Une amie très chère m'écrivait récemment pour me prier de
lui dire le nom d'un petit oiseau qui lui avait rendu visite sur sa fenêtre à
plusieurs reprises. Elle me le décrivait tout vêtu de gris et coiffé de velours
noir. Et j'étais bien obligée de lui répondre que sa description s'appliquait
avec une exactitude égale à deux des petits commensaux ailés de nos jardins :
la fauvette à tête noire et la mésange nonnette.
Pareillement vêtues de gris, plus foncé sur le dos, plus éclairci
à la partie inférieure, toutes deux sont coiffées de noir ; cependant elles
sont si différentes de taille, d'allure, de voix, de genre de vie et de
nidification que, lorsqu'on les connaît, la seule idée qu'elles puissent être
confondues paraît invraisemblable.
Beaucoup plus grande que la nonnette, la fauvette à tête
noire reste cependant en toute vérité un « petit oiseau ». De la taille,
à peu près, du chardonneret, plus petite que le pinson. Elle porte crânement
enfoncée sur les yeux une toque noire un peu ébouriffée. L'autre est toute,
toute petite ; à l'exception du roitelet et du troglodyte, un de nos plus
petits oiseaux. Svelte et bien lissée dans toute sa personne, sa calotte noire
s'amincit en pointe sur la nuque. Preste, vive, agitée, elle donne invinciblement
l'idée d'une souris ailée. Excellent acrobate, comme toutes les mésanges, elle
se suspend aux branches, la tête en bas, s'agrippe aux troncs d'arbre, pénètre
dans les trous, furette partout et ne dédaigne pas de descendre à terre lorsque
quelque chose éveille son intérêt ou sa curiosité. Elle n'est nullement sauvage
et la présence de l'homme ne sait pas l'effrayer. Elle s'approche de nos
habitations et même parfois y pénètre, ce qui me permet d'affirmer en toute
sûreté à mon amie le nom de sa petite visiteuse.
Il est exceptionnel, en effet, qu'à pareil exploit se livre
la fauvette. Cela lui arrive cependant parfois à ma connaissance, mais, réservée
et discrète, c'est à la cime des grands arbres et dans l'épaisseur du feuillage
qu'elle a coutume de passer sa vie à la chasse aux insectes et aux menues
chenilles. Tout au plus, pour descendre à terre, se laisse-t-elle quelquefois
tenter par l'irrésistible attrait des fraises mûres ou par les pressantes
nécessités de la construction de son nid. Mais si elle échappe d'ordinaire à
nos regards, sa belle voix, aux roulades éclatantes et pures, nous avertit de
sa présence. Si forte, si claire, que les profanes l'attribuent souvent au
merle ou même au rossignol. C'est, de mars à juillet, un de nos meilleurs chanteurs.
La nature n'a pas doté sur ce point la nonnette d'une
attraction égale. Il faut les journées amoureuses du printemps pour qu'elle se
hasarde à faire entendre quelque chose qui ressemble à un chant — et quel chant !
Une succession de sons aigres et criards, assez brève, d'ailleurs,
heureusement.
Mais ce qui lui manque du côté de l'harmonie est compensé en
partie par l'ardeur qui la pousse à témoigner par ses cris de tous ses
sentiments. Elle vaut le geai comme avertisseur de tout le peuple ailé. L'épervier
apparaît-il à l'horizon, ou bien quelque chat en maraude se glisse-t-il, malgré
la présence du chien, dans l'allée la plus écartée du jardin ? Notre
nonnette en donne la première l'avertissement et, quand tout le chœur d'effroi
des divers oiseaux retentit à l'unisson, son cri strident et roulé le domine
encore, étouffant les tac-tac-tac peureux de la fauvette blottie au
profond des fourrés.
Rien ne l'effraye. Je l'ai vue, pour atteindre la nourriture
placée sur la fenêtre à son intention et à celle de ses congénères, voler
au-dessus du chat, tapi sous une marche de l'escalier, dans l'espoir d'attraper
un de ces pauvres affamés que la neige nous amène, à grand renfort de cris,
cela va sans dire. Car la froide saison, non plus, ne l'épouvante pas ;
elle reste avec nous tout au long de l'année, alors que l'aristocratique
fauvette nous quitte vers la fin de septembre pour prendre ses quartiers
d'hiver au chaud soleil; sur la rive africaine de la Méditerranée. Elle n'en
revient qu'en mars et rien n'est plus piteux à voir que son aspect, lorsque un
retour du froid vient remplacer le printemps qu'on croyait déjà établi. Alors,
dans sa détresse, elle se risque parfois — Dieu sait avec quels tremblements —
sur la fenêtre et vient becqueter les flocons d'avoine, délices de tous les
insectivores.
Comme on peut s'y attendre, leurs nids diffèrent autant que
leurs personnages. La fauvette femelle, dont la toque, au lieu d'être noire
comme celle de son époux, est d'un roux orangé, établit dans un arbuste à
fleurs ou fruitier, dans un buis touffu, mais préférablement à tout, quand cela
est possible, dans un fourré de bambous, un petit hamac d'herbes sèches, si
mince de texture et si transparent qu'on se demande comment les allées et
venues forcées de la petite couveuse lui permettent de conserver une stabilité
suffisante pour empêcher de choir les quatre ou cinq œufs beige verdâtre
tachetés de brun qu'il contient d'ordinaire. Et le fait est qu'elle est bien
facile à détruire, si peu cachée, si peu attachée, la fragile petite demeure !
La nonnette, en cela comme en tout, se rit des difficultés
de la vie. Son nid est en sûreté dans un trou d'arbre ou de muraille, simple
calotte de mousse qui épouse la forme de l'anfractuosité et que remplissent
parfois huit ou dix petits œufs blancs pointillés de rouge pâle d'où sortira
toute une petite famille, énergique et combative comme père et mère.
Si vous voulez attirer et retenir longtemps près de vous à
l'automne la fauvette à tête noire, plantez des sureaux dans votre jardin. Le
sureau commun à fruits noirs et le sureau de montagne à grappes rouges, plus
décoratif. Tous deux viennent de semis et de boutures avec une extrême facilité
et poussent très vite. La fauvette en est particulièrement friande et, tout au
long de septembre, quelquefois même en octobre, quand vous la croyez déjà
partie pour sa villégiature hivernale, vous l'entendrez, grisée de son fruit
favori, émettre comme en songe, entre deux ripailles, de petites bribes de
chant.
Et si j'ai su vous intéresser à la vitalité batailleuse de
la nonnette, semez à son intention, en avril, des graines de tournesol ou de
soleil grand de Russie. Quand, vers la fin d'août, les gros disques grenus
tourneront au noir de la maturité et se dépouilleront de leurs pétales jaunes,
vous pourrez presque la saisir avec la main, tant elle sera occupée, agrippée
au beau milieu du plateau, à décortiquer fébrilement les graines oléagineuses à
saveur de noisette fraîche, sa passion !
Pierrette MAGNE.
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