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Bobet 51, grand cru.

Il fallait au cyclisme français une idole. Il l'a. Et l'idole sortira de son cadre ; son influence atteindra l'ensemble des sportifs, ceux qui pratiquent, ceux qui admirent. Elle touchera, enfin, aux masses.

Car Louison Bobet, champion cycliste français n° 1, obtiendra, une à une, toutes les notoriétés. Il sera maire, député, ministre ; il dirigera une industrie ou pénétrera par la grande porte dans le domaine dirigeant. C'est de Fouquières lui-même. On lui visserait, volontiers, un monocle dans l'orbite. Son intellect, enfin, est un fruit déjà mûr.

Ce Breton intelligent et de fine race nous arrive donc à l'heure où nous avions besoin de proposer un dieu à l'adoration populaire, serait-ce celle des pires athées.

Disons-le. Il nous fallait un Coppi français ... Il nous fallait un illustrissime qui nous permettra d'affirmer aux anciens que Henri Pélissier a, dorénavant, son équivalent. Mieux ! Peut-être avions-nous besoin d'un Jean Bouin, d'un Georges Carpentier, d'un Guynemer de la route ... ces surhommes que la légende a patinés d'or.

Louison Bobet n'est ni l'histoire, ni la légende. Il est le présent solide, bien construit, et le futur. Il est à l'image exacte de la race française, c'est-à-dire capable de sacrifices, prodigue de génie pour peu que son usage engendre le risque, enclin, enfin, à trouver que la vie est toujours belle, fût-ce au sein des plus âpres difficultés.

Bobet a la chance pour lui. Sans elle, il n'est pas de réussite universelle possible ; la preuve en a été cent fois fournie par la martyrologie sportive et proprement cycliste, hélas !

II est parfois des courses qu'on gagne malgré soi. Cela n'arrive qu'aux êtres d'exception ; car la destinée les protège et leur rend la monnaie perdue dans un faux calcul. Bobet fut champion de France amateurs, en 1946, à Paris ; champion de France professionnels en 1950, à Paris également, pour autant que l'autodrome de Montlhéry se situe dans sa banlieue.

Auparavant, il avait gagné les Boucles de la Seine 1947, le Tour de l'Ouest 1949, le Critérium des As 1949 et 1950, le Critérium de L'Écho d'Alger 1950, notamment.

Quatrième du Tour de France 1948, sa tenue dans le Tour 1950 est présente à toutes les mémoires. Il termina troisième sous le maillot tricolore des professionnels qui consacra le grand champion, le champion extraordinaire, le double champion ; car Bobet n'a pas perdu le souvenir de son camarade Camille Danguillaume, disparu alors qu'il lui disputait, avec Antonin Rolland, le trophée envié par tous les trois ... Il n'a oublié ni le profond chagrin qu'il éprouva en perdant ce grand ami, comme nous n'avons point oublié l'émouvant hommage qu'il lui rendit avec grandeur et humilité.

De Bobet, vedette en 1950, devenu idole dès les premiers spasmes de la saison routière 1951, on disait, précédemment, qu'il était un coureur fragile ... Sans doute parce qu'il n'arrivait point sur la ligne de départ en roulant des épaules à la manière d'un Hercule, sans doute parce que son éternel sourire et son élégance native l'apparentent plus à un gentleman qu'à un forcené.

Oui, mais ! ...

En domptant dans les Alpes une crise aiguë de furonculose, en triomphant des glaces au Galibier et, à la Croix-de-Fer, en jouant « à la mort » sa chance contre Kubler, le coureur en porcelaine a prouvé qu'il était l'homme du Tour de France, capable de soutenir les plus pénibles souffrances physiques et de porter les estocades les plus osées ... Celles qui ne laissent aucun salut et par lesquelles on vainc ou on claque ...

Et dès cette année, après un rodage consciencieux dans Paris-Côte d'Azur (le conduisant jusqu'à enlever une étape et une demi-étape « pour voir »), l'enfant d'Armorique, au doux nom de Louison, s'adjugea la victoire la plus difficile à obtenir, celle de Milan-San Remo ... La dernière en date remontait à trente-neuf années avec Henri Pélissier, vainqueur en 1912, succédant à Garrigou en 1911, à Eugène Christophe, vainqueur et martyr dans d'épouvantables circonstances en 1910, et au prestigieux Petit-Breton en 1907 ... Comme on voit, ce palmarès, au titre français, ne comporte aucune bavure.

Il s'adjugea aussi, notre Louison, le Critérium national de la route ... Cette victoire rejoint d'ailleurs l'opinion que nous formulions plus haut, à savoir qu'un champion gagne parfois malgré lui, et que cela n'arrive qu'aux êtres exceptionnels.

La piste rose du Parc des Princes ne voulut pas que Barbotin renouvelât sa victoire de 1950.

Barbotin, cet autre coureur breton de classe, fidèle équipier de Bobet, deuxième de Milan-San Remo et deuxième du National, magistral pédaleur, lui aussi, est sans doute le second Français du moment. Le destin, en mars 1951, lui refusa, même un instant, le fauteuil du vainqueur.

Nous n'osions espérer que Bobet brillerait encore, et autant, dans Paris-Roubaix. Il fut cependant, en dépit d'une crevaison survenue avant la limite où le changement de roue devenait permis, un brillant second derrière le champion du monde de poursuite Bevilacqua et devant le meilleur Belge, Van Steenbergen.

L'idole grandit, grandira encore on a pu le constater depuis.

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 348