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Tribune libre

La réorganisation de la chasse

Dans l'abondant courrier que nous ne cessons de recevoir, retenons aujourd'hui quelques lettres préconisant des solutions très différentes ; nous nous excusons de n'en apporter qu'un bref résumé :

« Le danger est aux Halles », écrit le Dr Christian Rocher, président de l'Amicale des Chasseurs du Sud-Ouest. Beaucoup de dirigeants accusent le braconnage, les nuisibles, les intempéries, etc., de tuer la chasse française. Pourtant, de 1939 à 1945, le braconnage sévit avec frénésie, les nuisibles pullulèrent, il n'y eut ni plus ni moins d'intempéries, et cependant, quand survint la Libération, l'abondance du gibier se révéla si considérable que tous les chasseurs réussirent de magnifiques tableaux. Non seulement les ennemis héréditaires du gibier n'avaient pas réussi à en entamer le cheptel, mais sa densité avait considérablement augmenté.

Puis les chasseurs arrivèrent et, en quelques semaines, les territoires les plus giboyeux furent nettoyés. Cependant rien d'illégal ne s'était produit, tous les chasseurs étaient munis d'un permis en règle, et aucun ne méritait l'épithète de « braconnier ». Malheureusement, la loi de 1844 n'a fixé aucune limite à la destruction du gibier, et elle ne prévoyait pas que la chasse cesserait pour certains d'être un sport et deviendrait une source de substantiels profits. Et toutes les réglementations édictées depuis, si elles ont constitué des brimades pour les vrais chasseurs, n'ont empêché aucun de nos braconniers modernes de racler les chasses et de ramener leur butin aux Halles de Paris.

Seule, conclut M. Christian Rocher, l'interdiction de la vente du gibier, sa commercialisation, résoudrait tous les problèmes. Et l'auteur propose, si cette solution paraît trop radicale, un règlement de la vente du gibier dont nous donnons ci-dessous les dispositions.

ARTICLE PREMIER. — IL EST INTERDIT de vendre ou d'acheter tout gibier mort ou vivant faisant l'objet de repeuplement ou de lâchers (sauf dérogations prévues à l'article 2).

ART. 2. — La vente de certaines espèces pourra être autorisée lorsque ce gibier provient d'élevages spéciaux ou de chasses gardées dont le principal revenu est représenté par l'élevage du gibier, ou lorsqu'il provient de battues administratives.

ART. 3. — Sur chaque pièce de gibier, vivant ou mort, vendue sera fixée une étiquette métallique repoussée et numérotée, vendue par les fédérations au détenteur d'un droit de chasse (au titre de propriétaire ou de membre de société).

Les Fédérations tiendront une comptabilité précise du nombre d'étiquettes vendues, de leur numéro et de l'identité de leur acquéreur (qui devra être titulaire d'un permis). Les étiquettes seront valables pour l'année pendant laquelle elles auront été délivrées et porteront indication du département. Elles seront vendues à un prix uniforme pour toute la France. Il pourra être prévu différents formats et différents prix d'étiquettes selon la valeur du gibier auquel elles sont destinées. L'étiquette variera chaque année.

    a. Étiquettes pour gibier migrateur (grives, palombes, canards, alouettes (douzaine), bécasses, vanneaux, etc.).

    b. Étiquettes pour gibier de plaine (perdrix, lièvres, lapins, faisans, etc.).

    c. Étiquettes pour gros gibier (chevreuils, sangliers, isards, etc.).

    d. Bagues ou agrafes pour gibier vivant (lâchers, repeuplement, élevage, etc.), valables aussi longtemps que l'animal est vivant.

ART. 4. — Tout acheteur de gibier devra exiger l'étiquette, à peine d'être poursuivi et, pour le commerçant, de voir fermer son établissement.

ART. 5. — Les étiquettes ne pourront être fixées sur le gibier commercialisé que par celui qui les aura achetées à la fédération et qui aura tué, capturé ou élevé le gibier.

ART. 6. — Les prix de gros et de détail seront fixés par arrêté préfectoral.

M. le Dr Detourbet, de Vautoux (Côte-d'Or), voit également dans l'interdiction de la vente du gibier un remède efficace.

« Puisque, sans les deux dernières guerres, j'en serais aujourd'hui à mon soixantième permis, je pense que ces longues années de campagne seront pour moi un titre et une excuse si j'ajoute aussi mon petit mot.

» D'abord je constate, d'une façon générale, que, malgré les précautions des auteurs de ces articles, c'est le souci de traiter de tel pays, de telle sorte de gibier qui y perce : sans le vouloir, chacun prêche pour son saint. Dès lors, tel remède proposé qui fera merveille chez l'auteur sera impossible ou insuffisant, voire même nuisible, ailleurs. En voici deux exemples :

» Tel Chasseur à qui la perdrix grise est inconnue propose le système des réserves. Certes le principe est excellent ; mais encore faut-il savoir que le ravissant gibier dont nous parlons est sans contredit un des plus bêtes de tous : si donc la portion de territoire mise en réserve ne lui plaît pas, on aura beau l'y rejeter plusieurs fois par jour, elle en sortira autant de fois qu'il le faudra pour se faire tuer jusqu'à la dernière de la compagnie !

» Un autre chasseur souhaite que, comme en Allemagne et en Alsace, le tir de la chevrette soit interdit. Mais, si, à l'approche, on peut facilement distinguer le sexe d'un chevreuil, il n'en est pas toujours de même aux chiens courants ; et cette mesure y équivaudrait en réalité à l'interdiction totale. Il vaudrait donc mieux la remplacer pour le reste du territoire français par une limitation des pièces à abattre, le tir des chevrillards restant de toute façon interdit. Et il est à croire que, dans la majorité des cas, une autorisation de dix à douze pièces sur une quarantaine existante serait très suffisante pour la conservation.

» Mais pourquoi ne revient-on pas plus souvent sur une mesure dont l'efficacité ne serait pas douteuse, et qui dès aujourd'hui recueille l'assentiment de tous les chasseurs sérieux : l'interdiction de la vente du gibier ne provenant pas d'une véritable chasse gardée ?

» Nous sommes tous d'accord là-dessus : le chasseur qui vend son gibier, le pêcheur qui n'est pas professionnel et qui vend son poisson sont des indésirables qui ne méritent aucune pitié. »

M. Bioret, de Noisy-le-Sec, suggère certaines mesures. Organisation de tout le territoire métropolitain en sociétés communales ou privées, ce qui aurait pour corollaire la disposition des chasses banales ; dans chaque société, création de réserves judicieusement disposées et surveillées. Retarder les dates d'ouverture au deuxième dimanche d'août pour le marais, au quatrième dimanche de septembre pour l'ouverture générale, faisans compris. Limiter les jours de chasse à un ou deux par semaine. Dans toutes les chasses pauvres en faisans, interdiction de tuer les poules faisanes. Fermeture au marais et date limite de destruction de lapins ramenées au quatrième dimanche de février. Répression impitoyable du braconnage et de la divagation des chiens. Interdiction temporaire de la vente de certaines espèces de gibier en voie de disparition, telles que faisans, perdrix, lièvres. Aucune cotisation de chasse inférieure à 2.000 francs ; cette cotisation, ainsi que les recettes provenant d'un permis unique, général, devrait être intégralement versée aux fédérations.

M. Bioret s'explique sur les diverses mesures qu'il propose ; la place nous fait malheureusement défaut pour publier ses commentaires.

Deux membres de la Société de chasse de Saint-Ouen-l'Aumône, MM. Augot et Gralle, préconisent pour leur part une ouverture retardée à la première décade d'octobre, une fermeture générale fin janvier ; fermeture anticipée pour le lièvre, qui « bouquine » dès décembre-janvier. L'ouverture retardée protégerait à leur avis maints pouillards et nombre de jeunes levrauts récemment nés ou sur le point de naître à la date de l'ouverture habituelle. A défaut d'une réglementation administrative, ajoutent-ils, les sociétés de chasse pourraient, par un règlement intérieur, imposer ces dates à leurs membres. Quant à la date de fermeture générale, elle permettrait aux chasseurs non pourvus d'autorisation de destruction, de profiter du gibier de passage : ramiers et grives, et même bécassines.

M. Gelly, de l’Ariège, nous écrit surtout pour appuyer la suggestion du regretté Albert Ganeval, tendant à assermenter les présidents des sociétés de chasse. M. Gelly croit que l'on pourrait également solliciter leur avis sur la délivrance des permis de chasse, l'Administration ayant la possibilité de s'assurer que ces personnes présentent les garanties d'honorabilité et d'impartialité nécessaires pour émettre des avis autorisés.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 333