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La gastronomie et la chasse

Lorsque le chasseur part pour le marais, il se réjouit de la journée qu'il passera dans la nature et pense déjà aux émotions que lui procureront les approches, les attentes, la poursuite du gibier avec toutes les aventures que cela comporte ; mais peut-il s'empêcher, au fond de lui-même, d'avoir la vision d'une petite bécassine sur canapé, d'un canard aux olives ou d'un salmis de sarcelles dodues ?

J'ai, je l'avoue, mangé beaucoup de sauvagines dans ma vie, contre l'avis des cuisinières qui me disaient, lorsque j'en apportais à la cuisine : « Tout ça sent le poisson. » En réalité, cette appréciation était intéressée. Il fallait enlever tant de plumes à ces oiseaux !

Chaque canard peut porter en lui l'odeur et le goût de fréchin s'il séjourne longtemps en mer où il se nourrit de poisson et d'eau parfumée au mazout. Mais les plus nombreux des canards qui se nourrissent d'herbes du marais, leur lieu de prédilection, sont de goût très fin et d'une chair délicieuse, sauf pourtant dans la période d'amour.

Dans l'ensemble, tous les oiseaux migrateurs au retour, c'est-à-dire au mois de mars, ont un goût particulier. Il est à remarquer que les grives, qui, à ce moment, se nourrissent de graines de lierre, ne sont pas des mets savoureux. Il en est de même des palombes, qui dévastent les plantations de jeunes choux.

On doit illustrer ce qu'on avance en gastronomie en mettant les recettes sous les yeux des gourmets.

Salmis de sarcelle.

— Plumer, flamber, laver les membres, couper la carcasse et placer tous les morceaux dans une casserole dans du beurre avec des échalotes et du persil haché, du poivre, un peu de muscade. Ajouter en pluie une cuillerée de farine que vous mélangez avec le ragoût. Faites cuire dix minutes. Mouillez d'un bon verre de bordeaux blanc. Remuez jusqu'au premier bouillon. Retirez sur le coin du feu, ajouter le jus d'un gros citron et quatre cuillerées de bon bouillon. Laisser cuire doucement jusqu'à complète liaison. Servez chaud. (Laurent Bissât, du Vert-Galant, Paris.)

Civet de canard sauvage.

— Faire rôtir aux trois quarts un canard. Le dépecer par membres. Hacher grossièrement la carcasse et les parures. Faire revenir le tout dans une casserole avec 25 grammes de beurre, une mirepoix de carottes, oignons, céleri, feuille de laurier et un soupçon de thym. Mouillez le tout d'un demi-litre de vin rouge. Faire réduire aux trois quarts. Ajoutez un peu de coulis blond de veau. Faire bouillir à plein feu dix minutes. Passez au chinois et verser la sauce sur les morceaux de canard que vous avez conservés au chaud.

Canard braisé au céleri.

— Faites revenir dans une casserole oignons, carottes, dés de lard, laurier, thym, os de veau. Placez-y le canard, faites-lui prendre couleur. Mouillez à mi-hauteur avec un demi-litre de bon vin blanc sec. Laissez cuire une heure. Sortez le canard, dressez-le dans un plat creux, garnissez-le de quartiers de cœurs de céleris braisés. Dégraissez votre sauce, passez-la, goûtez-la et versez sur le canard. (Présentée par Dalbéra.)

J'ai parlé du canard préparé de façons diverses. Je peux aussi mentionner les oies et les macreuses, dont on m'avait, au point de vue gastronomique, dit tant de mal. Les oies bernaches braisées aux olives sont un gibier fréquentant pourtant la mer. J'avais, en 1935, fait un pari avec quelques amis auxquels j'avais annoncé un plat de bernaches. J'en avais tué une trentaine à Paimpol. Ils arrivèrent comme au sacrifice et, c'est là la meilleure de mes références, ils durent très vite s'avouer vaincus après avoir trois fois repris du plat, arrosé de quelques verres de vin d'Arbois et de Xérès.

D'aucuns pourraient objecter que mes recettes sont un peu compliquées et que la sauce pourrait faire apprécier du « cuir » qui n'est pas couramment mangeable. Je prétends que le siffleur, le souchet, le pilet simplement rôtis sont dignes d'être présentés au plus gourmet des gourmets. Je ne parle pas ici de la bécassine, oiseau de tir magnifique et mets délicieux, mangée au bout du fusil et, au risque d'étonner certains, vidée, rôtie et simplement arrosée d'une goutte d'armagnac. Quant à la menuaille des grèves et du marais, je retiens la barge rousse, le pluvier doré; délicieux petits rôtis.

Les provinces de notre pays reprennent leur caractère et leur vie, et il faut maintenir dans chacune d'elles, comme faisant partie de leur génie propre, la tradition gastronomique régionale, en nous souvenant que la recherche du bien manger est un art et que le développement de tous les arts est la marque d'une civilisation en heureuse évolution.

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 387