Matelotage

Un vrai yachtman doit savoir se servir d'un filin pour exécuter les nœuds usuels, les amarrages et les épissures. La science des nœuds, ou matelotage, demande une grande pratique, car il faut arriver à les exécuter rapidement par un simple jeu de réflexes. C'est pendant l'hivernage que le plaisancier doit s'entraîner, avec l'aide d'un marin de préférence ou, à défaut, en consultant un manuel de matelotage dont les illustrations devront être assez claires pour lui permettre de se débrouiller tout seul.

Bien que le nombre des nœuds soit pratiquement illimité, et qu'il soit bon d'en connaître le plus possible, on se contentera, pour commencer, des cinq nœuds indispensables : nœud plat, demi-clefs à capeler, nœud d'écoute simple, nœud d'écoute double et nœud de chaise simple.

Le nœud plat sert à réunir deux bouts de filin de même dimension. Ne pas confondre avec le nœud de vache, qui a moins de solidité. Les demi-clefs à capeler servent à faire dormant sur un espars avec le double d'un cordage ; dormant solide à condition que les deux bouts travaillent. Le nœud d'écoute simple ou double sert à fixer l'écoute sur le point du foc ou de la trinquette. Il sert aussi à réunir deux filins de grosseur différente. Bien fait, il est très solide. Il se défait aisément, mais le cordage est très plié. Ce nœud passe facilement dans les écubiers et les chaumards ; il est constamment employé. Le nœud de chaise simple est le plus souvent employé pour faire un œil à l'extrémité d'un cordage. Il est très solide et on peut toujours le défaire ; on peut en faire la boucle grande à volonté. Pour envoyer un homme dans la mâture, on fait un nœud de chaise double. Pour apprendre à faire ces nœuds, il suffit de regarder les dessins des manuels spécialisés, ou tout simplement les illustrations du dictionnaire Larousse.

En dehors de ces nœuds usuels, un yachtman doit savoir faire les épissures, qui servent à réunir deux morceaux de cordages en un seul, ce qu'on appelle faire « ajut ». Le cordage peut aussi être fixé sur lui-même en formant une boucle ; dans ce cas, on dit qu'il « fait un œil ». On doit donc connaître les trois épissures suivantes : l'épissure carrée pour réparer une amarre ou une manœuvre dormante, l'épissure longue pour réparer une manœuvre courante sans augmenter son diamètre pour lui permettre de passer dans les poulies, enfin l'épissure à œil qui sert à faire un œil dans un cordage pour y adapter une cosse ou un croc.

La confection des épissures nécessite l'emploi d'un matériel particulier. Comme nous ne visons pas le fignolage et le fini du professionnel et que nous ne rechercherons que du convenable et du solide, nous nous contenterons d'un seul outil, l'épissoir. C'est un gros poinçon en bois ou en fer pointu d'un bout qu'on engage entre les torons d'un cordage pour les écarter.

Pour faire l'épissure ordinaire, dite carrée, avec un filin en trois (c'est-à-dire formé de trois torons), on commence par surlier les extrémités des torons pour les empêcher de se détordre. Décommettre les deux extrémités des cordages à réunir. Les croiser en ayant soin de placer les torons de l'un des bouts dans les intervalles des torons de l'autre (fig. 1). On fait alors une passe entière, c'est-à-dire qu'on passe une fois chaque toron décommis sous les torons de l'autre non décommis. Il suffit de continuer et, lorsqu'on a passé les trois torons sous les autres, on obtient ainsi une nouvelle passe. On coupe ensuite les bouts des torons en excédent. Pour un filin en quatre brins, on coupe les mèches centrales, on rapproche les extrémités des deux cordages et on procède comme avec un filin en trois. Quand les filins ne doivent pas supporter de très grands efforts, on peut, après chaque passe, couper un certain nombre de fils de caret des torons, afin de diminuer graduellement la grosseur de l'épissure.

Pour faire une épissure longue avec un cordage en trois, préparer les extrémités comme précédemment, mais sur une plus grande longueur, celle-ci variant avec le degré de résistance recherché. Le minimum à décommettre sera de sept fois la grosseur du cordage (cette, grosseur étant la longueur de la circonférence de la section) s'il s'agit d'un cordage en trois, et de dix fois pour un cordage, en quatre. Plus la longueur décommise sera importante, plus résistante sera l'épissure. Rapprocher les extrémités décommises comme pour l'épissure carrée, puis substituer un toron d'un des cordages au toron correspondant de l'autre, jusqu'à une distance égale à la moitié de la longueur totale de l'épissure prévue. On croise les deux torons par un demi-nœud ; on fait une passe ou une demi-passe avec chaque bout et on coupe l'excédent (fig. 2). On opère de même pour les deuxièmes torons, mais en avançant à l'opposé. Les troisièmes vont à la rencontre pour se nouer, avant les passes, au milieu de l'épissure. Avec du filin en quatre, on coupe les mèches ; on enroule deux torons adjacents de chaque cordage à la place de deux torons adjacents de l'autre. On opère ensuite comme précédemment en espaçant également les quatre demi-nœuds. Pour faire un œil à l'extrémité d'un cordage, décommettre sur une certaine longueur l'extrémité de ce cordage, le replier pour former l'œil de dimension voulue en plaçant une cosse s'il y a lieu, et le greffer sur le double du cordage par une épissure carrée. Pour le cordage en trois, chaque toron entre dans un créneau et passe « sous un », ce qui fait la première passe ; on fait ensuite la deuxième passe entière (fig. 3). Avec un cordage en quatre, les quatre torons entrent par les trois créneaux les plus à portée. Il y a donc un créneau où entrent deux torons. On passe d'abord un de ces deux torons « sous deux », l'autre « sous un », le troisième et le quatrième « sous un » de façon à faire sortir les quatre torons par les créneaux. On fait ensuite la deuxième passe, chaque toron « sous un » (fig. 4).

Voilà qui paraît bien compliqué. Mais prenez un vieux filin, reportez-vous aux dessins ci-contre, qui sont plus explicites que ne peut l'être le texte, et essayez de faire pour commencer une épissure carrée. Elle ne sera peut-être pas très élégante, mais elle tiendra. Ce n'est que par une longue pratique que vous connaîtrez la science du matelotage. Mais, avant de manier l'épissoir, retenez quelques conseils. Prenez garde aux cordages métalliques. Toute blessure, même légère, faite avec un fil d'acier doit toujours être soignée le plus tôt possible. Ne faire une épissure qu'avec un cordage bien sec. Souvenez-vous que tout cordage perd de sa force dans un nœud, d'autant plus qu'il est plié. Un cordage épissé perd un huitième de sa force dans l'épissure. Il faudra tenir compte de cette diminution de résistance quand vous ferez l'inspection de vos manoeuvres courantes et dormantes au moment de la mise au point de votre bateau.

A. PIERRE.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 415