Tous nos confrères connaissent le barbeau qu'il est inutile
de décrire longuement. Ce cyprinidé est caractérisé par une tête longue,
conique, un museau presque pointu. La lèvre supérieure, plus avancée que
l'inférieure, porte quatre barbillons : deux au bout du museau, les deux
autres vers la commissure. Ces lèvres encadrent une bouche semi-circulaire,
placée en dessous et entourée d'un bourrelet épais, dur comme du cuir. Les
nageoires sont bien dégagées et puissantes, la caudale très fourchue. L'avant
du corps, épais et charnu, l'arrière effilé constituent une forme fuselée et aqua-dynamique
sur laquelle l'eau n'a que le minimum de prise.
Le barbeau recherche les eaux pures, courantes, oxygénées ;
il fuit les fonds mous et vaseux où anguilles et tanches se plaisent. Aussi le
rencontre-t-on le plus souvent au voisinage des ponts, en dessous des barrages
et des écluses, aux déversoirs des moulins, des abattoirs, le long des berges
escarpées, près des enrochements, dans les remous profonds et mouvementés, etc.
Dans nos contrées, on ne rencontre pas ces énormes barbeaux
des grands fleuves du Nord-Est : Elbe, Weser, Danube, etc., et, chez nous,
on considère comme gros barbeau tout poisson atteignant 0m,50 et le poids de 2kg,500
à 3 kilogrammes. Il y en a cependant de bien plus gros, notamment dans le
Rhône, où ils paraissent atteindre une douzaine de livres. Un correspondant de
Strasbourg, M. Günther, m'écrivait il y a quelques années qu'il en avait pris,
dans le Rhin, du poids de 15 livres, mesurant plus de 0m,80 de long.
Le barbeau est un nettoyeur de rivières, qui se tient
constamment sur le fond et se nourrit indifféremment de matières animales ou
végétales, avec, cependant, un faible pour les premières. On le prend à de
nombreuses esches : vers, larves, insectes, petites lamproies, boyaux,
petits poissons, aussi bien qu'au fromage de Gruyère, au cube de chènevis, aux
graines cuites, à la pâte ferme, etc. ; le pêcheur n'a donc que l'embarras
du choix.
Le barbeau craint le froid et n'est jamais aussi actif que
pendant la belle saison : de l'ouverture de juin aux premières gelées
d'octobre. Vous avez peut-être remarqué, comme moi, que les plus beaux sujets
se capturent surtout au cours des années chaudes et sèches (1904-1906), quand
les eaux sont basses et tièdes. J'attribue ce fait à ce que ces poissons, gros
mangeurs, trouvent moins de nourriture naturelle et sont plus enclins à saisir
l'esche du pêcheur, quand elle passe à leur portée ou se trouve à proximité.
On peut fort bien pêcher le barbeau à la ligne flottante, en
l'attirant préalablement sur un coup amorcé, mais si l'on vise spécialement les
belles pièces, qui se tiennent dans les parties les plus rapides, on obtiendra
de meilleurs résultats avec la ligne plombée ordinaire, dont le grand avantage
est d'immobiliser l'esche à l'endroit même choisi par le pêcheur et, par
conséquent, tout près des lieux où le barbeau se tient d'habitude.
Le gros barbeau est un lutteur farouche, robuste, obstiné ;
il faut donc des engins très solides pour en avoir raison.
Pour la pêche du bord, on emploie une canne assez longue et
très forte, tout en bambou, longueur habituelle 6 mètres, avec scion assez
rigide sans cependant l'être trop. Le moulinet est très recommandable ; il
le faut d'assez grand calibre, bien roulant, avec frein et cric. Le corps de
ligne le plus usité est en soie imperméable ou non, de belle grosseur : D
ou E ; le nylon tressé la remplace sans désavantage. Le bas de ligne est
fort : 1m,20 de maraña 1re, ou de nylon de même force, portant
une balle percée d'un poids en rapport avec la violence et la profondeur du
courant. Elle est retenue à 30 centimètres de l'hameçon par un gros plomb de
chasse serré sur la racine. On peut employer ou non un flotteur, une plume
assez longue, maintenue en surface dans une position oblique. La nécessité de
l'amorçage n'est pas contestable. Les boulettes d'amorce seront grosses, dures,
consistantes, car le courant les délite assez rapidement. Elles contiendront
toujours, avec les principaux produits aimés du barbeau, une certaine quantité
de celui dont on se sert pour escher l'hameçon. Dans les courants violents où
se pêche le gros barbeau, cette esche sera résistante ; on choisira de
préférence : la grosse noquette de chènevis, le cube de gruyère, la
boulette de pâte très ferme, le gros ver rouge, la chatouille, le gros grillon
noyé, la becquée d'asticots ou de cherfaix pressés les uns contre les autres.
Suivant la taille de l'appât, celle de l'hameçon variera du n° 6 au n° 2.
L'hameçon esché est placé au centre de l'amorce, le plus près possible d'un
obstacle sous lequel le poisson élit ordinairement domicile. Tendre le plus
possible en long, dans le sens du courant ou légèrement en oblique, et assez
loin de soi, en aval. Quand la balle a atteint le fond, tirer un peu sur la
ligne, pour que l'esche s'en détache bien ; ensuite, poser sa canne sur
ses supports habituels, mettre le cliquet et surveiller attentivement l'engin.
Les membres actifs des sociétés tendent ordinairement à la fois trois lignes
plombées.
Le gros barbeau n'est pas chipoteur. S'il n'a pas faim, il
passe à côté de l'esche sans s'en soucier ; dans le cas contraire, il
attaque vigoureusement l'appât, donne deux ou trois coups de nez, engame et
file sans trop de hâte. Le scion se courbe, le fil se tend et le flotteur, s'il
y en a un, plonge délibérément. Le pêcheur attend quatre ou cinq secondes et
ferre avec décision en posant le pouce sur la soie ; puis il met le frein,
relève la canne à la verticale et attend les événements. C'est la lutte qui
commence, et nous l'avons décrite si souvent qu'il nous paraît inutile de
récidiver.
Il faut parfois assez longtemps pour mater un gros barbeau
et seul le bon manœuvrier y parvient sans incidents.
Je n'ai nul besoin, n'est-ce pas, de vous dire sa joie :
« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
R. PORTIER.
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