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Pêche côtière

Le maquereau

Bien que je me sois donné ici pour tâche, sinon pour mission, d'initier l'amateur aux seules pêches côtières à pied, c'est-à-dire sans barque et ... sans eau (ou presque), bien que, par ailleurs, nous soyons loin d'avoir épuisé la liste des trésors salés de cueillette courante, il me prend aujourd'hui fantaisie, de vous toucher deux mots du maquereau, poisson de haute mer.

Sans doute est-ce là un animal qu'on ne pêche qu'au large, en principe à quelques milles du rivage, et surtout l'été. On le pique bien plus souvent à l'hameçon qu'on ne le pêche au manet, et ce ferrage se pratique particulièrement à la traîne. Autrement dit, le bateau armé pour ce travail se déplace généralement par traits brisés, traînant derrière lui, de chaque bord, deux lignes doubles d'un ingénieux agencement et labourant ainsi, en quelque sorte, le champ humide où foisonne le maquereau.

Car, comme son compère d'hiver le hareng, le maquereau se déplace en troupeaux extrêmement denses et chasse en colonne la blanchette, cet alevin dont il se montre singulièrement friand. Lorsque les pêcheurs ont décelé des bancs de blanchette, il est rare qu'ils ne découvrent pas à la suite des bancs de maquereaux, plus nombreux encore : lorsque le maquereau se met ainsi à « donner », on peut affirmer qu'il pullule.

Je sais bien qu'aux yeux et, avant tout, aux papilles des gens de l'intérieur le maquereau ne passe pas pour un mets de roi. On le tient souvent pour un poisson d'aussi basse classe que le hareng, et de renommée vulgaire. On lui reproche alors une saveur un peu forte et parfois une chair huileuse et rance. Mais, si le maquereau semble discrédité auprès des gastronomes terriens, leurs frères de fourchette, les gourmands du littoral n'ignorent point que le maquereau ne mérite pas une telle réputation, et que, dans la mesure où il est cuit et consommé au sortir de l'eau, il constitue en vérité un régal.

C'est que, plus encore que les autres poissons, et davantage même que le hareng, le maquereau ne souffre ni le voyage ni la glace. Quelle que soit la rapidité avec laquelle les mareyeurs le transportent aux halles ou aux poissonneries de l'intérieur, qu'ils l'acheminent en wagons frigorifiques ou en camions réfrigérés, le seul contact de la glace, comme le temps qui s'écoule entre le moment de la pêche et celui de la cuisson adultèrent terriblement sa saveur, sans du reste compromettre en aucune manière ses qualités alimentaires. Savourer un maquereau grillé sur le pont même de la barque de pêche (ou cuit à la « bonne eau ») quelques minutes après sa très brève agonie — ce poisson ne survit à sa capture que de brefs instants, — ou le consommer après douze heures de voyage, c'est comparer successivement le jour et la nuit, ou boire de la piquette après le plus savoureux des bourgognes.

Pourtant, la chair du maquereau n'est pas de celles qui « tournent », lorsque son transport s'effectue dans d'honorables conditions de bonne conservation et d'hygiène. Mais, pour reprendre l'image (fausse) de certain maître-coq, c'est là un poisson qui n'aime pas le déplacement. Comme on le comprendrait s'il pouvait prévoir le sort qui l'attend, une fois sorti de son élément naturel !

S'il vous arrive de séjourner, au début de l'été, sur quelque point du littoral où vient se perdre le maquereau, et ils sont nombreux, qu'il s'agisse de la Manche ou de l'Atlantique, tâchez de vous faire convier par quelque hauturier ami à une « partie » de cette nature : vous n'y perdrez pas votre temps.

D'abord, parce que la pêche à la traîne est une des plus pittoresques qui soient. Elle ne s'effectue que de jour et presque toujours par temps chaud, généralement par mer calme, double avantage pour qui n'a pas le pied réellement marin.

Ensuite parce que, si le maquereau abonde, il le fait avec une générosité exempte de toute retenue. Le pêcheur vient à peine de détacher la bête de l'hameçon, de reboëtter sa ligne (d'une lanière brillante découpée à même les flancs d'une précédente victime) et d'immerger sa traîne qu'une nouvelle proie se laisse prendre déjà. C'est presque une chaîne sans fin et il n'est pas rare que des barques de quinze pieds, parfois doublées d'une plate qui les suit en remorque, à quelque trente brasses, ne ramènent entre l'aube et le crépuscule un millier d'unités — et parmi elles, souvent, quelques orphies aux mêmes « enfers » (si j'ose risquer un tel à peu près comme un aussi singulier néologisme).

Vous m'objecterez très vite, je le sens, qu'un monde sépare le spectateur de l'acteur (sauf sur le terrain des sports, où la plupart des soi-disant sportifs se contentent justement de regarder « travailler » les autres) ; qu'accompagner un pêcheur à la traîne n'est pas maquereller soi-même ; et que, si original que puisse s'avérer un tel mode dé pêche, il ne comporte pour l'assistant qu'un plaisir purement visuel, non actif, sinon gustatif.

Attendez un peu avant de me jeter la pierre ! Si je vous ai mis en goût pour le maquereau, après avoir vanté ses mérites gastronomiques et indiqué la manière générale dont on le capture, en fonction de ses moeurs ou de ses coutumes, c'était dans le secret dessein de vous ménager une surprise. Car il arrive que le maquereau vienne à terre. Et même qu'il y foisonne autant qu'au large. Cette circonstance se rencontre, assez rarement sans doute. Pourtant, au cours de certains étés particulièrement brûlants, la Manchette susnommée descend parfois au rivage et le maquereau l'y suit et l’y poursuit aveuglément, au point de se laisser surprendre par le reflux.

On a pu constater de semblables cas de « maquereau à la côte » entre 1930 et 1940, à diverses reprises, plus près de nous aussi en juillet et septembre 1948. Pour ne citer que des faits résultant d'observations personnelles, j'ai vu pêcher ainsi le maquereau du haut d'une jetée, à quelques brasses seulement des niveaux de haute mer. A ma connaissance, de telles pêches ont été très aisément pratiquées soit au moulinet, soit même à la ligne plombée à main, aussi bien à Ouistreham qu'à Port-en-Bessin, Saint-Vaast-la-Hougue et Barfleur, pour ne citer que ces petits ports (charmants) de la Manche.

Dans de semblables cas, les amateurs utilisent, bien entendu, un hameçon assez gros, et ils amorcent avec de la peau de maquereau, découpée sur les flancs d'une précédente proie. Sous mes yeux, l'un de mes amis a pu même pêcher un jour de très beaux maquereaux avec un hameçon neuf, donc brillant, mais non boette, ce qui exprime assez clairement la voracité avec laquelle mord le maquereau en chasse.

Mais, je le redis encore, de telles pêches sont assez rares. Il arrive pourtant qu'elles ne revêtent pas un caractère occasionnel et qu'on puisse les répéter utilement, aux mêmes endroits, plusieurs jours durant. Il m'a été donné de pêcher ainsi, pendant toute une semaine, et au début d'octobre par paradoxe, de belles pièces à quelques mètres seulement du rivage saint-vaastais, au pied de la Chapelle des Marins.

Mieux encore ! En 1932, si j'ai bonne mémoire (et j'ai bonne mémoire, mes amis le savent, les autres aussi), j'ai vu pêcher des maquereaux d'agréable taille, à la bourraque, par des bassiers tout étonnés de trouver dans leur pousseux, au milieu des bouquets et des étrilles, de remarquables exemplaires de ces scombers au ventre nacré.

La chair du maquereau est particulièrement savoureuse dans le mois qui vient. Si la blanchette monte à la côte, dans le coin où vous passerez vos proches vacances, profitez-en. Plaisirs de la pêche, joies de la table, vous ne serez pas déçus.

Maurice-Ch. RENARD.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 344