la chasse, continuer à parcourir, sans trop vous en éloigner, bords de rivières et d'étangs, à la poursuite des canards, râles, bécassines et autres oiseaux avec lesquels je vous demande de ne pas confondre les lièvres et perdreaux que vous pourriez rencontrer sur les lieux de vos exploits.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 323