Accueil  > Années 1951  > N°654 Août 1951  > Page 454 Tous droits réservés

Chiens ou loups

Un entrefilet paru vers le milieu de janvier dernier, dans la grande presse quotidienne, nous a appris qu'un splendide troupeau d'une quarantaine de brebis sélectionnées aurait été détruit en une seule nuit, vers la même époque, par des animaux non encore identifiés ; et le chroniqueur d'avouer son ignorance, ainsi que, probablement, celle des enquêteurs, en ajoutant que, si le méfait pouvait être attribué à des chiens vagabonds, il n'était pas impossible qu'il eût été perpétré par des loups dont des traces avaient été relevées à proximité, sur la neige, se dirigeant de la Haute-Vienne, lieu du massacre, vers la Dordogne, département limitrophe.

Il ne faut pas croire que les chiens errants et chasseurs se contentent de la poursuite du petit gibier, lièvres, lapins, voire chevrillards : contrairement aux animaux dits « nuisibles », qui s'arrêtent, leur faim apaisée, une équipe de chiens n'est jamais lasse, et c'est ce qui explique leur acharnement. Ils ne reculeront donc pas, bien au contraire, devant d'innocentes victimes telles des brebis inaptes à se défendre et qui, au surplus, devaient être « parquées », c'est-à-dire enfermées dans un enclos, frêle obstacle pour des chiens souples et vigoureux. Le cas n'est donc pas exceptionnel, puisqu'il a été reconnu par l'Union ovine de France, groupement technique interprofessionnel de l'élevage du mouton, cela dès avant 1947, appuyé par la Fédération nationale ovine, l'Alliance pastorale, en plus par des groupements cynégétiques, la Société protectrice des animaux, l'Académie d'agriculture, la Société des agriculteurs de France, qu'en un temps relativement bref il avait été détruit par ces chiens plusieurs centaines d'agneaux et de brebis en Poitou, dans le Limousin et la Côte d’Or, ce qui provoqua le dépôt d'une proposition de loi en vue d'y mettre fin par des mesures de répression énergiques.

Le chien est l'ami de l'homme et personne n'en disconvient ; mais l'exception confirme la règle et il y a aussi des chiens qui, en certaines circonstances, deviennent des animaux dangereux quand ils sont livrés à leurs instincts ; chacun en connaît, malheureusement.

Examinons donc la question du loup, après celle du chien, en nous basant sur l'opinion des auteurs les plus qualifiés ayant traité de la question.

Il est un ouvrage délicieux, dont chaque page nous montre la haute science des choses de la nature, c'est celui intitulé modestement En Forêt, de Pierre Salvat, conservateur des Eaux et Forêts. Il y écrit que, « sans hésiter, il peut répondre qu'il subsiste dans notre pays, dans certaines régions bien déterminées, quelques loups, mais que ces détestables carnassiers ne forment plus qu'une phalange fort réduite ». « Mais c'est en Poitou, en Charente et dans le Périgord que, de nos jours, se maintiennent le plus sûrement, parmi les vastes étendues de brandes et de fourrés, les derniers représentants de la race sauvage. » Dans les Vosges, de 1817 à 1842, il y fut tué 1.612 loups, et en Charente, de 1900 à 1929, 256 loups, louveteaux, louves pleines, etc.

Ces chiffres, bien que coquets, sont loin de pouvoir être comparés à ceux obtenus lors des règnes, de Charlemagne et même de François 1er, puisque Robert de Salnove, l'auteur de la Vénerie Royale, près d'un siècle après celui de François 1er, assure avoir vu en peu de temps trois cents personnes périr sous la dent des loups ; en 1767, plus de quatre-vingts personnes, dont dix-huit à Verdun, furent dévorées par les loups. On comprendra donc combien les loups étaient alors « la terreur des campagnes que leurs hurlements terrifiaient ». Et c'est encore avec le nom de loup, survivance du passé, que l'on fait peur de nos jours aux enfants pas sages.

M. Paul Mégnin consacre un chapitre entier, lui aussi, au loup dans son livre Gibiers rares de France : il nous y fait allusion à la Bête du Gévaudan, qui n'était autre qu'un grand vieux loup, contre lequel, il fallut mobiliser des régiments, presque entiers, et qui fut l'objet de nombreuses légendes.

D'après le même auteur, s'en rapportant à l'étude de M; Tripier, Les Derniers Loups de France, il semblerait que l'être humain qui périt le dernier sous la dent de ces fauves aurait été une vieille femme dévorée par eux le 2 octobre 1918 près de La Chapelle-Montbrandeix, dans la Haute-Vienne, pays prédestiné, comme on le voit. — Depuis ...

Par ailleurs, le loup est resté nombreux en Russie et en Tchécoslovaquie, onze jeunes filles ayant été dévorées par une bande de ces animaux alors qu'elles traversaient une forêt au pied des Karpates ...

En 1934, Pierre Coche, secrétaire d'ambassade, écrivait de son coté, dans Paysages et Chasses de Pologne, que, « de même que le courre du loup était considéré autrefois comme le plus beau (l'on sait que les chroniques de vénerie relatent l'histoire d'un vieux, loup attaqué par l'équipage du Grand Dauphin en forêt de Fontainebleau et mis à mort, grâce à de multiples relais, aux portes de Rennes, ce qui valut au marquis de Foudras, l'un de ses meilleurs contes), de même je crois que la chasse de cet animal à tir est l'une des plus passionnantes ». « Sans être, de loin, aussi nombreux qu'en Russie, il y a beaucoup de loups en Pologne. » Nous racontant une de ses chasses, M. Coche nous dit qu'il tira un loup à chevrotines, et qu'au dépeçage l'on en trouva une dans le cœur, une autre dans le poumon, et que, cependant, l'animal avait parcouru plus de 500 mètres ayant de s'affaisser définitivement. On sait que la chasse du loup au lévrier, actuellement abandonnée, fut jadis très spectaculaire.

Comment, lors du massacre des brebis en Haute Vienne, a-t-on pu dire qu'il y avait des traces de loups ? M. Villenave nous l'explique également : « Ses foulées sont faciles à distinguer de celles du chien ; le pied du loup est serré, plus long que large. On a toujours comparé son empreinte à la « fleur de lis », surtout celle du pied de la louve qui est encore plus étroit. » Enfin, quand le loup marche d'assurance, il ne se méjuge pas et l'on avance même que, là où les loups sont nombreux, ils marchent à la file indienne, chacun mettant sa trace exactement dans celle de son prédécesseur, ce qui fait que l'on pense n'avoir affaire qu'à un loup, alors qu'il s'agit d'une bande.

Souhaitons, dans l'intérêt de l'élevage et de la culture, que le mystère entourant le massacre des brebis et qui vient de faire l'objet de ces quelques lignes soit éclairci, afin qu'il ne puisse recommencer par ailleurs.

J. DAMBRUN.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 454