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Le merle

Tout de noir vêtu, le merle pourrait, si l'on ne considérait que sa sombre livrée, être mis, parmi les hôtes de nos bois, au même rang que les tristes corvidés. Il a, heureusement, d'autres attraits qui le font aimer et rechercher du chasseur. Aimer, c'est, dira-t-on, une drôle de façon de parler ; car notre amour, à nous chasseurs, est, reconnaissons-le, bien cruel, puisqu'il se traduit toujours par la suppression de la vie. Tout de même, que l'on veuille bien nous accorder que cette suppression n'est pas, pour l'action de chasse, une fin en soi : la chasse a d'autres aspects qui font oublier au chasseur que le coup final qu'il porte est toujours taché de sang. Un sang, d'ailleurs, qu'il n'aime guère voir, car il préfère tenir en mains une victime dont le corps encore chaud paraît ne pas avoir été touché, que celle qui, tirés d'un peu trop près, est par trop souillée de taches sanglantes.

Mais revenons à notre merle. Tout le monde le connaît, car il n'est pas un coin de bois, pas une haie, pas un bosquet, où quelque représentant de sa gent turbulente ne mette sa note vive et sautillante. Les parcs, aussi, et, les jardins ne sont exempts ni de sa visite, ni même de son nid. Et que de fois, en pleine cité, dans les quartiers calmes et coupés de jardins, on voit sa flèche noire franchir les murs de clôture pour passer de l'un à l'autre.

Il est semi sédentaire dans notre pays et il y niche. Cependant son appartenance à la famille des turdidés le fait se déplacer, lui aussi, comme la grive et, en octobre, époque des migrations, nous en voyons bien davantage qu'au début de la saison de chasse. Il est même des régions où on ne le trouve qu'à ce moment-là, ce qui prouve bien qu'il fait partie, lui aussi, de la grande tribu des voyageurs.

Le merle commun est, comme dit plus haut, uniformément noir ; seul, son bec d'ambre jaune met une note vive dans sa silhouette. La femelle est d'un ton moins foncé ; mais, en octobre, on rencontre des merles à la livrée simplement d'un gris ardoisé avec des rousseurs au poitrail. Ce sont ceux-là qui paraissent, surtout, voyager avec les grives. Enfin, on trouve aussi celui que l'on appelle, suivant les régions, merle à collier, merle à plastron et même religieuse, notamment dans le Centre. Il diffère par plusieurs points du merle commun. D'abord par son plumage, dont les plumes sont liserées d'une mince ligne blanchâtre ; en outre, le bas du cou est barré d'une large collerette blanche qui tranche comme celle d'une religieuse sur sa robe noire ; enfin, il a, comme forme, plutôt l'allure grive que merle et rappellerait, par sa taille, son corps moins ramassé et sa queue bien plus longue, la litorne, plumage en moins, bien entendu. Et il est, d'ailleurs, plutôt, comme celle-ci, un oiseau de montagne.

Quant au merle blanc, il n'est pas, en dépit de la commune renommée, un mythe. Ce n'est là, cependant, qu'accident hors nature, plutôt rare, il est vrai, cas d'albinisme parfois partiel n'affectant que quelques plumes, parfois, aussi, total et pouvant aller d'un gris cendré très pâle jusqu'au blanc le plus pur. Mais le merle n'est pas le seul à présenter cette anomalie accidentelle, car peuvent en être atteints tous les oiseaux, et notamment la perdrix, le faisan, l'hirondelle, pour ne citer que ceux-là.

Mais, malgré sa livrée sombre, le merle n'est pas un oiseau triste. Toujours remuant, sautillant, agitant sa queue relevée, il va, caquetant d'une branche à l'autre, courant sous les buissons, le long des haies, au cœur des taillis les plus épais, ne se montrant guère toutefois, car il est méfiant au possible et malin comme pas un. Et ce n'est que lorsque aucun bruit suspect ne se fait entendre, qu'aucun objet insolite ne vient frapper son œil perçant qu'il se décidera, parfois, à prendre le soleil sur quelque basse branche. Pas trop haut, cependant, afin d'être, le cas échant, plus vite de nouveau caché au cœur du fourré.

Au printemps, comme la grive, il remplit bois et taillis de ses claires roulades, chants d'amour d'une pureté incomparable et dont les notes exquises montent dans le calme du matin et du crépuscule. Comme la grive aussi, il vit de baies : sorbes, genièvre, prunelles, alises, sureau, lierre et de vers ; et c'est dans les coins ou pousse quelqu'un de ces arbres ou arbustes garde-manger qu'il se cantonne. Vous le trouverez ainsi toujours dans les mêmes parages, souvent dans le même buisson ou la même haie.

Quant à sa chasse, c'est surtout au poste qu'elle est le plus fructueuse, car, à la poursuite, on ne réussit guère. L'oiseau est très sauvage et se laisse difficilement approcher ; en outre, il se tient la plupart du temps au fourré ; et, s'il est remis dans une haie, il piètera tout le long devant vous pour aller sortir au bout avant que vous y arriviez et du côté opposé à celui où vous vous trouvez. A deux, cependant, on peut le tirer, l'un se postant à l'extrémité de la haie, tandis que l'autre suit celle-ci en allant vers lui ? Et, ma foi, croyez bien que ce n'est pas un coup de fusil très facile, car le merle vole vite, crochète en voyant le chasseur et passe rapidement d'un buisson à l'autre. C'est pourquoi l'affût est plus aisé et fructueux. Là, bien sûr, plus de difficulté. Mais attention, pas le moindre bruit, pas le moindre mouvement visible, sans quoi vous ne tireriez pas souvent. L'oiseau piète longtemps sous le couvert avant de se décider à piquer parmi les baies qui l'attirent ; souvent même il se contentera de ramasser celles qui sont à terre. Et vous l'entendrez caqueter sans arrêt, non loin de vous, sans jamais l'apercevoir. Il faut beaucoup de patience et de calme jusqu'au moment où, enfin confiant, un petit vol l'amènera à portée. Mais voyez le : dès que posé, il reste là quelques secondes à peine sur sa branche, pas très tranquille, tournant, inquiet, sa tête à droite, à gauche ; alors, s'il est bien en vue, profitez de ce moment, très court; mais avec le moins de mouvements possible. Il y voit tellement clair, le malin !

Blessé seulement, il a une rapidité extraordinaire pour se faufiler dans le roncier le plus voisin, et vous n'arriverez à vous en emparer que si vous avez un bon chien ne craignant pas les épines.

Il n'est pas très abondant et ne voyage pas en bandes comme les grives. Et vous tuerez bien plus de grives que de merles. D'aucuns vous diront qu'il vaut mieux ainsi, car ce n'est que faute des unes que l'on mange les autres. Voire ! Car s'il ne vaut pas la grive commune, notre jolie musicienne, n'ayant pas comme elle, sous son plumage, ces rondeurs lisses et blanches de graisse qui font d'elle un mets de roi ; s'il ne vaut pas non plus sa cousine, la grive mauvis aux retroussis cuivrés, il supporte fort bien la comparaison, et souvent à son avantage, avec une draine bourrée de gui ou une litorne amaigrie par les mauvais temps d'hiver. Et pas un chasseur, d'ailleurs, qui ne se refuse à l'occasion à lui envoyer sa grenaille.

Je l'ai toujours, quant à moi, mis avec plaisir dans mon filet et ne me cache pas d'avoir passé des heures à l'attendre. Il me souvient de quelques coins favoris où je guettais ainsi, dans l'aube naissante, sa venue bruyante et rapide. Tel sorbier en plein bois, tel alisier de bordure ont vu maintes fois, sous mon plomb, choir sa petite silhouette sombre, tandis que voltigeaient dans l'air du matin quelques plumes légères. En septembre, notamment, un gros sureau poussé à l'orée d'un grand bois parmi un épais fourré de fougères voyait venir pâturer les merles avant que sorbes et alises fussent mûres. Il fallait, à l'avance, bien dégager le dessous de l'arbuste afin de ne pas perdre les blessés, à la condition toutefois d'y arriver rapidement. Et je restais là, loin de la ville, au sein des calmes étendues sylvestres, tandis que, parfois, la brume matinale des premières journées d'automne entourait de mystère l'immensité des bois. Seul résonnait, dans la grande solitude du vallon, le gloussement des oiseaux se glissant au travers des fougères et des ronciers pour arriver jusqu'au sureau surchargé de grappes noires, ou quelque bruyant battement d'ailes de ramier dans les pins.

Aussi, ne serait-ce que pour ces instants remplis de douceur infinie, le merle restera pour moi un charmant petit gibier auquel je serai toujours reconnaissant de me les avoir procurés.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 392