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Conseils à un débutant

Vous avez bien voulu nous consulter, jeune lauréat, dans le choix que vous allez faire d'un fusil de chasse, lequel, suivant un usage très ancien, sanctionne votre succès aux examens. Vous avez déjà sur la conscience le trépas d'un nombre important de pies, merles, écureuils et autres bestioles descendues au moyen d'une carabine de jardin. Il s'agit maintenant de mieux faire et de devenir un chasseur véritable.

Nous ne vous cacherons pas que le tir de chasse devant soi, au chien d'arrêt, et, à plus forte raison, le tir de battue nécessitent un savoir-faire quelque peu supérieur à celui que vous avez pu acquérir jusqu'à présent. Encore faut-il que l'outil que vous allez vous procurer ne vous handicape pas au lieu de vous servir ; il nous semble vous avoir entendu parler avec envie de certains fusils « plein choke des deux coups et à chambres longues », avec lesquels il vous semblait impossible de ne pas réaliser des coups prestigieux. Ce genre d'armes possède quelque mérite, mais ... attendez pour essayer de vous en servir que l'expérience et, surtout, la pratique aient réduit votre écart probable. Actuellement, le fait de disposer d'un fusil de chasse ne fera pas tomber à vos pieds tout ce qui va courir ou voler devant vous. Nous allons essayer aujourd'hui de vous donner quelques indications qui vous permettront de ne pas trop vous attarder sur le chemin de la perfection.

En premier lieu, consultez vos forces. Vous êtes peut-être bon cycliste, mais êtes-vous bon marcheur ? Comment vos reins supportent-ils les effets d'une marche prolongée avec quelques kilogrammes dans les bras ? Connaissez-vous la courbature vespérale consécutive à ces exercices ? Si tout va bien, si vous avez surtout en vue la chasse de plaine, n'hésitez pas devant le calibre 12.

Si, au contraire, votre musculature vous inspire quelque inquiétude ou si vous comptez ne consacrer chaque année à la plaine que quelques semaines, vous pouvez sans regret vous contenter d'un calibre 16. A l'époque où les armes étaient relativement lourdes, il demeurait entendu que le calibre 20 était réservé aux dames et aux jeunes gens. Actuellement, nous le considérons comme le calibre des très bons tireurs opérant plutôt au bois que dans la plaine et nous ne le conseillerons jamais à un jeune chasseur dont l'écart probable demande à être travaillé. Au surplus, mettez-vous bien dans la tête que les tireurs se classent, beaucoup plus par leur adresse (précision et vitesse) que par les calibres qu'ils emploient et qu'en fin de journée, lorsque la fatigue apparaît, la supériorité du calibre ne compense pas la lenteur et l'imprécision du tir.

Après le calibre, le système. Là-dessus, vous pouvez laisser la bride à votre fantaisie et à votre budget : si vous n'avez aucune idée préconçue, génératrice d'une favorable autosuggestion, tenez pour assuré que le juxtaposé à bascule possède toutes les qualités des autres armes et n'en a pas les inconvénients. Attachez-vous avant tout à la solidité et à la sécurité.

La solidité est d'avance acquise à toute arme de bonne signature, convenablement éprouvée. La sécurité existe aussi bien à prix moyen dans les dispositifs simples que dans les mécanismes plus compliqués, si on veut bien les payer à leur valeur ; nous vous conseillerons de ne jamais sacrifier la présentation à la qualité et de vous défier de ce qui est difficile à nettoyer. A ce point de vue, exigez le chromage des canons : c'est un souci de moins en perspective.

Reste enfin la question des mesures de l'arme, à laquelle il convient d'accorder une certaine attention, sans penser toutefois que quelques millimètres de bois en plus ou en moins compromettront définitivement votre adresse. Il est probable d'ailleurs que dans votre carrière cynégétique, que nous souhaitons fort longue, vous changerez sensiblement de corpulence et de manière d'épauler, et il est certain en outre que, dans le courant d'une saison de chasse, vous changerez plusieurs fois de tenue, donc encore d'épaulement.

Attachez-vous principalement, dans le choix de votre première arme, à choisir une crosse qui ne soit pas trop longue et monte facilement à l'épaule ; elle vous permettra une position assez avancée de la main gauche, condition favorable à la vitesse et à la précision du tir. Cherchez un point d'appui convenable pour la joue, suivant que vous l'avez plate ou rebondie, et ne négligez pas l'étude de la poignée, dont la forme doit permettre d'atteindre facilement les détentes avec l'index suffisamment engagé.

Sauf conformation anormale, l'essai de quelques armes provenant d'un stock convenablement approvisionné vous permettra de découvrir en une demi-heure le fusil qui vous donnera satisfaction. Il vous suffira de vérifier qu'en épaulant l'arme les yeux fermés, puis en ouvrant l'œil droit, le guidon se présente exactement à la hauteur et au milieu du tonnerre.

Passons maintenant aux munitions ; nous avons souvent répété ici que la munition qui ne tue pas est la plus chère ; exigez donc des cartouches contrôlées, car elles vous donneront à la fois une vitesse convenable et une pression raisonnable ; pour le surplus, ne vous inquiétez pas : c'est au fabricant d'associer les éléments en conséquence. En ce qui concerne les numéros de plomb, évitez de vous encombrer d'une trop grande diversité ; avec les numéros 8, 6 et 4, vous possédez tout ce qu'il faut pour la grande majorité des cas ; dans le doute, au début, soyez plutôt petit plombiste.

Et, maintenant, il vous reste à prendre une résolution capitale, celle d'être prudent, excessivement prudent. Autre chose est de se promener tout seul, carabine à la main, que de faire acte de chasse en nombreuse compagnie avec une arme normale. Vous devez toujours avoir à l'esprit les recommandations suivantes :

Ne chargez l'arme qu'en action de chasse. Basculez le fusil dès qu'on se trouve en groupe de chasseurs. Ne laissez jamais le canon dans la direction de votre voisin. Regardez où vous tirez et où vous pouvez avoir à tirer. Ne tirez jamais dans un secteur douteux.

Dans un passage difficile (haie, fossé), basculez l'arme. Rechargez dès que vous ne chassez plus ; pas de fusil chargé appuyé à un arbre ou posé à terre.

Enfin, si vous tombez (il arrive à tout le monde de trébucher dans une ronce), faites votre possible pour que l'arme qui vous échappe soit projetée dans une direction non dangereuse pour les voisins.

Peut-être penserez-vous qu'avec ce petit bréviaire en tête il n'y a plus de place pour un délassement et que la pratique de la chasse tourne à la manœuvre militaire. Bien au contraire, ces bonnes habitudes, acquises par vous et vos compagnons, seront génératrices d'un sentiment de sécurité générale favorable au tir, car rien n'est plus désagréable que de surveiller le voisin au lieu de surveiller le gibier.

Et, malgré tout, assurez-vous contre les accidents. Dans tout ce qui précède, il n'a pas encore été question de tuer beaucoup de gibier ; peut-être jugerez-vous que nous négligeons le principal pour l'accessoire. Nullement, mais nous ne vous cacherons pas que ce qui vous paraît tout simple actuellement vous semblera probablement plus difficile au soir de la première ouverture et ne deviendra que peu à peu une élégante habitude, la précieuse expérience y aidant. Tachez, en premier lieu, d'avoir confiance en votre arme et en vos munitions : vous avez fait ce qu'il faut pour cela. Ne pestez pas contre votre matériel si les résultats ne répondent pas à votre attente et dites-vous bien franchement qu'il y a manque de savoir-faire. Ce savoir-faire, comment l'acquérir ? S'il y avait, pour réussir d'emblée et à tous coups, quelque recette magistrale, soyez persuadé qu'il y a bien longtemps qu'il n'y aurait plus de gibier. Ce qui fait d'ailleurs l'attrait du sport cynégétique, c'est le plaisir de la difficulté vaincue dans une heureuse proportion. Encore convient-il de débuter de manière encourageante ; à l'ouverture, vous aurez du gibier relativement facile ; ne vous émotionnez pas et souvenez-vous de ce qui suit, c'est le plus important.

Tirez haut et devant comme sur un point fictif se déplaçant en avant du gibier. N'arrêtez jamais le mouvement de l'arme en pressant la détente. Reposez-vous dès que vous sentez la fatigue ou l'énervement vous gagner.

Le reste viendra à son heure si vous savez observer. Nous vous le souhaitons, très confraternellement.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 449