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Grande culture

Réalisations

En France, et ce n'est pas nouveau, on est tenté de voir dans le paysan un homme toujours mécontent, renfermé, méfiant ; en outre, on le juge attardé dans la routine et imperméable au progrès. Il est aisé de consulter des documents statistiques et de faire ressortir que, pour beaucoup de productions, les rendements moyens sont inférieurs à ceux d'autres pays et, si l'on examine les moyens de production, « on » dit encore que la consommation des engrais est inférieure à celle de contrées voisines, que la mécanisation n'est pas poussée et que le nombre des jeunes gens et jeunes filles fréquentant des écoles professionnelles n'est pas brillant.

Il serait plus loyal de se livrer à l'étude des problèmes que ces questions peuvent poser. Au surplus, il s'agit d'une fraction encore importante de la population française et, dans une communauté quelle qu'elle soit, les défauts ou les malheurs des uns ont leur répercussion sur les qualités ou sur le bonheur des autres.

Il n'entre pas dans notre dessein de remonter le cours de l'histoire et, pourtant, la lecture récente d'un livre prodigieusement intéressant sur l'agriculture au Moyen Age m'inciterait à rappeler que c'est du repli paysan aux époques troublées qu'a jailli un jour la renaissance française, aussi bien dans le domaine économique et la prospérité des milieux urbains que dans le domaine de la pensée. Arrêtons-nous seulement aux moments présents.

Cette chronique est écrite alors que le soleil a l'air de vouloir se montrer : pour combien d'heures, c'est déjà le paysan qui se pose anxieusement la question. Depuis des semaines, le temps implacable qui domine toute la vie des champs a pris une allure inquiétante, et cette inquiétude pourrait gagner les hommes des cités, si les trottoirs n'y séchaient pas plus vite que les cours de ferme ou les chemins ruraux. Mais, si les cours et les chemins ne sèchent pas, que dire des champs eux-mêmes ? Les labours ont été contrariés, ralentis ; tout le monde ne possède pas l'important outillage qui permet de mener rapidement l'exécution des travaux et, dans les sillons inachevés, l'eau séjourne. Les semailles de céréales de printemps ne sont pas terminées ; mieux encore, dans plusieurs régions elles ne sont pas commencées ; il est impossible de mettre la moindre herse ou le plus réduit des cultivateurs canadiens ou extirpateurs dans les champs plaqués par la pluie. Il est possible — cela arrive tôt ou tard — que le soleil et le vent assèchent la couche superficielle, mais, dans cette terre que l'on se hâtera de garnir, le retard est pris. La règle, on la connaît, et le vieux proverbe de l'avoine de février qui remplit le grenier résulte tout simplement des observations accumulées au cours des siècles ; une culture de printemps mise en terre avec du retard, en terre insuffisamment ressuyée, donne en général des rendements plus faibles.

On pourrait parler des pommes de terre qui attendent à la cave ou dans le germoir, poussant partout des germes démesurés et épuisant ainsi les réserves ; des betteraves qui, dans les régions industrielles, devraient déjà germer et réclamer la houe ; les prairies de vallées sont sous l'eau, les autres sont en mauvais état et le foin s'épuise dans les greniers. De tout cela on est inquiet, le paysan veut bien conserver quelque optimisme et croire au retour du beau temps ; néanmoins, voilà un printemps pluvieux qui rejoint des printemps secs pour que l'on puisse comprendre pourquoi l'homme des champs n'est pas toujours content.

Des raisons montreraient qu'en s'éloignant des pays septentrionaux l'activité de la terre arable n'est plus la même et que l'on obtient de belles récoltes sans être dans l'obligation d'employer toujours des tonnages impressionnants d'engrais.

Il serait facile de montrer que, si le progrès n'est pas plus immédiat en France, les pouvoirs publics n'ont pas toujours fait leur devoir, inscrivant des sommes ridiculement faibles pour la vulgarisation, la recherche, l'enseignement. On démarre avec des vues plus larges, mais le retard est là, implacable, et pourtant, sans aucune pensée chauvine, il n'y a qu'à regarder pour trouver, dans notre pays, aussi bien des hommes attachés passionnément à leur métier de propagandiste, que des savants ayant par leur valeur un droit de cité universel, que des professeurs comprenant leur tâche, la dominant à tous les degrés de l'enseignement agricole. Enfin, pour concrétiser ces faits, il y dans notre pays des exemples de réalisations qui ne le cèdent en rien à tous les modèles que l'on monte en épingle.

La réalisation, il me suffit d'évoquer des souvenirs anciens ou récents pour affirmer qu'elle existe. C'est ce domaine de la région centrale couvert de rochers, sans chemins, sans constructions ; un homme passe, il déroche, est un pionnier dans l'emploi des explosifs ; avec les débris de roches extraites, il construit des maisons, des étables ; il établit des chemins et, ainsi, il groupe autour de lui des hommes qui vivront mieux ; dans les étables, des animaux sélectionnés arrivent et, au delà des métairies renaissantes, le progrès se répand.

Ailleurs, un humble paysan à l'esprit ouvert veut mieux élever ses enfants ; il comprend qu'il doit améliorer ses prés, il en étudie la flore ; sur le terrain, il comprend la manière dont chacune des plantes se comporte ; avec la conviction de celui qui a voulu lire et s'instruire, il emploie des scories de déphosphoration : la nature de l'herbe change, les têtes de bétail s'accroissent en nombre, le rendement en lait est augmenté ; pendant ce temps, on fait prendre au fils le chemin de l'école d'agriculture. Un noyau utile est constitué et prospère.

Passons des années ; la vigne nouvelle fait parler d'elle, un paysan patient étudie les numéros, fait du vin et économise des traitements ; la vigne ne suffit pas, il y a des prés à côté ; on les soigne, la terre est labourée plus adroitement : le bétail augmente, les grains sont plus abondants.

Un autre : il étudie son domaine, un homme de bon conseil passe; « arbre et prairie » doit être la formule ; en profondeur, sans la mégalomanie de l'espace qui a tué tant de cultivateurs de notre pays, les résultats sont magnifiques ; l'agriculteur est modeste, il faut le découvrir pour se rendre compte de l'œuvre accomplie.

Vous citerai-je l'organisateur qui met au point l'emploi rationnel de la machine, le sélectionneur qui accroît ses productions et répand « la bonne semence » chez ceux qui ont les yeux dessillés : le progrès s'étend. Encore un agriculteur de chez nous ; suivant une expression employée par une femme compréhensive, qui m'exposait ses vues sur le problème agricole, il « manufacture » ses produits, passe de la pomme de terre sélectionnée au plant germé remarquablement présenté et qui assure la récolte. Enfin, en terres manquant de profondeur, la charrue passe, la sous-soleuse suit ou précède toujours en profondeur de la terre. Jugez. M. de Bruchard a souligné, en décembre, que, pour le Concours général agricole de Paris 17 millions étaient accordés, alors que l'industrie textile aurait 80 millions pour l'organisation de la foire de Strasbourg. Possibilités, encouragements et réalisations, tout est lié, mais il faut voir clair et être impartial.

L. BRETIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 357