Il est connu, dans le Chaco austral, sous le nom guarani d'aguarra-eu,
c'est-à-dire : d'aguarra d'eau. Il s'agit du loup américain. C'est un bel
animal, beaucoup plus élancé que le loup commun. Il a la taille et un peu l'allure
du chien policier de taille moyenne ; mais il est plus haut sur pattes et
celles-ci sont fines.
Sa tête rappelle celle du renard, et sa robe, qui porte un
beau plastron blanc, est exactement de la couleur de celle du renard de chez
nous. Ne seraient-ce sa taille et sa hauteur, on lui prêterait beaucoup plus de
ressemblance à ce dernier qu'au loup.
Il est très rapide, se nourrit indistinctement de
quadrupèdes ou d'oiseaux. Il est vorace et se jette sur sa proie avec férocité.
Je l'ai vu avaler gloutonnement un perroquet sans même chercher à se
débarrasser des plumes.
Cet animal se tient aux abords des lagunes ou des cours
d'eau. Je ne l'ai jamais rencontré dans les contrées sèches du Chaco Santiagueno.
Il dort le jour dans les forêts et se met en chasse la nuit. Ce doit être un
ennemi redoutable pour le gibier d'eau et pour les jeunes autruches.
A la Sabana (Chaco austral), un Indien chasseur était venu
nous vendre une petite femelle de coyote ; elle pouvait avoir quelques
semaines, nous l'avions baptisée « China ». Notre cuisinier l'éleva
avec toute une nichée de petits cochons et un jeune chien. Tous ces animaux,
habitués à la chaleur, craignaient beaucoup le froid accidentel des quelques
semaines d'hiver. C'était alors une bataille en règle pour avoir sa place sous
le fourneau de cuisine ; mais, une fois casé, tout ce petit monde dormait
les uns sur les autres.
China grandit et devint une belle demoiselle aguarra ;
mais elle était aussi méchante que belle, aucun humain ne pouvait l'approcher
sans entendre un grognement de mauvais augure et sans qu'elle ne montrât deux
belles rangées de dents dont elle ne demandait qu'à se servir. Seul le chien
avait ses bonnes grâces et je ne sais ce qu'il en serait résulté si le duo
avait duré plus longtemps. Malheureusement, ce chien était utile dans un
campement en forêt, et China fut privée de son flirt.
Elle en fut très affectée ; un autre malheur devait en
outre fondre sur elle ; comme elle regardait les cochons avec une certaine
convoitise, nous avons dû la parquer. Elle devint alors inabordable.
La chaleur nous obligeait, le soir, à transporter nos lits de
camp et nos moustiquaires dehors pour y passer la nuit. Au cours de l'une de
ces nuits, un collègue, récemment arrivé dans le pays et pas encore très bien
habitué à de petites surprises nocturnes, fut réveillé par un bruit insolite.
Non sans effroi, il vit près de lui un animal qui rôdait et deux yeux aux
étranges reflets phosphorescents qui le regardaient. Il lâcha un coup de
revolver : c'était China qui s'était détachée et qui cherchait à entrer
dans la cabane aux cochons. China ne fut pas atteinte ; mais elle devait
mourir peu de temps plus tard : une vipère la mordit à la patte. Jusqu'à
la fin, alors même qu'elle ne pouvait plus déjà se relever, elle grogna et nous
montra ses dents avec haine.
Léon VUILLAME.
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