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Constats de mariage notariés

Pour les vieux Romains, le but du mariage était d'engendrer des enfants. L'homme impuissant, la femme inapte à concevoir ne pouvaient se marier. L'homme devait d'abord être pubère, la femme nubile, non en principe, mais réellement, ce qui était constaté par un examen individuel fait par des personnes compétentes en la chose, qui, habituellement, en consignaient le résultat à un notari ou à un tabulari, surtout quand ce résultat était flatteur, si on en croit Plaute.

Mais, avec le temps, cet usage ne fut plus unanimement suivi. Les Proculiens se contentèrent de la puberté légale, que Justinien fixa à quatorze ans pour les garçons, douze ans pour les filles. Pourtant les Cassiens restèrent fidèles à la constatation de l’habitus corporis et, même, à la consignation de celle-ci devant notaire. Le dernier des Cassiens est notre législateur moderne, qui impose l'examen prénuptial, mais le constat notarié n'est pas encore rentré dans les mœurs.

Sous l'influence de l'Église, la question fut, par la suite, traitée plus libéralement. Au moyen âge, d'après Beaumanoir, bailli de Clermont vers 1279, quel que soit l'âge des époux, « dès lors que compagnie charnelle a esté entre eux, tel mariage ne peut estre dissous ». Et cette compagnie charnelle était souvent l'objet d'un constat notarié, établi sur les déclarations des conjoints ou des témoins. Ce constat servait à la femme devenue veuve pour réclamer son douaire, en vertu de l'adage « au coucher gagne la femme son douaire ». C'est ainsi que le mariage de Jeanne de France, fille de Louis XI, timide et bossue, avec Louis d'Orléans, futur Louis XII, fut, sur l'ordre de Louis XI, constaté par deux notaires du Châtelet qu'il enferma dans la chambre nuptiale, car il s'inquiétait, pour des raisons de haute politique, du peu d'empressement de son gendre à consommer le mariage.

Nous savons que, jusqu'au Concile de Trente, l'Église considéra le mariage comme un contrat purement consensuel. Le moyen âge fourmille de mariages contractés devant notaires, en présence d'un prêtre, et non suivis d'une cérémonie religieuse ou, souvent, très longtemps après, et une glose normande du XVe siècle dit « les solemnitez qu'on fait à l'église ne servent, synon pour confirmer et nottifier ce que les espoux ont fait ».

Après le Concile de Trente, le mariage devint obligatoirement un sacrement. Mais le mariage civil, par-devant notaires, persista en France, pays catholique, mais essentiellement frondeur, comme on sait. Précisément, au temps de la Fronde, un maître des requêtes, Gaulmin, le curé ayant refusé de bénir son union, alla à l'église avec sa fiancée et plusieurs témoins, y déclara à deux notaires, pour ce convoqués, qu'il se mariait in facie Ecclesiae et fit notifier l'acte notarié au curé. Cet exemple fut suivi et on parla longtemps des mariages à la Gaulmine.

Dans l'ancienne France, les fiançailles ont été souvent aussi constatées par actes notariés, et cette coutume a même persisté jusqu'à l'époque révolutionnaire, où l'on trouve encore des actes de notaires ainsi conçus : « Par-devant Me ..., notaire royal à ..., et Me ..., son collègue, ont comparu : le citoyen Y ..., fils de ..., et la citoyenne Z ..., fille de ..., lesquels ont, de l'avis et agrément de leurs dits père et mère, autres parents et amis soussignés, promis de s'unir en mariage à la première réquisition de l'un d'eux. » Si des tiers avaient des observations à formuler au sujet du mariage ainsi annoncé, ils en faisaient déclaration aux notaires.

La plus curieuse constatation de fiançailles fut peut-être celle qui intervint, par-devant notaires, sur dispense du pape entre le fils ou la fille à naître de Clémence de Hongrie, veuve de Louis X, avec le fils ou la fille à naître du régent, le futur Philippe V.

Depuis la Révolution de 1789, les notaires ne font plus de constats de mariage ; seul l'officier de l'état civil a désormais ce droit. Les constats de fiançailles sont complètement tombés en désuétude. Et les actes dit respectueux, que les enfants de vingt et un à vingt-cinq ans devaient faire aux parents récalcitrants, dernier vestige de l'intervention du notaire en vue de la consécration civile du mariage, ont été supprimés par la loi du 2 février 1933.

Paul PIPE.

Le Chasseur Français N°652 Juin 1951 Page 383