La théorie désignée sous ce vocable par un professionnel de
l'apiculture, M. Muller, bouleverse un tant soit peu les idées classiques
admises jusqu'à présent. La publication de ses fascicules a provoqué des
controverses animées dans les périodiques apicoles. Si tout le monde n'admet
pas entièrement cette loi de la grappe, on est bien obligé de convenir qu'elle
éclaire d'un jour nouveau notre point de vue sur le comportement des abeilles
et peut ainsi aider à améliorer le rendement obtenu jusqu'à présent par une
conduite simple et naturelle des abeilles.
Cette loi peut s'énoncer en quelques mots : l'abeille
n'est qu'une cellule d'un être organisé : la grappe. On peut donc,
théoriquement, comparer cette dernière à un corps d'animal. L'abeille ne peut
vivre longtemps séparée d'elle et n'a pas d'intelligence propre, mais c'est la
grappe qui pense, décide et commande ; c'est ce que nous-même avons appelé
« l'esprit de la ruche » dans nos précédentes causeries.
Partant donc de ce principe que l'abeille n'est rien seule,
mais qu'il faut considérer l'ensemble de la colonie, « la grappe »,
comme un être vivant, il faudra changer notre façon de pratiquer l'apiculture
lorsque nous connaîtrons bien notre « animal » et la manière dont il
vit et réagit en faisant abstraction, par ailleurs, de toute idée préconçue
basée sur notre précédent bagage classique apicole.
Une preuve, d'abord, de l'existence de la grappe par sa vie
propre, indépendante de celle des abeilles : voyons une colonie en hivernage
par 0° ; normalement, d'après les lois de la physique, la chaleur doit
monter, donc, la température la plus forte devrait se trouver dans le- sommet
de la ruche ; or ceci est inexact : des expériences pratiquées, il
ressort que la température la plus élevée est au centre de la grappe ou cœur de
notre animal, et va en décroissant par couches concentriques pour arriver à la
température de l'extérieur dans les coins de la ruche non occupés par le groupe
d'abeilles, à part le sommet, qui accuse quelques degrés, le miel faisant
office d'accumulateur de chaleur. Cette expérience nous prouve donc l'existence
propre de la grappe, qui est autre chose que la réunion d'un certain nombre d’abeilles.
De ce fait, nous allons tirer bien des enseignements
pratiques. Nous devrons considérer que la ruche est une enveloppe recouvrant
notre animal : la grappe, et non un logement. Il s'ensuit que les ruches à
doubles parois ou calorifugées n'ont pas leur raison d'être et sont une dépense
inutile puisque les portions intérieures inoccupées sont à la température
extérieure. De plus, nous devrons supprimer le vide au-dessus des cadres pour
que le peu de chaleur emmagasinée dans le miel ne s'en aille pas en pure perte
et pour éviter les courants d'air néfastes. De même, les vides entre les cadres
et les parois de la ruche sont une hérésie, sauf peut-être avec le cadre
Hoffmann, qui est jointif, et si l'on a, supprimé l'espace au-dessus des
cadres.
Ceci nous amène à conclure que nos ruches à cadres
actuelles, ne correspondent pas à l'idéal et devront être transformées si nous
voûtons le bien-être et le confort de nos colonies et, par voie de conséquence,
un meilleur résultat par l'exploitation logique des abeilles. La forme de la
grappe est sphérique ; donc, pour le nid à couvain, il faudra s'en
rapprocher autant que possible ; en pratique, avec le bois comme matériau,
il serait difficile, au point de vue technique de fabrication, d'adopter la
forme ronde ; en attendant mieux, il semble que c'est le carré qui
conviendrait le mieux.
Les paniers de nos pères offraient plus de confort que nos
ruches modernes d'après la loi de la grappe : forme sphérique, pas de
vides supérieurs ni sur les côtés, les gâteaux étant soudés aux parois, moins
d'espace sans abeilles. Il en résultait un meilleur hivernage, une consommation
moins élevée et une reprise plus précoce de la ponte au printemps. Est-ce à
dire qu'il faille abandonner nos ruches à cadres et notre commode extracteur
pour revenir aux antiques paniers et faire la récolte d'une manière peu ragoûtante
en broyant à la main les rayons de miel au-dessus d'un tamis ? Non, la
vérité doit se trouver dans un juste milieu ; la parole est aux
expérimentateurs désintéressés. L'auteur de la loi de la grappe, M. Muller, a,
de son côté, fabriqué une ruche basée sur sa théorie.
Reprenons la description physique de la grappe considérée
comme un être organisé. Il prend naissance sous la forme d'un essaim qui, tout
comme un jeune poussin, renferme sa première nourriture. Dès qu'il est
installé, il dégage une chaleur apte à produire les premiers rayons de cire qui
formeront, si l'on peut dire, le squelette de son corps. Il tapisse les parois
de la ruche avec de la propolis pour imperméabiliser son habitat.
La grappe règle sa température et l'humidité à l'intérieur de
la ruche selon ses besoins. Fait-il froid ? une partie des abeilles
l'empêche de pénétrer en créant un léger courant d'air chaud par un bruissement
d'ailes, lequel fait équilibre à l'air froid et l'empêche de pénétrer dans la
grappe. Dans les pays chauds, c'est par le même procédé que l'excès de chaleur
est chassé au dehors lorsque la température extérieure est plus élevée que
celle nécessaire au couvain.
L'existence de la grappe nous est encore prouvée par ceci :
la vie propre d'un de ses membres ne compte pas ; la reine ne donne plus
satisfaction ? une autre est élevée et la vieille chassée. Une abeille
est-elle malade ? elle sera de même expulsée sans ménagements pour éviter
de contaminer la grappe, tout comme, chez un humain, un membre gangrené est supprimé.
Ainsi que tout autre animal, la grappe naît, grandit, puis
meurt. En effet, petit à petit, la cire vieillit et devient un foyer
d'infection, la reine devient bourdonneuse ; c'est alors la fin, et la
fausse teigne a vite fait de dévorer les rayons ; le cycle normal est
terminé.
Par ce court exposé, nous pensons avoir donné une idée de la
loi de la grappe, qui nous ouvre des horizons nouveaux sur le mystère de la
ruche.
Roger GUILHOU,
Expert apicole.
|