La perle fut certainement la première gemme connue de
l'homme, car on la retrouve dès les premiers récits historiques. Probablement
découverte accidentellement par un mangeur d'huîtres des côtes de l'Inde.
Les Orientaux ont été les premiers à savoir recueillir ces
joyaux et à les savoir apprécier. La preuve en est apportée par les Védas,
livres sacrés des brahmanes, ainsi que par les deux grandes épopées hindoues Ramayana
et Mahahhrata. La légende hindoue attribue cette découverte à Krishna, qui l'aurait
cueillie au fond de l'océan pour l'offrir à sa fille Pandaïa, au jour de son
mariage.
Plus de deux mille cinq cents ans avant notre ère, les
Chinois s'en servaient pour payer leurs impôts, comme talisman contre le feu et
les fléaux de la Nature. Pour eux, elle avait surgi dans le cerveau du dragon.
Monnaies et médailles perses de haute antiquité les montrent
ornant les oreilles des reines de Perse. La Bible parle des perles, aux livres
de Job et dans les proverbes de Salomon. Saint Matthieu la mentionne dans le
rapport d'une parabole du Christ. L'auteur grec Théophraste en fait également
état.
Chez les Romains, on vit Pompée en offrir de pleines
corbeilles, issues du palais de Mithridate, au Jupiter capitolin ; aux
dires de Pline, ce même Pompée avait revêtu un collier de trente-trois rangs,
lors de son triomphe. César en interdit l'usage aux vieilles filles ayant moins
de cinquante-cinq ans ; Caligula en parait ses chausses ; Néron en
faisait sertir son sceptre ; le diadème et le casque de Constantin en
étaient recouverts.
Ultérieurement, Byzance en fut le marché mondial. Aux XIIe
et XIIIe siècles, les Croisés émerveillés les firent connaître en Occident.
C'est ce qui explique que nombre de reliques rapportées de Palestine eurent des
châsses ornées de perles, considérées comme le plus magnifique joyau.
Il y a des perles célèbres, mais plus souvent par leur
histoire que par leur magnificence. Celles dont nous détenons le récit le plus
ancien se rapportent aux deux perles en poire ayant servi à orner les oreilles
de Cléopâtre, selon Pline. Elle les avait eues par héritage des rois de
l'Orient. Pour faire assaut de prodigalité avec Marc Antoine, lors d'un festin,
la légende veut qu'elle en détacha une, la fit dissoudre dans du vinaigre et
l'avala. Heureusement que Lucius Plautus sauva la seconde. Il l'emporta à Rome,
et Auguste la fit scier en deux pour orner, au Panthéon, la Vénus de Praxitèle.
Elles étaient estimées 10 millions de sesterces, soit 250.000 écus d'or du
temps de François 1er, et 2 milliards de francs de 1950 ...
En 1579, le roi d'Espagne Philippe II acheta la « Pérégrina »
(l'incomparable), pesant 36 carats ou près de 7 grammes. Ce fut une
merveilleuse affaire car, estimée 50.000 ducats, elle n'en fut payée que
14.400.
Catherine de Médicis, épousant le futur Henri II, eut la
plus belle collection connue, dont deux en poire de 92 et 96 grains. Données
plus tard à Marie Stuart, elles furent réputées porter malheur.
Ainsi une centaine de perles exceptionnelles ont une
histoire. Actuellement, c'est la collection Hope qui possède la plus grosse, de
forme baroque et pesant 1.800 grains. Après elle existe la Régente, rapportée
de Berlin par Napoléon 1er et pesant 337 grains. Elle orna le
diadème de l'impératrice Eugénie, figura à l'exposition de 1855 et finalement,
en 1887, fut acquise par le prince Youssoupoff, lors de la vente des diamants
de la couronne.
Symbolisant la pureté, la perle orna maints sabres de
guerriers hindous, selon la coutume orientale, pour figurer les larmes versées
par l'ennemi vaincu. Les rajahs les portaient en colliers, en torsades et en
ceintures, ou en aigrettes montées sur des fils d'or. Marco Polo parle d'un
rare chapelet en contenant cent quatre possédé par le roi de Malabar.
En 1670, on les portait à l'oreille, entre deux pierres de
couleur. En Perse, on les portait en rangs sur des tiares ; en Chine, en
colliers royaux d'une longueur géante, et on les enterrait avec le prince
défunt. Les Grecs les utilisèrent en pendants et colliers, mais aussi comme
ornements des statues divines. Plus tard, à Venise, collerettes, bustes et
manches des vêtements des femmes nobles en étaient tissés. Cette passion est
passée actuellement chez les Florentines, qui apprécient, comme dot, surtout le
collier de perles.
En France, la perle gagna la parure au Moyen Age. Isabeau de
Bavière, épouse de Charles VI, en 1385, en avait son splendide costume en drap
d'or et d'hermine tout brodé. Henri III et Henri IV en semaient leurs propres
habits. En Russie, la perle décora des coiffes ; en Hongrie, les vêtements
rutilants des boyards et magyars ; en Pologne, les toques des grands
seigneurs. Jusqu'en 1900, les colliers de perles étaient de grosseur uniforme.
Actuellement leur « chute » atteint 80 p. 100, c'est-à-dire que,
commençant par des perles de 2 grains au fermoir, celle du centre atteint 20
grains. Ils sont passés de 32 centimètres de long jusqu'à 50, « pour ne
pas rompre l'harmonie des lignes du cou » ...
Les pêcheries de perles se situent presque toutes dans la
zone tropicale, bien qu'il y ait partout des huîtres perlières. La qualité est
fonction de la grandeur des coquilles, mais aussi de la composition chimique du
fond marin. La plus importante pêcherie est dans le golfe Persique, et sa
production annuelle s'évalue à 10 milliards de francs. Cette région était déjà
connue des plus anciens Grecs. De 1515 au XVIIe siècle, le commerce des perles
fut un monopole des Portugais. Actuellement les îles Bahreïn sont l'entrepôt
mondial. La pêche y est totalement libre et dure d'avril à octobre. Les bancs
se situent entre 250 et 350 kilomètres des côtes arabiques. Soixante-quinze
mille indigènes y travaillent.
Les huîtres reconnues perlières sont ouvertes et mises en
décomposition, au milieu d'une effroyable odeur fétide. On retire alors les
grosses perles, et le reste est bouilli et tamisé pour recueillir les plus
petites. Il faut en moyenne pêcher cinquante huîtres pour obtenir une toute
petite perle. Les huîtres sont vendues par lots de mille avec des prix variant
entre 2.000 et 10.000 francs.
Les pêcheries de Ceylan furent très estimées, car elles
donnaient des perles très blanches et très vives, mais de forme peu régulière.
L'île Margarita, au Venezuela, lui a ravi cette première place. Panama, Tahiti,
Madagascar se disputent la production de gemmes de formes parfaites.
On n'est pas totalement d'accord sur les conditions
scientifiques de la formation des perles. Bien entendu il ne s'agit plus de « pleurs
de naïades, de larmes de sirènes », chers aux poètes. On estime le plus
souvent que la perle se forme à la suite d'une blessure causée au mollusque
soit par un animal du plancton, soit par un grain de sable.
Sur la cicatrice en voie de régénération, il y aurait alors
expansion « en tumeur anarchique » du tissu sous-jacent. Ainsi le
processus perlier est analogue à celui du terrible cancer humain. A proprement
parler, il n'y a pas de différence entre la perle et la nacre. Seule diffère la
proportion des éléments constitutifs : moins d'eau et plus de matière
organique dans la perle. Son analyse chimique est : carbonate de calcium
91,59 p. 100, matières organiques 3,83, eau 3,97, divers 0,81.
La qualité primordiale d'une perle est « son orient »,
c'est-à-dire sa brillance issue de la courbure de ses diverses assises
concentriques, et fonction de leur nombre. Il faut deux à trois ans pour qu'une
huître sécrète une bonne et belle perle. Les plus jolies se trouvent à
l'intérieur du corps de l'huître et non sur sa valve. La face adhérente
présente l'aspect d'un morceau de sucre.
On distingue quatre sortes de formes de perles :
rondes, poires, boutons et baroques. Les rondes sont dans le corps de l'huître,
les poires sur les bords des valves, les baroques près du muscle. Une huître
produit une moyenne de douze millions d'œufs, ce qui explique sa profusion.
Celles des eaux très profondes donnent de jolies nacres, mais peu de perles.
Il existe une ostréiculture perlière depuis Apollonius de
Rhodes, ayant vécu au IIIe siècle avant J.-C. Mais ce sont les Chinois qui,
depuis le XIIIe siècle, ont industrialisé le procédé à Hou-Tchéou-Fou (Chine)
et à Myé-Kou (Japon). On y pêche les huîtres et on les expose au soleil. Quand
elles bâillent, on introduit un brin de bois entre les valves, puis on glisse
quelques fragments de poussière de nacre. On les rejette ensuite à l'eau. En peu
de temps, le fragment minuscule de nacre est recouvert d'une sécrétion
perlière, qui se poursuit pendant un à deux ans. Toutefois, dans l'océan
Indien, on utilise des huîtres géantes, qui en moins d'un an donnent des perles
de 50 grains et plus.
Actuellement, la perle japonaise dite d'Ago est la plus
cotée et ne se différencie que très difficilement de la perle naturelle de
qualité courante. On les cultive par une douzaine de mètres de fond sur des rochers.
L'emplacement est divisé en sections de 400 mètres pour 10.000 huîtres. On « sème »
en mai des huîtres de trois ans. L'ennemi de l'huître est constitué par les
poulpes, mais il faut aussi compter sur les autres déprédateurs : raies,
dorades, murex, étoiles de mer, etc. La protection est très difficile.
Une perle recueillie doit être travaillée en trois
opérations : le grattage, polissage et décraquelage, le séchage et le
maquillage. Ces procédés sont relativement récents et ne remontent qu'au XVIIe
siècle. Longtemps on considéra les spécialistes comme de véritables savants
possédant un don mystérieux, travaillant toutes portes closes.
Une perle travaillée et mise au point augmente cinquante
fois sa valeur, bien que diminuant de volume et donc de poids par enlèvement
d'une « peau ». C'est aussi le moyen de rajeunir une perle morte et
vieillie. Le travail est extrêmement rémunérateur. Le travail d'une perle lui
fait normalement perdre le cinquième de son poids, mais cette perte est
plusieurs fois compensée par la plus-value de qualité.
Quoique dure, la perle se raye facilement, et sa vivacité
est très sensible aux acides, graisses et parfums, ce qui explique son rapide
vieillissement au cou des femmes modernes. Contrairement à une croyance
usuelle, la perle ne meurt cependant pas, et seule sa peau supérieure se
ternit. On la rajeunit en l'enlevant. La chaleur les craquelle toutefois. Enfin
la perle brûle comme de l'étoupe au contact du feu et se carbonise très
rapidement. La perle doit être très asséchée « à cœur » pour être
marchande. Le maquillage est fréquent, bien qu'interdit, et consiste surtout en
colorations artificielles.
L'unité de poids utilisée dans le commerce de la perle fine
est le « grain » ; il correspond au quart du carat. A Bombay, on
utilise le « rati », ou poonah, qui est plus faible de 6 à 7
p. 100 au poids de, France ; en Chine, c'est le « candari » ; en
Perse, c'est le « basri », supérieur de 15 p. 100 au poonah. La pesée
s'effectue d'une manière curieuse avec des grains de blé ou de riz. Ceux de
blé, ou habba, correspondent au carat ; ceux de riz correspondent à
un grain, d'où le nom de l'unité de poids. Le carat international, unifié
seulement en 1918, vaut exactement 1/5° de gramme, et le grain 1/20e.
En 1914, une très belle perle rosée de 30 grains se payait
250.000 francs. En 1950, elle vaut 50 millions. Mais, de ce poids, on n'en
pêche guère plus d'une vingtaine par an. Aux États-Unis d'Amérique, il existe
cependant un collier estimé à 15 millions de dollars, soit 5 milliards de
francs ...
Louis ANDRIEU.
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