Un de nos lecteurs nous demande de consacrer un article
médical « concernant les personnes souffrant d'un ou de plusieurs doigts
morts, les causes de cette affection et les soins à recommander. »
Demande qui n'est pas sans m'embarrasser, car, si cette
affection, ou plutôt ce symptôme, est facile à décrire, il n'en est plus de
même des causes et des traitements.
On a donné ce nom à un engourdissement, avec pâleur
cadavérique d'un ou de plusieurs doigts, sorte de syncope locale qu'on a
qualifiée d'acro-asphyxie et qui survient le plus souvent sous l'action
du froid.
On a attribué cette acro-asphyxie à une émotion morale, à
une maladie nerveuse (sans parler de l'hérédité) ; on a encore incriminé
soit certaines maladies (on en a fait un des « petits signes » de la
maladie de Bright ou néphrite chronique) soit à une intoxication par l'alcool,
le tabac, le plomb, le mercure, ou par d'autres médicaments, comme les dérivés de
l'ergot.
Que se passe-t-il ?
Le sang circulant dans la pulpe du doigt en maintient la
chaleur alors que le doigt, par sa situation périphérique, est constamment
exposé à toutes les causes de refroidissement.
L'irrigation du doigt est assurée par un réseau de
capillaires alimenté par des artérioles et se déversant dans les veinules.
L'asphyxie locale résulte de l'arrêt de cette circulation.
La circulation du sang dans les capillaires est étroitement
liée aux variations de la tension artérielle et, dans le cas actuel à celle des
artérioles possédant dans leur paroi des cellules musculaires lisses,
susceptibles de se contracter sous l'influence des filets nerveux vaso-constricteurs,
ce qui, en réduisant le calibre du vaisseau, réduit ou interrompt le passage du
sang.
Il existe un centre vaso-constricteur dans le bulbe, avec
des centres secondaires dans la moelle, dans les ganglions sympathiques et même
dans la paroi des vaisseaux.
Venus de la moelle par les racines antérieures, les filets vaso-constricteurs
gagnent le tronc du nerf sympathique et se rendent aux artères en empruntant le
trajet des nerfs mixtes.
La vaso-constriction étant sous la dépendance du système
sympathique, on peut, lorsque ce symptôme se présente, incriminer ou soupçonner
toutes les causes pouvant agir sur le centre ou les centres secondaires, de ce
nerf.
On a songé, selon les cas, à un effort, à une émotion
morale, a quelque maladie nerveuse ou infectieuse ; on songe au mal de Brigth,
à une intoxication par l'alcool, le tabac, le plomb, le mercure, l'oxyde de carbone,
à des médicaments dérivés de l'ergot, etc.
Mais de toutes les causes possibles la plus fréquemment invoquée,
et non sans raison, au moins comme cause immédiate, est le froid.
Lorsqu'un accès de syncope locale s'installe, le doigt se
décolore, prend cette pâleur d'un blanc mat ou jaunâtre qui a été décrite ;
la sensibilité de la région atteinte est diminuée et il y a une perte plus ou
moins importante des mouvements.
La durée est variable ; on a constaté des cas
prolongés, ils sont rares ; le plus souvent, surtout s'il n'est plus
exposé au froid, le doigt reprend sa couleur normale au bout de quelques heures
ou même de quelques minutes, mais l'engourdissement persiste un certain temps
parfois avec des élancements ou une sensation d'onglée.
Oh songe parfois à une engelure, mais celle-ci est
caractérisée par la rougeur de la peau qui est tuméfiée, plus tard par des
bulles, des fissures allant jusqu'à des ulcérations.
D'autres diagnostics sont encore à envisager ; dans des
cas, plus rares, l'asphyxie locale et passagère qui constitue le « doigt
mort » peut être le premier stade d'une affection, la maladie de Raynaud,
du nom du médecin qui l'a décrite sous le nom de « gangrène symétrique des
extrémités », en 1862.
La symétrie des lésions, survenant le plus souvent aux mêmes
doigts des deux mains, fait penser à une altération des centres médullaires ou
bulbaires du sympathique se traduisant par une exagération du pouvoir
excito-moteur présidant à l'innervation vasculaire ; cette affection est
parfois consécutive à une maladie infectieuse. En pareil cas, après une dizaine
de jours de syncope locale (stade auquel l'affection peut s'arrêter)
surviennent de la cyanose, avec tuméfaction de la peau, des douleurs vives,
puis apparaissent des phlyctènes, des escarres, des gangrènes limitées qui
finissent par s'éliminer et se cicatriser.
L'érythromélalgie est une affection qui survient de
préférence aux extrémités inférieures et est plutôt causée par la chaleur que
par le froid ; elle est caractérisée par une douleur (exaspérée par la
chaleur, calmée par le froid) ; la peau est gonflée, rouge ou plutôt rosée
ou violacée ; la sensibilité reste normale ou est exagérée.
Comme traitement, en dehors des cas où l'examen du malade
aurait décelé une maladie peut-être causale (néphrite chronique par exemple) le
traitement reste purement local ; on se contentera tout au plus, en cas de
vives douleurs, de quelques cachets d'aspirine ou d'un de ses dérivés.
La prévention se résume dans la lutte contre le froid ;
on tentera de s'endurcir par des lotions froides suivies d'une friction sèche
avec une serviette rude, jusqu'à séchage complet et légère rougeur de la peau ;
on restera le plus possible dans un lieu chauffé ou du moins tempéré et on se
couvrira de gants de laine.
Mêmes précautions si le syndrome s'est déclaré ; rester
au chaud, en évitant d'approcher les mains du feu, user de frictions excitantes
avec de l'alcool camphré, pratiquer des massages (comme pour mettre des gants)
avec un liniment légèrement révulsif (à base de capsicum ou analogues) ;
on a récemment préconisé des onctions avec un onguent à base d'un dérivé de
l'acide nicotinique (spécialisé sous le nom de « Trafuryl ») qui
amène souvent l'hypérémie de la peau sans irritation.
A part l'aspirine ou ses dérivés, en cas de douleurs, la
vitamine B (aneurine), les calmants nerveux comme le bromure de potassium, la
valériane, le gardénal, on a encore parfois recommandé un extrait hépatique désinsuliné
(angioxyl), des ampoules d'acétyl-choline ou d'un dérivé de l'imidasoline (priscol),
qui peut aussi se prendre en comprimés.
Faut-il ajouter que les cas persistants ou fréquemment
récidivants nécessitent un examen général du sujet, avec analyse des urines,
soigneuse auscultation du cœur, étude de la tension artérielle indiquant divers
traitements que prescrira le médecin traitant ?
Parmi les autres traitements, on a encore parfois préconisé
l'électricité, sous forme de courants continus ou de diathermie, de courants de
haute fréquence, l'irradiation par les rayons de Rœntgen ou de rayons infra-rouges.
Si les cures thermales se sont montrées habituellement
inefficaces, il faut faire une exception pour les injections sous-cutanées de
gaz thermaux, pratiquées à Royat souvent avec succès.
Dans des cas exceptionnellement graves, on pourrait songer
au traitement chirurgical, qui consiste dans la sympathectomie péri-artérielle ;
les filets nerveux sympathiques les vaso-constricteurs étant extirpés, l'artère
ne réagit plus à constriction si bien que la circulation dans les capillaires
reste assurée.
Dr GOTTSCHALK.
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