Il fallait au cyclisme français une idole. Il l'a. Et
l'idole sortira de son cadre ; son influence atteindra l'ensemble des
sportifs, ceux qui pratiquent, ceux qui admirent. Elle touchera, enfin, aux
masses.
Car Louison Bobet, champion cycliste français n° 1,
obtiendra, une à une, toutes les notoriétés. Il sera maire, député, ministre ;
il dirigera une industrie ou pénétrera par la grande porte dans le domaine
dirigeant. C'est de Fouquières lui-même. On lui visserait, volontiers, un monocle
dans l'orbite. Son intellect, enfin, est un fruit déjà mûr.
Ce Breton intelligent et de fine race nous arrive donc à
l'heure où nous avions besoin de proposer un dieu à l'adoration populaire,
serait-ce celle des pires athées.
Disons-le. Il nous fallait un Coppi français ... Il
nous fallait un illustrissime qui nous permettra d'affirmer aux anciens que
Henri Pélissier a, dorénavant, son équivalent. Mieux ! Peut-être
avions-nous besoin d'un Jean Bouin, d'un Georges Carpentier, d'un Guynemer de
la route ... ces surhommes que la légende a patinés d'or.
Louison Bobet n'est ni l'histoire, ni la légende. Il est le
présent solide, bien construit, et le futur. Il est à l'image exacte de la race
française, c'est-à-dire capable de sacrifices, prodigue de génie pour peu que son
usage engendre le risque, enclin, enfin, à trouver que la vie est toujours
belle, fût-ce au sein des plus âpres difficultés.
Bobet a la chance pour lui. Sans elle, il n'est pas de
réussite universelle possible ; la preuve en a été cent fois fournie par
la martyrologie sportive et proprement cycliste, hélas !
II est parfois des courses qu'on gagne malgré soi. Cela
n'arrive qu'aux êtres d'exception ; car la destinée les protège et leur
rend la monnaie perdue dans un faux calcul. Bobet fut champion de France
amateurs, en 1946, à Paris ; champion de France professionnels en 1950, à
Paris également, pour autant que l'autodrome de Montlhéry se situe dans sa
banlieue.
Auparavant, il avait gagné les Boucles de la Seine 1947, le
Tour de l'Ouest 1949, le Critérium des As 1949 et 1950, le Critérium de L'Écho
d'Alger 1950, notamment.
Quatrième du Tour de France 1948, sa tenue dans le Tour 1950
est présente à toutes les mémoires. Il termina troisième sous le maillot
tricolore des professionnels qui consacra le grand champion, le champion
extraordinaire, le double champion ; car Bobet n'a pas perdu le souvenir
de son camarade Camille Danguillaume, disparu alors qu'il lui disputait, avec
Antonin Rolland, le trophée envié par tous les trois ... Il n'a oublié ni le
profond chagrin qu'il éprouva en perdant ce grand ami, comme nous n'avons point
oublié l'émouvant hommage qu'il lui rendit avec grandeur et humilité.
De Bobet, vedette en 1950, devenu idole dès les premiers
spasmes de la saison routière 1951, on disait, précédemment, qu'il était un
coureur fragile ... Sans doute parce qu'il n'arrivait point sur la ligne
de départ en roulant des épaules à la manière d'un Hercule, sans doute parce
que son éternel sourire et son élégance native l'apparentent plus à un gentleman
qu'à un forcené.
Oui, mais ! ...
En domptant dans les Alpes une crise aiguë de furonculose,
en triomphant des glaces au Galibier et, à la Croix-de-Fer, en jouant « à
la mort » sa chance contre Kubler, le coureur en porcelaine a prouvé qu'il
était l'homme du Tour de France, capable de soutenir les plus pénibles
souffrances physiques et de porter les estocades les plus osées ... Celles
qui ne laissent aucun salut et par lesquelles on vainc ou on claque ...
Et dès cette année, après un rodage consciencieux dans Paris-Côte
d'Azur (le conduisant jusqu'à enlever une étape et une demi-étape « pour
voir »), l'enfant d'Armorique, au doux nom de Louison, s'adjugea la
victoire la plus difficile à obtenir, celle de Milan-San Remo ... La
dernière en date remontait à trente-neuf années avec Henri Pélissier, vainqueur
en 1912, succédant à Garrigou en 1911, à Eugène Christophe, vainqueur et martyr
dans d'épouvantables circonstances en 1910, et au prestigieux Petit-Breton en
1907 ... Comme on voit, ce palmarès, au titre français, ne comporte aucune
bavure.
Il s'adjugea aussi, notre Louison, le Critérium national de
la route ... Cette victoire rejoint d'ailleurs l'opinion que nous
formulions plus haut, à savoir qu'un champion gagne parfois malgré lui, et que
cela n'arrive qu'aux êtres exceptionnels.
La piste rose du Parc des Princes ne voulut pas que Barbotin
renouvelât sa victoire de 1950.
Barbotin, cet autre coureur breton de classe, fidèle
équipier de Bobet, deuxième de Milan-San Remo et deuxième du National,
magistral pédaleur, lui aussi, est sans doute le second Français du moment. Le
destin, en mars 1951, lui refusa, même un instant, le fauteuil du vainqueur.
Nous n'osions espérer que Bobet brillerait encore, et
autant, dans Paris-Roubaix. Il fut cependant, en dépit d'une crevaison survenue
avant la limite où le changement de roue devenait permis, un brillant second
derrière le champion du monde de poursuite Bevilacqua et devant le meilleur
Belge, Van Steenbergen.
L'idole grandit, grandira encore on a pu le constater depuis.
René CHESAL.
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