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Peut-on travailler en dormant ?

La fortune, dit-on, vient en dormant, et le proverbe populaire nous enseigne même qu'on peut remplacer la nourriture par le sommeil ; en réalité, le sommeil constitue, pour la majorité de l'humanité, du temps perdu. Sa durée moyenne quotidienne chez l'adulte est de huit heures, et, pendant ce temps, toute activité est suspendue. Lorsqu'un homme atteint soixante-dix ans, on peut ainsi dire qu'il a vécu seulement quarante-cinq ans, et que les vingt-cinq autres années ont été consacrées bien inutilement au sommeil.

Il s'agit là, d'ailleurs, d'un cas moyen. Si quelques hommes, souvent remarquables par leurs qualités intellectuelles, se contentent facilement de quelques heures de sommeil, il en est d'autres qui, outre les heures de sommeil nocturne, jugent indispensables des siestes quotidiennes. Cela dépend non seulement du caractère et du tempérament, mais aussi du genre de vie et du climat.

Quelle est la nature exacte du sommeil ? Les physiologistes ne sont pas encore d'accord à ce sujet. Il semble que notre système nerveux constitue une sorte de machine électrique très perfectionnée et bien équilibrée ; au bout d'un certain temps de fonctionnement, il se produit dans cette machine des chutes de tension et des déséquilibres. Le but du sommeil consisterait à rétablir l'équilibre indispensable pour le bon fonctionnement de nos organes et de notre cerveau. Nous nous contenterons, d'ailleurs, ici de cette remarque élémentaire.

Pendant notre sommeil, nos sens semblent suspendus : nous n'entendons pas, nous ne sentons pas, nous ne voyons pas, nous ne pouvons rien toucher, ni goûter, ou, du moins, nous n'en avons pas conscience. En réalité, notre système nerveux et même notre cerveau ne semblent pas cesser de fonctionner complètement, et certains faits bien connus le prouvent.

Beaucoup d'entre nous ont, sans doute, pu voir les remarquables films documentaires américains ou allemands consacrés à l'étude du sommeil. On voit très nettement dans ces films les mouvements souvent fréquents, mais complètement inconscients, du dormeur qui se tourne et se retourne, et s'étire constamment dans le courant de la nuit. Si le sommeil amenait la suspension totale de toutes nos facultés, comment expliquer que la plupart d'entre nous puissent se réveiller chaque jour à une heure bien déterminée, fixée à l'avance, et qui peut même être modifiée presque à volonté. Il y a même bien plus : l'habitant des villes n'est plus gêné, au bout de quelque temps, par les bruits habituels et souvent violents qui viennent de la rue, et peut dormir profondément au milieu du vacarme — du moins, et c'est là le fait essentiel, tant que ce vacarme conserve une « forme sonore » normale, en quelque sorte.

S'il se produit, au cours de la nuit, un bruit inhabituel, le passage d'une voiture de pompiers, le craquement d'une porte, ou même, plus simplement, le grattement furtif d'un rat ou d'une souris, le bourdonnement d'un moustique, cela suffit pour réveiller le dormeur.

Comment expliquer le phénomène ? Il s'agit, de toute évidence, de la mise en alerte de nos sens. Ceux-ci sont accoutumés à des phénomènes d'un caractère régulier et déjà connu ; dès qu'il se produit un phénomène anormal, notre cerveau en est ainsi averti immédiatement, et il commande à notre corps les mouvements nécessaires ; le dormeur se réveille.

Des phénomènes du même genre se produisent aussi bien pour l'audition que pour l'odorat, le toucher, ou même la vue.

Quelles que soient les idées des physiologistes sur le sommeil, il est donc difficile d'admettre une suspension complète de l'activité de nos sens, mais bien plutôt une mise en veilleuse, sous une forme qui demeure encore plus ou moins précisée. Sur cette base, des physiologistes et des savants américains ont songé, déjà depuis plusieurs années, à tenter des essais fort intéressants sur l'utilisation possible de cette activité subconsciente.

Chacun de nous a pu remarquer qu'il trouvait parfois au réveil la solution d'un problème ou d'une question examiné au moment où il s'était endormi la veille. N'avons-nous pas souvent été réveillé dans le courant de la nuit en songeant, tout d'un coup, à la solution d'un problème qui nous paraissait la veille encore insoluble ? Cette remarque est particulièrement vraie pour les candidats aux examens !

La méthode américaine qui nous est proposée est basée simplement sur ces remarques. Au lieu de nous contenter d'utiliser ainsi notre pouvoir de réflexion subconscient pendant le sommeil, de cette façon, en quelque sorte, accidentelle, ne pourrait-on essayer d'utiliser systématiquement cette faculté et de continuer à faire travailler notre cerveau durant le sommeil, d'une manière, pour ainsi dire, dirigée à l'avance ? Si nous pouvions ainsi réduire la perte de notre activité, nous aurions étendu la durée de notre vie active, à condition, bien entendu, de ne pas, par là même, nuire à notre santé, en affaiblissant notre système nerveux, ou même notre cerveau.

Quel bienfait pour l'humanité si cette théorie était exacte ! Il serait possible d'étudier n'importe quelle matière pendant le sommeil, et sans avoir à réduire les heures réservées à nos occupations professionnelles. L'ouvrier consacré aux travaux manuels pourrait ainsi s'instruire, tout en continuant à gagner normalement sa vie.

Est-ce là une réalité ou une utopie ? Nous ne prendrons pas une position absolue à ce sujet ; en tout cas, des essais très sérieux ont déjà été entrepris aux États-Unis, et ils semblent avoir permis des premiers résultats satisfaisants. Bien entendu, il s'agit uniquement d'avoir recours à la mémoire auditive, et l'enseignement ne peut se faire qu'avec une machine parlante fonctionnant assez longtemps d'une manière automatique. Le phonographe peut donner quelques résultats ; mais les nouvelles machines magnétiques sonores à fil ou à ruban, sur lesquelles nous avons donné des indications, sont bien préférables. On peut même envisager la transmission de programmes spéciaux téléphoniques ou radiophoniques durant la nuit.

Le mode d'application du procédé varie aussi souvent suivant les sujets ; la durée de la leçon ne doit pas être la même pour tous. Elle varie généralement entre une demi-heure et une heure ; son texte peut être répété plusieurs fois pour certains sujets, ou une seule fois seulement pour d'autres.

Est-il indispensable d'avoir recours à un procédé sonore ? D'autres techniciens américains ont, paraît-il, mis à l'étude des dispositifs différents, mais il est encore trop tôt pour juger de leur efficacité.

P. HÉMARDINQUER.

Le Chasseur Français N°653 Juillet 1951 Page 441