Accueil  > Années 1951  > N°653 Juillet 1951  > Page 430 Tous droits réservés

Automobile

Où en sommes-nous ?

En cours d'année, il est parfois utile de faire un tour d'horizon afin de tirer quelques conclusions sur les tendances de la construction automobile. Surtout que le dernier Salon automobile n'a pas été très gâté par l'apparition de nouveaux modèles. Au contraire, c'est seulement depuis le début de l'année que des productions nouvelles sont apparues sur le marché. D'autre part, les délais et les conditions de livraison de véhicules neufs sont en plein bouleversement. Pourtant l’année 1951, si rien de grave n'arrive, verra les records de production battus, et de loin, puisqu'on escompte voir livrer quelque 400.000 automobiles contre 260.000 voitures particulières en 1950 et 187.000 en 1949. Seule la pénurie de quelques matières « stratégiques » : tôles fines, métaux non ferreux, aluminium, aciers spéciaux, reste un écueil sérieux. Il n'est d'ailleurs pas infranchissable. Pour l'instant, l'augmentation des tarifs reste une chose, hélas ! tangible. La dernière date de quelques semaines. Elle est relativement peu sensible et, mon Dieu ! elle serait très supportable si l'usager avait la certitude que c'est bien la dernière. Beaucoup plus graves sont les impôts et super-impôts qui nous guettent : taxe sur les carburants, taxe sur les cartes grises, taxe sur les véhicules neufs, taxe sur les mutations. A quelle sauce serons-nous assaisonnés ? Pour l'instant, on nous prépare les ingrédients. A la fin et au lendemain des hostilités, lorsque le dirigisme était roi, et où il importait d'éviter le gaspillage de matières premières et d'efforts, les pouvoirs publics avaient établi un plan de production pour l'automobile. Le plan pouvait d'autant plus facilement se contrôler qu'il existait encore, à l'époque, les fameux « bons matières ». Chaque grande marque ne pouvait produire que des modèles d'une puissance bien déterminée. La lutte semblait circonscrite entre eux. Mais, depuis, chacun semble avoir repris sa liberté. Mieux ! la concurrence, qui pourrait bientôt se préciser, fait que certains constructeurs commencent à prendre position. Les derniers-nés s'apprêtent aux luttes de demain. Il y aura des ripostes et des parades. Tant mieux ! Il y a si longtemps que l'usager n'a guère droit à la parole.

C'est dans les deux litres de cylindrée que les hostilités vont probablement débuter. La nouvelle venue, la Renault Frégate, apparue quelques instants après l'extinction des lampions du dernier Salon de l'automobile, va devenir une dangereuse rivale pour le règne incontesté jusqu'à ce jour de cette fameuse 11 CV traction avant Citroën qui, telle une vieille et grande coquette, ne semble guère disposée à mettre bas les armes. La Frégate se présente avec une ligne moderne aux ailes intégrées. Elle est large et spacieuse puisqu'on prévoit trois places sur chacune des deux banquettes. Son habitabilité se rapproche de la Vedette Ford. Notons que, les dossiers des sièges s'abattant, il est possible d'obtenir aisément des couchettes. On nous annonce une vitesse de pointe de 130 kilomètres à l'heure, ce qui est bien ; une consommation de 10 litres au 100 avec une vitesse moyenne d'utilisation de 80 kilomètres a l'heure, ce qui est mieux. Le moteur est à l'avant. La 4 CV n'a donc pas fait école sur ce point. Quatre vitesses, la quatrième étant surmultipliée. La transmission est à cardans et comporte un relais suspendu. Les quatre roues sont indépendantes. La suspension est du type à ressorts hélicoïdaux aidés d'amortisseurs télescopiques. Réservoir de 55 litres. Pneus de 640 x 15. Le silence aurait fait l'objet de recherches et de soins très poussés. Va-t-on assister à un combat naval Frégate contre Vedette ? Très probablement. La 8 cylindres Vedette Ford est bien connue de nos lecteurs. Sa cylindrée de 2l,158 contre 1l,997 pour la Frégate, avec des taux de compression de 7 pour l'une et 6,8 pour l'autre, donne 68 CV effectifs contre 60. Le prix viendra départager les concurrents. Ne parle-t-on pas de 600.000 francs pour la nouvelle Renault contre plus de 710.000 pour la 12 Ford ? La lutte sera chaude, surtout qu'à Poissy on ne restera pas les bras croisés. La Vedette 1951 se voit dotée d'une douzaine de nouveaux accessoires : climatisation à turbine qui souffle de l'air chaud en hiver et de l'air froid en été ; pare-chocs enveloppants, phare de recul, feux de position clignotants, coffre éclairé, plafonnier commandé par les portes, etc. Et, pour 1952, ne nous dit-on pas que la voiture qui succédera à la Vedette d'aujourd'hui sera plus nerveuse dans les bas régimes, cependant que la pédale d'embrayage aura disparu ? Mais voici déjà qu'à l'horizon une autre étoile se lève : la Simca 9 Aronde. C'est une 1.220 centimètres cubes, c'est à dire de même cylindrée que la Simca 8. Cependant sa puissance réelle passe de 41 à 45 CV et sa vitesse de pointe atteint le 120. Même moteur, en somme, mais plus poussé. Roues avant indépendantes avec suspension à l'avant par ressorts hélicoïdaux. Le slogan probable de cette nouveau-née portera sur son manque d'appétit. On annonce une consommation de 7l,800 pour une vitesse moyenne de 80 kilomètres à l'heure. Sa ligne, entièrement nouvelle, se rapproche de la Fiat 1.400, si répandue en Italie. L'habitabilité est améliorée avec une caisse plus spacieuse. Adieu les petits baquets de pieds ! La nouvelle Simca mordra assez peu sur la clientèle de la 2 litres, quoique, avec le désir ou la nécessité de faire des économies, il n'est pas impossible d'assister à un glissement de clientèle avec des cylindrées plus réduites. Par contre, le choc se produira fatalement avec la 203 Peugeot, chez laquelle on retrouve un peu les mêmes caractéristiques. Mais, si l'on en juge par les délais de fabrication actuels, nous n'en sommes qu'à la guerre froide. La chaude n'est pas encore pour demain.

Chez Citroën, pas de changement. On travaille toujours sur quelques prototypes présentement aux essais. On semble vouloir rester fidèle à la formule traction avant, à carburateur classique. On délaisserait le diesel, par trop délicat et qui ne pourrait s'adresser, dans l'état actuel, qu'à des initiés. La cadence de production est de l'ordre d'environ 250 véhicules pour la 11 et la 15. L'objectif des 2 CV, qui reste, aux yeux de cette maison, comme la voiture populaire par excellence, est les 1.000 par jour. Pour le moment, on se contente de 55 par jour, pour atteindre bientôt 80, puis 150 et 200 pour le Salon 1951. Les difficultés rencontrées dans la mise en route de l'outillage commandent le développement des chaînes. Les délais de livraison des 11 et 15 ne sont pas fixés. On parle de deux à trois ans. Ne soyons donc pas pressés. Pour la 2 CV, on inscrit seulement les candidats. On déterminera ultérieurement les bénéficiaires d'une priorité. Chez Simca, on monte à 140 journellement. On espère mieux au Salon prochain. Avec la 4 CV Renault, on jongle avec les séries : standard, luxe, grand luxe, décapotable. Alors que cette dernière est livrée rapidement, il faut attendre huit mois pour la grand luxe ; pour la luxe, un an à un an et demi ; quant à la normale, nous sommes dans le domaine de la fantaisie. Les 400 voitures qui sortent chaque jour des usines de Billancourt sont donc absorbées sans faire ouf ! par un marché toujours aussi vorace. Le mois prochain verra peut-être enfin la sortie en série de l'Hotchkiss-Grégoire tant attendue ! On en parle depuis plusieurs années. Son prix sera de l'ordre de 1.200.000 francs. Elle restera donc une voiture de luxe. Chez Salmson, la nouvelle 12 CV E. 72, type randonnée, supplantera petit à petit la S 461 dont elle est une variante améliorée. Chez Panhard, qui rencontre un accueil des plus flatteurs chez les usagers amateurs de bonne et belle mécanique désirant un véhicule économique, on a atteint le rythme de 50 unités par jour. On parle aussi d'une nouvelle 8 CV aux lignes révolutionnaires.

Pour terminer, quelques chiffres significatifs. Si l'on prend comme unité l'ouvrier-année — soit 2.200 heures de travail en Europe et 1.600 seulement pour les États-Unis, — il faut, pour produire une voiture : 0,90 ouvrier-année en Allemagne, 0,73 en France et 0,15 aux États-Unis. Pour bien apprécier ces chiffres, il faut remarquer qu'outre-Atlantique la voiture considérée est plus importante et, souvent, plus perfectionnée que la nôtre et qu'en Allemagne elle est mieux finie.

Comme quoi nous avons encore beaucoup à faire sur le chemin de l'organisation du travail et de l'outillage. De grands efforts sont faits pour combler un pareil retard et nul doute que nous n'enregistrions bientôt d'excellents résultats en ce sens.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 430