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L'orfèvrerie Franque

C'est aux Gaulois qu'il faut remonter pour trouver les premiers vestiges de l'orfèvrerie en notre pays.

Mais cela pose, à nouveau, la question de savoir qui étaient les Gaulois. Or des archéologues et historiens sont loin d'être d'accord. Tout ce que l'on peut dire ; c'est que les Gaulois ne furent pas les premiers habitants de la Gaule. Ils furent des envahisseurs qui s'y fixèrent, comme d'autres antérieurement, et tous trouvèrent le pays déjà peuplé.

En ce qui concerne l'orfèvrerie, on peut faire remonter au début du premier millénaire avant Jésus-Christ l'existence de premiers ateliers travaillant des bijoux de fer et de bronze. Mais ce n'est que beaucoup plus tard, et après plusieurs siècles de lente gestation artistique, que paraissent les premiers bracelets d'or, les boucles de ceinture, les colliers torsadés, etc. Cependant les pièces découvertes au cours des fouilles sont extrêmement rares dans les musées ; il n'en est pas de même dans diverses collections privées.

Avec la domination romaine, la Gaule acquit une immense renommée dans l'art de mettre en valeur le chatoiement des métaux précieux. Les césars romains confièrent alors aux célèbres ateliers d'Arles, Reims et Trêves des commandes multiples sous le contrôle et la haute surveillance d'officiers impériaux.

Contrairement à ce que révèlent les fouilles archéologiques en général, ce n'est pas dans les tombeaux que l'on a découvert les plus belles pièces d'orfèvrerie. C'est tout au contraire dans d'anciennes cachettes comme à Bosco Reale, à Bernay, à Hildesheim. On estime que ce devait être là le trésor d'un temple, le butin d'un pillard ou la réserve d'un orfèvre.

Le plus célèbre de ces trésors est celui d'Hildesheim, découvert en 1868. Il contenait soixante-dix pièces d'origines diverses et d'époques très différentes, et aussi de valeurs très inégales. Cependant, elles témoignent d'une immense maîtrise, impliquant un long travail d'élaboration culturelle.

Les pièces les plus précieuses sont constituées par des coupes décorées sur le fond de personnages en pied ou en buste, le tout en haut-relief. Une Minerve assise est représentée sur une grande patère en argent repoussé, soudée à une seconde feuille extérieure portant les anses. La gorge est ornée de fines palmettes et de figures dorées.

Une autre pièce très importante est constituée par un grand cratère orné de légers rinceaux et de fleurs, au milieu desquels évoluent des enfants et des animaux aquatiques. Fait curieux, cette décoration évoque le style de la Renaissance. Il en est de même du décor naturaliste des puisettes à prendre le vin et d'autres coupes de moindre importance. Toutes cependant comportent des anses soudées et des pieds fondus et ciselés.

Du point de vue technique, il est à noter que la dorure a été effectuée au mercure, en particulier pour la Minerve, et il y a des traces de décorations en émaux champlevés.

A l'inverse de ces documents, c'est par les sépultures que sont parvenues les pièces de l'époque suivante, celles de l'invasion des Barbares. Ces tombes datent du Ve au IXe siècle, et les documents présentés offrent un décor géométrique et une orfèvrerie cloisonnée garnie de cabochons et de pierres fines. D'autres plus simples sont constitués d'un réseau de métal précieux ou parfois de simple bronze.

Du Ve siècle, le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale possède l'épée du père de Clovis, Childéric 1er, Roi des Francs. Merveilleuse pièce de bijouterie cloisonnée, à la poignée couverte d'une feuille d'or battu, avec un pommeau en or ciselé au burin. Le fourreau est constitué d'un cloisonnage d'or enserrant des grenats. Cette épée fut découverte en 1658, avec une quantité d'abeilles d'or, qui inspirèrent le choix de Napoléon pour remplacer les lis royaux.

Les mêmes collections conservent le calice de Gourdon et la châsse de saint Maurice. Ces deux documents justifient que l'art de l'orfèvrerie avait subi une décadence et qu'au repoussé des merveilles antérieures avaient succédé de faibles reliefs tracés à l'envers, en forme de simple stylisation abstraite extrêmement fruste.

Il va y avoir une immense réaction avec les Mérovingiens, et l'apogée acquise avec Dagobert et son orfèvre saint Éloi. Ce dernier était né en 588 à Limoges et avait fait son apprentissage chez le célèbre Abbon. Envoyé en mission auprès du trésorier de Clotaire, il fut présenté à Dagobert et devint successivement évêque de Noyon, Tournai et premier ministre.

Ce fut lui qui confectionna deux trônes, avec l'or que le trésor royal avait mis à sa disposition pour un seul. Cette probité et cette habileté devaient orienter sa destinée.

On doit à saint Éloi, à Solignac, près de Limoges, la fondation d'une abbaye.

Elle devait devenir aussi célèbre par les habiles artisans religieux que par leur piété, car l'art était une façon de rendre hommage à la divinité et de satisfaire le culte des ydèles par l'exposition publique de réalisations merveilleuses.

Les Carolingiens retrouvent les hautes traditions antérieures, en particulier dans le haut-relief, mais une technique nouvelle se fait jour : celle des statues de bois recouvertes de feuilles d'or appliquées au marteau. C'est de l'époque de Charlemagne que date la pièce majeure de cet art préroman avec la statue reliquaire de Sainte-Foy-de-Conques.

Le partage de l'empire de Charlemagne ne fut pas favorable à l'orfèvrerie, mais les Croisades provoquèrent un renouveau à la suite du désir d'honorer le plus possible des reliques rapportées de la Terre Sainte. Il y eut aussi une grande inspiration byzantine à la suite de l'apport d'objets précieux.

L'oeuvre maîtresse est le vase de porphyre égyptien qui fut transformé en aiguière de Suger par l'adjonction d'ailes et d'un bouchon. On eut ainsi une forme rappelant un aigle, haut de plus de 40 centimètres.

Suger devait avoir une destinée très analogue à celle de saint Éloi : moine et prêtre, il devait être aussi un très grand homme d'État et ministre de Louis VI, puis de Louis VII.

Mais on lui doit aussi la création des corporations d'orfèvres dont il soigna particulièrement l'organisation, en même temps qu'il créait les corps de métiers.

Au XIIe siècle, les ateliers monastiques vont céder la place à ceux des artisans laïques, encore qu'il faille s'entendre sur ce terme, car, contrairement à ce que l'on pense généralement, les monastères, dès l'origine, furent des communautés de laïques se retirant du monde pour se consacrer à Dieu, mais sans avoir aucun ordre clérical.

C'est le prévôt de Paris, Étienne Boileau, qui, pour le compte de saint Louis, installa les premiers orfèvres laïcs sur le grand pont de Paris. Leurs ateliers devaient donner des merveilles d'art surtout religieux, et particulièrement des châsses pour les saintes reliques. C'est de cette époque que date le calice en argent de l'abbé Pelage, avec toute la décoration concentrée dans le nœud du pied et figurant les quatre évangélistes.

Cette époque voit aussi l'extension de l'usage de l'orfèvrerie d'or, même pour la vaisselle seigneuriale. Il n'en subsiste que peu de documents, mais deux sont de splendides témoignages de ces âges : le sceptre de Charles V, conservé au Louvre dans la galerie d'Apollon, et la « nef » de sainte Ursule, dans le trésor de la cathédrale de Reims, il ne faut pas confondre ces nefs avec les châsses, car, s'il y a convergence de formes, elles servaient de coffre-fort aux ustensiles de bouche de grands personnages pour éviter les tentatives d'empoisonnement. On en retrouve jusqu'au XVIIIe siècle pour l'usage royal.

Janine CACCIAGUERRA.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 377