Après la saison fameuse de la « mouche de mai »,
qui, chez nous, dure du 15 mai au 20 juin environ, les résultats obtenus par le
pêcheur à la mouche artificielle subissent une notable régression. Pour réussir
à prendre régulièrement quelques truites, il faut pêcher en mouche sèche et
savoir lancer avec légèreté et précision. Les confrères qui en sont capables ne
sont pas très nombreux, et c'est pourquoi beaucoup d'entre eux recourent à la
pêche aux insectes naturels, que nous dénommons « pêche à la volante ».
Parmi la multitude d'insectes pouvant être utilisés, les
sauterelles ou criquets sont ceux qui rencontrent le plus d'adeptes, aussi bien
pour la facilité de se les procurer que pour leur réelle efficacité vis-à-vis
des poissons de surface. En effet, nul autre insecte n'est pris par eux avec
plus d'avidité quand les eaux sont devenues basses et claires. Cela tient, sans
doute, à la fréquence des occasions que ces poissons ont de les rencontrer dans
leurs rivières ordinairement bordées de pâturages.
Les sauterelles, orthoptères sauteurs, sont bien connues de
tous nos confrères, et il est inutile d'en faire le portrait. On commence à en
trouver, chez nous, dès la fauchaison des prairies, mais ce n'est guère avant
la mi-juillet qu'elles sont devenues assez grosses et assez résistantes pour
bien tenir à un hameçon de taille raisonnable et pouvoir subir plusieurs
lancers successifs sans se déchirer, ce qui demanderait un remplacement
immédiat. Les meilleures sauterelles pour la pêche sont ces vertes, grasses et
dodues, qui se rencontrent principalement dans les prairies en bon état de
végétation. Celles des terrains secs et arides, dures et coriaces, sont
beaucoup moins prisées du poisson. Il faut rechercher ses appâts le matin, à la
rosée, heure où ils sont faciles à saisir, les placer aussitôt dans un
récipient métallique grillagé, en forme de petite bouteille, et avoir la
précaution d'y introduire préalablement quelques brins de luzerne ou de trèfle,
humides qui maintiendront vos bestioles en bonne santé pendant plusieurs
heures.
Suivant l'importance du cours d'eau, le matériel pourra
différer : sur des rives bien découvertes, de longues cannes de 6 à 7m,50,
en roseau ligaturé, souples et légères, feront fort bien l'affaire. Moulinet ou
caoutchouc à la bannière ? Les avis sont partagés, mais je suis partisan
résolu du premier. Bas de ligne long et assez fin : 2 mètres de racine 2
X, nylon 16/100, gut ou crin japonais de même force. Il doit pouvoir retenir,
sans risque de casse, un poisson d'un kilogramme.
Beaucoup de confrères pèchent à la volante sans flotteur ni
plombée ; c'est judicieux, car l'attention du poisson de surface se
concentre sur le seul appât dont il a perçu la chute à distance et il se dirige
aussitôt sur lui. Cependant, le pêcheur dont la vue est imparfaite a tout
avantage à placer sur son avancée, à 1m,25 environ au-dessus de l'hameçon, une
toute petite plume grise, qui indiquera les touches avec plus de sûreté que le
fil seul. Le procédé s'impose d'ailleurs pour tous, en cas de grand vent, de
fortes vagues ou de temps très sombre.
Dans les rivières d'importance moyenne, une canne de 4
mètres ou 4m,50, en roseau de Fréjus léger, suffit parfaitement. Les habitués
de la mouche artificielle pèchent même fort bien à la sauterelle avec leur
petite canne de 3 mètres en bambou refendu et ne sont nullement handicapés, au
contraire.
Un point fort important est le mode de fixation de la
sauterelle à l'hameçon. Disons, tout d'abord, qu'on portera de préférence son
choix sur des hameçons à tige longue, fins d'acier et très piquants ; un
léger avantage, à gauche ou à droite, n'est pas à dédaigner. On peut tout aussi
bien enfiler l'intérieur du corps et faire saillir la pointe vers le fondement
qu'adopter le mode contraire et la faire ressortir par le cou en la dégageant
nettement. Les sauterelles de taille moyenne sont les meilleures, et les numéros
8 où 9 conviennent parfaitement comme grandeur d'hameçon.
En général, on ne plombe pas la ligne, si ce n'est dans les
endroits profonds et sans courant : digues ou levées, afin que l'appât
gagne un niveau inférieur et soit relevé ensuite par saccades. Cette façon de
procéder amène souvent de très belles pièces.
Quoi qu'il en soit, le pêcheur a tout intérêt à lancer le
plus loin et le plus légèrement possible, en évitant que l'ombre de sa canne ne
se projette sur la rivière.
Les poissons de surface et surtout les chevesnes sont fort
ombrageux. Ces derniers, dans certaines rivières, le sont même davantage que la
truite, qui saisit souvent la sauterelle, au tombé, avec brutalité. Ne croyons
pas, cependant, qu'un lancer un peu lourd soit une cause d'insuccès ;
souvent ces insectes, effrayés par le passage du bétail, tombent à l'eau
pesamment et n'en sont pas moins attaqués. D'ailleurs, ils restent peu longtemps
en surface ; en s'agitant, ils s'imprègnent de liquide, sombrent et se
noient assez vite. C'est donc son fil que le pêcheur doit surveiller. Tout
arrêt, tout déplacement, toute tension de la bannière doivent faire supposer
une touche et provoquer le ferrage à bref délai. Le coup de poignet, souple et
net, est donné dans le sens inverse de la fuite du poisson, pour avoir peu de
ratés.
Le plus souvent, les prises du pêcheur à la volante n'ont
rien de sensationnel : 200, 300, 400 grammes sont leurs poids habituels,
et seul leur nombre peut compenser le poids. Il ne faut donc pas hésiter à les
amener carrément quand le bas de ligne est construit pour résister à un
kilogramme de traction. On peut, d'ailleurs se faire suivre d'une petite
épuisette portative légère.
Si, par hasard, le captif dépasse la mesure ordinaire, il
faudra le fatiguer, le noyer selon les règles bien connues et ne l'épuiser
qu'au dernier moment, quand il sera complètement pâmé.
N'oublions pas que, dans l'eau, votre prise ne pèse que son
propre poids diminué de celui du volume d'eau qu'il déplace. Ce sera donc fort
rarement excessif. Le pêcheur qui conserve son sang-froid résiste, cède,
résiste encore, vient presque toujours à bout de retirer son captif, fût-ce
même une belle pièce. En tout cas, je ne puis que le souhaiter à nos confrères
qui auront la chance de voir leur sauterelle happée par un beau poisson.
R. PORTIER.
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