Un morceau de France battu par les tempêtes de neige ou
voilé de brumes printanières, un groupe d'Îles dont la principale n'a pas 40
kilomètres de long sur 24 de plus grande largeur, telle est, séparée de
Terre-Neuve par un détroit de 25 kilomètres de large, notre lointaine
possession d'Amérique : Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le climat y est rude. La cause en est dans le courant froid
du Labrador qui baigne ses côtes et les masses d'air polaire qui descendent de
l'Arctique. Le froid pourtant n'y serait pas d'une rigueur excessive s'il n'y
avait l'humidité. Quant à la mer, elle n'y gèle qu'exceptionnellement tous les
vingt ans. Et la glace qui se forme à la côte ne saurait gêner sérieusement la
navigation, glace qui prend, selon l'expression de M. Aubert de La Rüe, qui
consacra à l'étude de ces régions de nombreuses années, « l'apparence de
grandes feuilles de nénuphars, élégantes, mais fragiles ». A l'est, vers
Terre-Neuve, dérivent les icebergs arrachés aux glaciers groenlandais.
C'est au cœur de l'hiver que s'abattent parfois les fameuses
tempêtes de « poudrin », d'une neige si fine qu'elle s'insinue
partout et pénètre à l'intérieur des maisons, et si dense au milieu des rafales
qu'il est fort aisé de s'y égarer. C'est, à la latitude de 47° de latitude
nord, un véritable blizzard polaire.
Au printemps, succède un été dont la température n'excède
guère plus de 20°. Mais ce qui sans doute pèse lourdement sur l'âme de ces
insulaires, ce sont les longues journées d'une brume (cent par an environ) qui
peut persister des jours durant en été, où s'accrochent les acres relents de
saumure, cependant que la sirène jette sa grande lamentation. Ajoutons à cela
les aurores boréales assez fréquentes dans le ciel de l'archipel, et nous
aurons dit l'essentiel de sa climatologie.
Dès le XVe siècle, des pêcheurs normands et
bretons abordèrent à ces rivages qui ne comptaient pourtant en 1693 que « cent
cinq grandes personnes ». Rien n'a changé depuis lors sur ce vieux sol
volcanique, à la côte découpée, au faible relief, puisqu'il ne dépasse guère
250 mètres, encore que certaines de ses éminences, ou « mornes »,
paraissent ici presque des montagnes. Cependant la forêt, qui jadis devait le
recouvrir entièrement, a considérablement diminué, découvrant les multiples
étangs. Si sa flore reste dense, elle est surtout rabougrie. Et d'elle on
pourrait presque dire — comme de toutes les régions arctiques — que l'on y
marche sur la cime des arbres en maints endroits. Cette flore est faite, de bouleaux
et conifères nains, de fougères, de ronces arctiques et myrtilles, de plantes
de tourbière, de violettes et de marguerites, d'iris et de roses sauvages, de
mousses à perte de vue, en somme toute végétation rappelant assez bien un
paysage de toundra. Mais une autre végétation s'y épanouit dans le jardin
potager que possède chaque habitant, où rien ne surprend notre regard, puisque
l'on y découvre des légumes de chez nous : carottes, petits pois, salades,
oignons, choux, etc. ... Quelques vaches à l'étable, des lapins sur la
lande, des oiseaux migrateurs que fournira la chasse, des poissons pris à
l'étang ou péchés dans la mer, en faut-il plus pour vivre ? Tout irait
bien si là, comme en bien d'autres terres boréales, n'abondaient des légions de
moustiques à l'agressivité sans relâche.
Nombreux rongeurs, absence de reptiles, truites abondantes,
c'est là le plus clair de la faune sauvage.
Trois îles principales forment l'archipel :
Saint-Pierre, Miquelon et Langlade, auxquelles il faut ajouter une dizaine
d'îlots. Bien que n'étant pas la plus étendue, Saint-Pierre est le chef-lieu,
avec ses maisons de bois; ses 3.500 habitants et ses 20 kilomètres de route. Un
îlot protège sa rade, l'île aux Marins, qui compte 250 pêcheurs, descendants
des « Pieds Rouges », ou Normands de la région de Granville.
Quant au village de Miquelon, il est, au milieu des
tourbières, le seul endroit habité et ne compte- guère plus de cinq cents
personnes. Morne étendue, que son île ? Non pas, puisqu'une colline de 250
mètres y fait figure de montagne, la « grande montagne », comme
l'appellent les Miquelonnais.
La souche originelle des habitants prend racine dans une ou
l'autre de nos provinces, plus spécialement Normandie, Bretagne et surtout Pays
basque. Généreux, accueillants, avec un tantinet d'esprit critique à l'égard de
leurs administrations, tels sont-ils, et plus spécialement les Saint-Pierrais,
fermement attachés d'ailleurs à la métropole. Leur langue si voisine de celle
parlée au continent, a pourtant ses caractéristiques et possède des expressions
très originales et évocatrices puisées le plus souvent dans le langage maritime.
La vie de ces hommes est basée essentiellement sur la pêche
à la morue, qui se fait avec ces embarcations à fond plat, de 6 à 7 mètres de
long, que sont les doris montés par deux hommes. Le profit n'en est d'ailleurs
pas très grand, même si l'on y ajoute la pêche à l'églefin et autres.
Aujourd'hui, l'élevage du renard argenté, d'introduction récente, donne des
espoirs qui paraissent fondés et assure une partie de l'exportation.
Telle est, à quelques milliers de kilomètres de Paris, ce
lambeau de terre française où le voyageur de passage aura plaisir à retrouver,
au milieu de cette population pittoresque et sympathique, le chant âpre et rude
de nos parlers régionaux.
Pierre GAUROY.
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