Une intéressante étude sur la psychologie dans ses rapports
avec l'idée sportive vient d'être publiée en Belgique par M. C. Diem, qui
comporte quelques enseignements et demande quelques commentaires.
Tout d'abord, l'auteur précise les raisons pour lesquelles
le sport a attiré surtout, jusqu'ici, des peuples occidentaux (latins,
germaniques, nordiques, anglo-saxons), alors qu'il occupe en Asie une place
très secondaire dans les aspirations des jeunes.
L'homme asiatique, dit-il, a pour idéal et pour but de « s'évanouir
dans l'Univers », alors qu'une des aspirations les plus pressantes des
Européens est de « toujours être le meilleur et de briller aux yeux des
autres », d'où son engouement pour le sport, qui, par définition, comporte
l'idée de compétition.
Cette aspiration vers la suprématie du corps aussi bien que
de l'esprit est celle du monde occidental depuis Homère ; c'est cette
ambition qui a conduit l'homme aux statues de Praxitèle et de Michel-Ange ;
aux sons de Haydn et de Beethoven, à la théorie de la relativité et à la
physique atomique, aux œuvres de Dante et de Gœthe.
Le sport, à son origine, est un jeu qui endurcit cette
ambition dans notre jeunesse et qui, à l'âge adulte, se développe et conduit à
la maturité de nos valeurs physiques et morales. L'exploit sportif se rapporte
à la vie « comme la fleur au fruit », il en est à la fois le but et
la parure. La fleur est éphémère, mais le fruit reste ; ce que le sport
nous a fait gagner reste acquis pour la vie.
Les Jeux Olympiques et la préparation permanente qu'ils
exigeaient ont façonné la civilisation des anciens. Le Moyen Age a permis aux
chevaliers de former leur caractère et de constituer une élite qui a dominé
toutes les cours de l'Europe. Nous devons à ces chevaliers les règles du
tournoi, règles qui à leur tour ont formé de nouvelles générations de
chevaliers.
Chez les Anglo-Saxons modernes, le but pédagogique du sport
est de former des « gentlemen » et l'esprit de « fair play »,
qui peu à peu a gagné la France, puis les autres nations occidentales. Cet
esprit sportif implique la notion de l'honnêteté d'esprit, de l'honneur qui
surpasse la victoire.
Être un sportif (et non pas un sportsman, ce qui est tout
différent), cela signifie : être un caractère, avoir une personnalité. L'ambition
de la performance et de la victoire entretenue dans la jeunesse confère pour
toute la vie une loi morale, celle de l'effort personnel et de l’initiative
privée, celle que la « socialisation » poussée à l'excès tend
malheureusement à nous faire perdre pour asservir l'élite à l'État, à la
corporation, au niveau moyen, qui de ce fait tend à s'abaisser, et d'où la chevalerie
est éliminée. Sauf un miracle, dans cinquante ans on ne pratiquera plus que les
sports d'équipe, dont l'intérêt est certes incontestable, et l'on aura détruit
la performance individuelle, qui pourtant, elle aussi, était nécessaire pour
forger un caractère et développer des aptitudes personnelles qu'il n'est plus à
la mode d'encourager.
Le sport, comme l'architecture ou la peinture, devra se
plier au conformisme ; il deviendra une technique au lieu d'être un art.
Il n'est pas sûr que la masse y gagne ; il est certain que l'individu y
perdra. Il faudra, pour être autorisé à gagner sa vie, se plier à l'esprit
conformiste ; l'esprit chevaleresque n'est plus de bon ton.
Et, malgré cette socialisation du sport et l'effort
considérable fait pour son développement dans la plupart des pays depuis trente
ans, nous en sommes au même point. Chaque pays, sur le terrain du sport, est
divisé en deux catégories. D'une part, un petit nombre de pratiquants évoluant
sur le stade ; d'autre part, la masse de plus en plus imposante des
spectateurs entassés dans les tribunes, catégories aussi opposées l'une à
l'autre que le noir et le blanc, et qui sont l'une vis-à-vis de l'autre comme
la face et le revers d'une médaille : les sportifs ... et les
sportsmen !
C'est à l'inversion de ces proportions que doivent porter
dans l'avenir les efforts de tous ceux qui vraiment aiment le sport et désirent
le mieux-être de leurs semblables.
Dr Robert JEUDON.
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