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L'ère du petit chien courant

Nous entrons dans une ère nouvelle de la chasse avec l'aide du chien. J'entends de la chasse à tir. La multiplication considérable du nombre des porteurs de fusil a contribué à la raréfaction (en certaines régions catastrophique) de tous les quadrupèdes gibiers, du lièvre en particulier, ne laissant survivre que le lapin. Celui-ci est devenu animal sacré, après avoir été voué aux gémonies. Ainsi varient les idées sous la pression des réalités. Voici donc Jeannot lapin au pinacle et objet de tous les soins. Presque pas de lièvres, encore moins de chevreuils et, pour le moment, fort peu de sangliers ; que faire si le lapin n'était pas sous la main ? Bien entendu, cet état de choses a eu sa répercussion sur la production du chien courant de chasse à tir, et singulièrement sur celle du courant à deux fins.

Le petit chien est donc en vogue. Entendons par là celui qui n'excède pas 0m,40, qu'il soit basset ou simplement de taille réduite, tel le beagle. Soit dit en passant, la faveur de ce dernier ne se dément pas. Cette constatation permet d'expliquer l'orientation des goûts, orientation témoignant d'un sens évident des réalités. On ne recherche pas le chien ultra-spécialisé, qui ne serait indiqué que pour le lapin : soit le très petit modèle de 0m,30 par exemple, plus ou moins tors et lent surtout. Les préférences vont au chien ayant un certain train et pouvant passer partout.

L'école du basset, poids lourd et d'agilité réduite, semble bien dépassée. Sans doute celui-ci, bien pourvu en nez et droit dans la voie, peut-il promener à petite allure et faire tirer dans les couverts ni trop escarpés, ni trop denses, tous les gibiers ; mais il y met le temps. Toutefois, un chien à la menée classique, même lente, finira par faire sortir du fourré un lapin récalcitrant qu'un brouillon rapide mais sujet à couper et recouper la voie, ne sortira pas. L'unique basset lent que j'ai possédé n'y manquait pas, lorsqu'il était seul et qu'on patientait. C'était, il est vrai, un sujet merveilleux dans toutes les voies. Par contre, j'ai vu des briquets, dits remarquables, très bons lanceurs sans doute, incapables de faire jaillir un lapin d'un ajonc. Si beaux coupeurs que c'étaient eux qu'on voyait se présenter aux bordures surallant la voie du Jeannot. Preuve qu'un chien, si rapide soit-il, s'il chasse en corniaud, n'a pas le rendement que lui attribuent ceux qui confondent agitation et efficacité.

Cependant, comme il a été dit, qui ne veut pas du petit chien droit dans la voie et en même temps rapide (dont le prototype est le beagle) recherche un modèle intermédiaire, quant au train, entre celui-ci et le fort basset plus ou moins tors et lent.

Nous en sommes donc à voir se dessiner l'avenir d'un basset droit, ou aux antérieurs d'apparence droite, gravitant autour de 0m,35 environ et de modèle léger, en tout cas n'atteignant pas les 0m,40 de la variété si justement appréciée du basset vendéen. Celui-ci est souvent aussi vite que le beagle et présente le prototype du courant à deux fins pouvant figurer sur les deux tableaux : chien de chasse à tir, chien propre au courre du lièvre. Ce n'est pas précisément le plus indiqué pour tirer le lapin dans le fourré très dense, bien qu'il y entre très volontiers. Celui qu'on destine à cette chasse existe depuis longtemps à l'état de variété. Ce n'est pas l’assez volumineux personnage à antérieurs le plus souvent tors, mais un autre léger de corsage, droit et agile, figurant de temps à autre sur les bancs et qui brilla au concours de « rabbit-hunting » de Chambord. Ce chien, dit « à lapin » en son pays, est en réalité bon à tout et passe partout. A souhaiter que les éleveurs le cultivent, tenant compte des besoins du jour. Ceci n'empêchera jamais le basset de 0m,40 de prospérer, les indications d'un petit modèle étant autres. Dût-on recourir à une alliance extérieure, il n'y a pas à en prendre ombrage. Le petit et très agile basset fauve de Bretagne serait un élément de retrempe indiqué, possédant toutes les qualités requises. Sa rareté est malheureusement évidente, et l'on voit avec regret disparaître d'excellents reproducteurs, faute de pouvoir se procurer lice ou étalon. Laissera-t-on disparaître le dernier sous prétexte que la jolie robe fauve expose trop ses porteurs ? Ce n'est, hélas ! que trop vrai. L'abandon de la race est dû aux erreurs des fusils chauds. Depuis longtemps je réclame la mesure salvatrice tolérant la robe blanc-orange vif, que procurerait l'alliance vendéenne avec ces petits bassets légers que produit parfois la province voisine.

Très nombreux sont les amateurs de bassets se comportant absolument en chiens d'ordre, s'ameutant aisément et même se créançant. Ce sont ceux dont les préférences vont aux bassets à poil court. A leur disposition, le basset artésien-normand, d'aspect absolument normand et de même moral, dont le père spirituel a été M. L. Verrier, qui le voulait appeler normand amélioré. Issu du trop volumineux normand qu'était le basset Lane et de son alliance avec le basset Le Coulteux, de physionomie artésienne, avec prédominance du premier sang, c'est un très beau et bon chien qu'il faut seulement se garder de produire trop lourd, plus que mi-tors et trop oreille. Il n'y aurait aucun inconvénient à le produire avec antérieurs d'apparence droite. Ce disant, il me souvient de conversations avec M. Verrier et de l'émotion que lui procurait la présentation de cette opinion qu'il jugeait hérétique. Or, étant donné la taille réduite de ce basset, ses origines, tant d'un côté comme de l'autre, dues à la mutation, il n'y a aucun danger de le voir monter au briquet. Il semble d'ailleurs que les représentants de la race établis, suivant les nécessités de l'heure, dans une formule que ne découragerait pas le talus breton paraissent de temps à autre. C'est un moyen d'étendre les conquêtes territoriales de la race que de les multiplier.

Je ne dirai rien du basset présentant les caractères du Le Coulteux, officiellement condamné. Il reparaît cependant même au sein des élevages où sa présence est réputée indésirable, ce qui, étant donné les lois connues de l'hérédité, n'a rien de surprenant. Ayant longuement pratiqué le chien d'Artois et correspondu avec les éleveurs réputés du premier quart de ce siècle, je retrouve dans ce basset la tête du vieil artésien, sa chasse collée mais cependant perçante. Qu'en adviendra-t-il ? L'avenir le dira. Mais on peut penser que, mort par persuasion seulement, il ne disparaîtra pas complètement.

Reste le basset bleu de Gascogne, renié par beaucoup de sportsmen de sa province, sans doute parce que la mutation à laquelle il doit l'existence s'est produite en Normandie dans l'équipage de grands chiens de Gascogne de M. d'Heudières. Il y a bien des années, j'ai correspondu à ce propos avec M. Lesèble, témoin de l'événement, dont il n'y a pas à douter.

Le type et le moral de ce basset et du gascon sont si identiques qu'il suffit de les étudier pour être convaincu. Au cours des années, les descendants du couple primitif ont seulement pris une physionomie plus légère et perdu du volume, comme l'a fait aussi le briquet, sorti du même chien de vénerie. C'est précisément en Normandie que j'ai eu l'occasion de juger et apprécier un certain nombre de ces bassets bleus de taille plutôt réduite, très typés et, de l'aveu de ceux qui les connaissent, remarquables par leur qualité, la finesse de leur odorat et leur gorge profonde. Chassant en chiens d'ordre, comme on s'en doute, ils n'en sont pas moins lestes et bien allants. J'entends dire qu'on voudrait leur conférer une taille plus élevée et j'ai vu certains produits, conformes à ces désirs, dont le physique n'était pas celui qu'on estime généralement être désirable pour un basset digne de ce nom. Il semble sage donc de le maintenir dans la formule qu'est normalement la sienne, soit 0m,35 environ, taille très indiquée pour le basset de chasse à tir. Pour peu qu'il ne soit pas encombré de poids mort, qu'il soit très peu tors ou pas du tout, que les pieds soient d'aplomb, il est utilisable partout.

A la fin de la première guerre, une alliance entre basset artésien-normand et basset bleu suscita une émotion assez surprenante. D'autant qu'après avoir étudié les intéressés, lu Le Coulteux et M.M. Castets, les affinités morales et physiques entre eux sont évidentes pour tout esprit observateur. L'un et l'autre sont représentants du prototype au crâne en dôme, oreille roulée, à la chasse scrupuleuse. Le milieu ambiant a seulement agi sur la qualité du tissu, la richesse du pigment et sans doute sur la voix, plus grave chez le chien méridional.

J'ai bien observé, il y a vingt ans et plus, quelques mouchetures sur le fond blanc de la robe des artésiens-normands d'un élevage alors très répandu sur les bancs. Tel était, en particulier, un des ténors que j'aurai trouvé illogique de sanctionner pour ce motif. Le croisement n'avait en rien compromis les caractères typiques de ce cheptel, ni certainement la gorge, ni les facultés d'olfaction. Sans doute était-ce le moyen de choix pour écarter certains souvenirs indésirables tels que les crânes plats et épanouis, l'oreille sans pli à extrémité arrondie, venus on sait d'où (1). Pour peu qu'on y réfléchisse, les bassets vendéens et le breton mis à part, et l'artésien dont on ne doit plus parler officiellement, nous restent donc deux bassets à poil ras étudiés dans cette causerie, chassant en chiens d'ordre. Il s'agit de ne pas les perdre parce qu'ils sont irremplaçables. Vu les circonstances, on peut constater un réveil de la popularité de ces chiens susceptibles de faire tout tirer, du lapin jusqu'aux plus grands animaux. Mais les effectifs du basset bleu ne semblent malheureusement pas très fournis. Plutôt que de le laisser dépérir dans la consanguinité longtemps maintenue, mieux vaudrait recourir aux alliances avec celui qui, aux yeux du zoologue, n'en est qu'un parent peu éloigné. Dût-on voir un jour fusion entre les deux, il n'y aurait pas à s'en émouvoir.

Au vu des événements, il est permis de croire au succès de plus en plus affirmé des chiens de petite taille. Toute initiative tendant à en assurer l'avenir est donc louable, dût-elle effaroucher les âmes timides, conservatrices parfaites mais à jamais étrangères à toute hardiesse, en certaines circonstances seule salvatrice.

R. DE KERMADEC.

(1) De l'artésien.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 400