Champ d'application des dispositions de la loi du 7 mai 1946.
— L'article 10 précise à ce sujet que les dispositions de la
loi s'appliquent à tous les locataires ou exploitants de bonne foi de jardins
industriels, ruraux ou familiaux.
Il faut observer que trois catégories seulement de Jardins
sont visées et que, par conséquent, les exploitants de jardins ouvriers,
non nommés par la loi, ne sont pas protégés par elle. Si bien que les ouvriers
tenant leurs jardins d'une société de jardins ouvriers peuvent à tout moment
être évincés sans délai et sans indemnité.
D'une part les sociétés dites de jardins ouvriers (au sens
étroit de l'expression), c'est-à-dire celles qui créent des jardins, prétendent
que les sommes qu'elles reçoivent de leurs adhérents ne constituent pas un
loyer, mais une cotisation.
Cet argument ne suffirait pas, à notre avis, pour exclure
les intéressés de la protection de la loi, puisque celle-ci vise non seulement
les locataires, mais également les exploitants de bonne foi.
Cependant, et c'est là l'argument principal, elle vise les
exploitants de bonne foi des seuls jardins industriels, ruraux et familiaux, et
non pas ceux des jardins ouvriers.
Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un simple oubli ou d’une
erreur matérielle : c'est à dessein que le mot « ouvriers » n'a
pas été ajouté à l'énumération des jardins protégés. Et ce point de vue est
d'autant plus exact que, dans la prochaine réforme de la législation sur les
jardins ouvriers, la même anomalie, bien qu'ayant fait l'objet d'une discussion
de rapports, se retrouvera dans le texte de la proposition.
Les commissions de la législation et de la Justice avaient,
il est vrai, demandé que les membres des sociétés de jardins ouvriers soient
protégés contre les prétentions éventuelles des dirigeants de cette société,
mais le rapporteur de la Commission du travail chargé de l’examen du fond de la
question écarta cette proposition.
« Les bénéficiaires de jardins attribués par les
sociétés de jardins ouvriers ne sont pas des locataires, précise le rapport,
mais des membres cotisants, et ils ne doivent pas pouvoir se prévaloir
personnellement de la loi à l’égard des associations. »
Ce point de vue n'est pas unanimement admis ; voici
comment le justifie le rapporteur de la Commission du travail.
« Étant donné la coexistence d'un nombre plus ou moins
grand de jardins dans un même groupe, un règlement intérieur est nécessaire. Il
ne comporte d’ailleurs que les règles très simples destinées à assurer à chacun
la jouissance paisible de son coin de terre. Il faut que ces règles puissent
être, en cas de besoin, appliquées sans obstacles. »
Par exemple, l'association doit pouvoir reprendre le jardin :
— au jardinier qui ne le cultive pas ou l'entretient
insuffisamment, infestant les jardins voisins de mauvaises herbes, de
doryphores, etc., et laissant au surplus inutilisé un jardin qui pourrait
rendre service à un autre père de famille ;
— à celui qui chaparde chez ses voisins ;
— au querelleur qui provoque des incidents intolérables ;
— à l’ivrogne qui fait scandale, dans le groupe, etc.
« On ne peut donc, sous peine de rendre tout
fonctionnement impossible, accorder aux adhérents de l'association le bénéfice
des dispositions légales, notamment du délai de préavis, ce qui risquerait de
rendre caduques, aux yeux de certains juges de paix, les dispositions du
règlement intérieur. »
On ne peut s'empêcher de penser que ces justifications
pourraient tout aussi bien être valables pour l'ensemble des locataires de
jardins, —n'y a-t-il pas partout des chapardeurs, des querelleurs et des
ivrognes, — mais l'éviction des exploitants de jardins ouvriers de la
protection de la loi peut être dangereuse dans la mesure où elle ouvre la porte
aux abus.
Nous lisions tout récemment dans la presse l'avis d'un président
d'association invitant ses membres à verser leur cotisation avant le 31
décembre, et l'article précisait que les sociétaires qui n'auraient pas
satisfait à cet appel dans les délais voulus seraient privés de leur jardin,
lequel serait attribué à un autre preneur. Ainsi donc, les intéressés, pour un
simple retard dans le paiement de leur cotisation, peuvent se voir privés
brutalement de leur jardin.
Dans le fait, il faut souhaiter que les sociétés
apporteront, dans la solution des cas d'espèce, la compréhension nécessaire
pour éviter tout abus, mais, en droit, la position des locataires des sociétés
de jardins ouvriers est bien précaire.
Quant aux autres locataires, ceux qui louent des jardins
familiaux, ruraux, industriels, ils sont protégés, mais à la condition de
cultiver effectivement leur terrain. C'est une condition fort raisonnable, car,
au fond, le fait de laisser un terrain inculte, alors que les jardins sont si
recherchés, constitue une faute très grave.
Les sociétés de Jardins ouvriers sont également protégées.
— On sait que, d'après la loi du 7 mai 1946, seuls sont
considérés comme sociétés de jardins ouvriers, au sens précis de cette
appellation, les groupements dont le but est de procurer des jardins aux
ouvriers. Ces sociétés ne possèdent pas nécessairement les terrains qu'elles
louent à leurs adhérents. Elles peuvent en être locataires et les sous-louer à
leurs membres.
C'est de ce dernier cas que s'occupe la loi qui dispose dans
son article 10 que les clauses légales se rapportant aux locations sont
applicables « aux associations ou sociétés de jardins ouvriers
régulièrement agréées pour les terrains nécessaires à la réalisation de leur
objet social ».
Les terrains ne pourront donc être repris à ces sociétés
qu'en respectant les délais et formes prévus en matière de congé. Mais il est
regrettable que les adhérents de ces sociétés ainsi protégées soient eux-mêmes,
ainsi que nous l'avons vu, sans recours en cas d'éviction brutale et
injustifiée.
A. DUPONT,
Docteur en droit.
(1) Voir Le Chasseur Français de mai 1951.
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