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Philatélie

Trois beaux timbres français

En décembre 1950, trois timbres ont été émis en France, qui reproduisent une peinture et des sculptures remarquables et qui sont ; en même temps, de purs petits chefs- d'oeuvre du burin.

Le premier de ces timbres, d'une valeur de 12 francs et imprimé en vert, est à l'effigie de Mme Récamier, gravée par Lemagny, d'après le portrait conservé à l'Hôtel de Ville de Paris, et dû au baron François Gérard (1770-1837), François Gérard, l'un des peintres les plus éminents de la génération napoléonienne, auteur de la Bataille d'Austerlitz et de la Rentrée de Henri IV à Paris, est à juste titre considéré comme le premier portraitiste de son temps.

Née en 1777 à Lyon, Jeanne Bernard, mariée en 1793 à un banquier, M. Récamier, et que Mme de Staël a dépeinte dans son roman Corinne, est célèbre par sa beauté ; son esprit, ainsi que par ce salon de l'Abbaye-aux-Bois, décoré à l'antique, où elle réunit, sous la Restauration, toutes les illustrations de l'époque.

C'est dans cet ancien couvent des Dix Vertus, démoli en 1908, qui se trouvait à Paris sur l’emplacement de l'actuelle rue Récamier, que son illustre ami Chateaubriand, auquel elle refusa sa main, donna la première lecture de ses Mémoires d’Outre-Tombe.

Mme Récamier devait mourir aveugle, emportée car le choléra en 1849. Contrairement aux dernières volontés de sa tante, Mme Lenormant, en 1872, a publié ses Souvenirs et Correspondance.

On ne peut évoquer le souvenir de cette femme, qui pendant plus d'un demi-siècle eut tant d'admirateurs, sans que se présente à l'esprit le tableau que peignit Louis David, et qui la représentait, à l'âge de vingt-trois ans, assise sur un canapé, la tête enrubannée, le regard fascinant.

« J'espère, avait-elle écrit à David, après avoir accepté ses conditions, que vous ne mettrez pas en doute le prix que j'attacherai à un ouvrage fait par vous. »

David commença la peinture, se faisant aider, dit-on, par Ingres, pour les accessoires. Mais, ayant appris que son modèle posait dans le même temps devant le baron Gérard, qui était son élève, laissant ses pinceaux, le maître lui aurait déclaré :

« Madame, les femmes ont leur caprice, les peintres aussi. Permettez que je satisfasse le mien. Je garderai votre portrait dans l’état où il se trouve ... »

Et c'est ainsi que resta inachevée la fameuse toile du Louvre, laquelle, dans son harmonie claire, a conservé le charme d'une esquisse, quand elle a été portée à la perfection d'un magistral tableau.

Gravés par J. Piel, les deux autres timbres mis en vente à la fin de 1950 comportent une surtaxe au bénéfice de la Croix-Rouge française et sont aux valeurs suivantes :

    8 fr. + 2 fr., bleu-hirondelle : « Alexandre Brongniart », d'après Houdon ;

    15 fr.+ 3 fr., bistre rougeâtre : « L'Amour », d'après Falconet.

Fils de l'architecte qui établit les plans du Père-Lachaise, des grandes avenues des Invalides, de l'École militaire et du palais de la Bourse, et père du botaniste qui fonda la paléontologie végétale, Alexandre Brongniart (l770-1847) fut successivement ingénieur des mines, professeur d'histoire naturelle à l'École centrale et directeur de la manufacture de Sèvres, où il ressuscita l'art de la peinture sur verre, qui avait été, pour ainsi dire, abandonné.

Minéralogiste et géologue — véritable créateur de la méthode en géologie, —il fit partie de l'Académie des sciences et collabora avec Cuvier à la Description géologique des environs de Paris. Il publia d'autres travaux, et notamment un important Traité des Arts céramiques.

Le si naïf et si vivant portrait en terre cuite d'Alexandre Brongniart, enfant, au sourire malin, du musée du Louvre, que montre la figurine, a été modelé par Jean-Antoine Houdon (1741-1828), l'un des plus grands statuaires des temps modernes.

Grand prix de sculpture, membre de l'Académie des Beaux-Arts, Houdon exécuta la statue de Voltaire assis du Théâtre-Français, œuvre d'un puissant réalisme, illuminée par l'expression la plus spirituelle, La Frileuse, et cette Diane qui devint bien vite classique. Au cours de sa longue carrière, il réalisa, en outre, les bustes de nombreux personnages célèbres, tels que Washington, Catherine II, Diderot, Rousseau, Buffon, Franklin, La Fayette, Mirabeau, Louis XVI ... et, sur ses vieux jours, celui de l'empereur Napoléon.

Ces bustes suffiraient à la renommée de Houdon. Observateur profond, analyste subtil, il réussit, selon l'expression de La Tour, cet autre merveilleux portraitiste, à « descendre en ses modèles » et « à les remporter tout entiers ».

Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), de très humble origine, s'instruisit seul malgré l'obligation où il se trouva de subvenir, par son travail, aux besoins de sa nombreuse famille. Puis, il suivit l'enseignement du sculpteur Lemoyne. En 1744, il fut agréé à l'Académie pour son Milon de Crotone.

Ses sculptures n’abondent guère en France ; on les rencontre surtout en Angleterre.

C'est L'Amour Menaçant, destiné à Mme de Pompadour, et dont on peut voir le marbre au Louvre, qui fit écrire à Voltaire sur le plâtre qu'on lui offrit :

Qui que tu sois, je suis ton maître,
Le suis, le serai ou dois l'être.

Cette oeuvre obtint un grand .succès. Ainsi que La Musique et La Baigneuse, avec lesquelles elle voisine aujourd'hui dans la salle des Coustou, et toute cette série de sujets où se mêlent mythologie et badinage, elle a fait autant pour la réputation de Falconet que L'Annonciation de l’église Saint-Roch, à Paris, ou que la colossale statue équestre, en bronze, de Pierre-le-Grand, qu'il exécuta en Russie à la demande de Catherine II et qui s'élève au milieu de la principale place de Leningrad.

Lorsque, déjà âgé et devenu malade, le maître dut renoncer à poursuivre sa carrière, il se consacra à des travaux littéraires concernant la sculpture ancienne et la sculpture moderne. Un de ses écrits les plus estimés est son étude : Sur le bas-relief.

DRAIM.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 379