La pratique du voyage à bicyclette n'est pas très répandue ;
quelques centaines de cyclistes, dont la plupart ne sont plus très jeunes, y
trouvent une façon très agréable, très saine et même très utile de passer leurs
vacances, mais la masse est réfractaire à ce genre de distraction sportive. La
méconnaissance d'un si beau moyen de voir du pays est à comparer avec la vogue
toujours croissante du camping, qui compte des millions de pratiquants. Il est
vrai que beaucoup de ces campeurs ne voyagent guère plus que les cyclistes ;
il en est peu qui soient des « itinérants », faisant étape nouvelle,
chaque soir, au hasard de la route. La plupart fixent leur tente, pour toute la
durée de leurs vacances, en quelque région de tourisme ou séjournent dans un
camp organisé, en un village de toile. Autour de ce point fixe, ils font des
excursions, plus ou moins fréquentes.
En somme, le goût de la pérégrination n'est guère développé
chez nous. On ne sort de sa coquille que pour se blottir dans une autre, en toute
quiétude.
Parmi les cyclistes, il y a pourtant beaucoup de jeunes gens
qui sont capables de « kilométrer » sur d'assez longues distances, et
qui aiment le faire. S'ils s'abstiennent de voyager, c'est par peur plus ou
moins avouée de l'inconnu et par crainte précise de la dépense. Il faudrait les
faire revenir de ces préventions.
La crainte de la dépense paraît justifiée. A prendre gîte et
couvert dans les hôtels et auberges, on ne s'en tire pas actuellement à moins
de 1.200 à 1.500 francs par jour, car il faut tenir compte du robuste appétit
que l'on acquiert à pédaler. On peut réduire cette dépense de moitié en faisant
du cyclo-camping, c'est-à-dire en emportant sur sa bicyclette tout le matériel
nécessaire pour coucher et cuisiner en plein air. Mais c'est une solution qui
ne convient qu'à quelques cyclistes auxquels il est indifférent de porter ou de
remorquer une charge de 20 kilogrammes et plus. Ce n'est pas en imposant
d'emblée un tel frein à leur vélocité que l'on convertira beaucoup de jeunes cyclistes
au voyage à bicyclette. L'achat du matériel nécessaire atteint d'ailleurs une
quinzaine de mille francs, et c'est beaucoup pour une « expérience »
que l'on n'est pas sûr de trouver à son goût.
La solution du problème me paraît être dans l'organisation
de ces gîtes d'étape, dont M. Sauvaget, membre du Comité
d'administration de la Fédération cyclotouriste, s'occupe activement. En se
mettant à l'œuvre, M. Sauvaget a bien voulu rappeler qu'il y a quelques années
j'ai préconisé la création de tels gîtes pour cyclistes voyageurs. Mais avoir
une idée n'est pas difficile ; la réaliser est une autre affaire. Il y
faut de la conviction, de l'esprit de suite, du travail, des talents
d'organisateur. C'est ce qu'apporte M. Sauvaget à l'œuvre des gîtes d'étape,
qui, grâce à lui et à la F. F. C. T., prend déjà tournure.
Le gîte d'étape est un local clos et couvert où le voyageur
cycliste, jeune, adulte ou vieux, trouve un lit de camp pour coucher et de quoi
cuisiner les aliments qu'il apporte ; il lui en coûte de 50 à 100 francs
par jour. Il arrive à son heure et part quand il veut, même si c'est à quatre
heures du matin ou en pleine nuit. C'est la société cyclotouriste locale qui
organise et gère le gîte d'étape, et l'on fait appel à toutes les sociétés de
ce genre pour doter leur ville d'un gîte.
Il est évident que, si toutes les villes de l'importance
d'une sous-préfecture avaient leur gîte d'étape, rien ne serait si facile et si
peu onéreux que de voyager à bicyclette ; on ne dépenserait pas davantage
qu'à rester chez soi.
Il faudra du temps pour établir un réseau de gîtes aussi
vaste. En attendant, il faut se garder d'éparpiller au hasard les premières
réalisations. Séparés les uns des autres par de trop longues distances, les
gîtes ne rendraient pas grand service, manquant ainsi à leur rôle de propagande
pour le voyage cycliste. Il faut tout d'abord équiper des itinéraires
Cyclotouristes complets : c'est ce qui a été fait, ou le sera bientôt, sur
Paris-Côte d'Azur jusqu'à Nice. Il n'est guère de cyclistes qui, assurés ainsi
de tous leurs relais, espacés de cinquante en cinquante kilomètres environ,
n'hésitent à faire un premier voyage sur ce parcours illustre. Cette initiation
agréable et facile en fera sans doute des cyclotouristes convaincus qui, plus
expérimentés d'année en année, se plairont aux plus grandes expéditions sur
deux roues.
Il ne faut pas croire, d'ailleurs, que le gîte d'étape
n'apportera son aide qu'au cycliste de condition modeste. En saison de
vacances, même celui qui n'a pas à regarder trop à la dépense ne trouve pas
auberge à son gré. L'étalement des vacances sur trois mois d'été que l'on
s'efforce d'organiser, et que souhaitent les hôteliers, supprimera ou atténuera
peut-être un jour cet inconvénient. Mais, pour le moment, dans toutes les régions
touristiques, on ne peut compter, au mois d'août, avoir place, pour une nuit,
dans un hôtel de villégiature qu'emplissent surabondamment ses pensionnaires.
Le plus accueillant des hôteliers n'y peut rien.
Les gîtes d'étape feront donc l'affaire des voyageurs à
bicyclette, de ces errants de la route que leur fantaisie, leur désir de voir
et, peut-être, leur humeur inquiète mènent de village en village à travers
toute la belle France.
Mais il faut se garder de croire qu'il suffira d'établir des
gîtes pour qu'ils connaissent le succès. Il faut se souvenir que quelques
relais de cette sorte ont déjà été mis à la disposition des cyclotouristes,
puis ont disparu parce qu'ils n'avaient pas de clients. Cet échec résulta de ce
que de rares gîtes, fort éloignés les uns des autres, ne permettaient pas de
faire un voyage par étapes sur un itinéraire de longue distance ; et aussi
de ce qu'on n'avait pas fait suffisamment connaître l'existence de ces gîtes.
Il faudra donc non seulement espacer judicieusement les
gîtes, et d'abord sur les grands itinéraires classiques, mais aussi faire une
propagande soutenue pour leur utilisation, appeler sans cesse l'attention des
cyclistes sur leurs avantages, organiser des voyages en groupe sur leurs
parcours, faire en somme entrer dans les habitudes de vacances celle de faire
un beau voyage cycliste, de gîte d'étape en gîte d'étape. C'est une œuvre à
entreprendre et à mener à bien par la Fédération et les sociétés de
cyclotourisme.
Dr RUFFIER.
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