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Le grand silure

C'est le plus grand des poissons européens d'eau douce, si l'on excepte l'esturgeon, qui est un migrateur. Il atteint en effet, dans le bas Danube, 2 mètres, et même 3 mètres de longueur, pour un poids dépassant 200 kilos. Il est très rare en France, mais on en signale de temps en temps la capture d'un spécimen de 15 à 20 kilos dans l'Est de la France, soit dans le Rhin, soit dans le Doubs.

Le grand silure, ou glane, est un poisson de l'Europe centrale, où il vit dans les lacs et les grands neuves. Il est plus spécialement abondant en Bulgarie et en Roumanie, dans le delta du Danube.

Il existe également dans les grands lacs et les rivières de l'Asie centrale. Depuis quelques années, on l'élève dans certains étangs de pisciculture de Hongrie et de Tchécoslovaquie, car, si la chair des gros individus d'une quinzaine de kilos est plutôt coriace et a un goût de vase, celle des jeunes de 2 à 3 kilos est grasse et savoureuse et comparable à celle de l'anguille. A Budapest, on le voit figurer sur le menu des grands restaurants sous le nom magyar de harcsa ; il est également à la base de l’halalé, la soupe de poisson hongroise, tout comme la rascasse est le support de la bouillabaisse.

Le grand silure ressemble à un gigantesque poisson chat, avec, toutefois, une tête relativement moins grosse que son congénère américain ; tous deux appartiennent d'ailleurs à la famille des siluridés. Sa gueule large est munie de six barbillons, dont les deux supérieurs, très allongés, peuvent atteindre, chez les gros sujets, 15 à 20 centimètres. Son corps est allongé, avec une peau sans écailles apparentes et couverte, tout comme l'anguille, de mucus. Toutes les nageoires sont petites, même la caudale ; seule la nageoire anale est extrêmement longue et couvre les deux tiers de la longueur du corps. Son aspect est anguilliforme. Sa couleur va, selon l'âge, du brun foncé au vert et au jaunâtre, avec une teinte plus claire sur le flanc et le ventre.

Poisson d'eau chaude et dormante ou faiblement courante, le grand silure fraye en fin mai et courant juin sur les plantes aquatiques, où la femelle dépose de 100.000 à 300.000 œufs en forme de petites sphères de 3 millimètres de diamètre.

C'est un carnassier assez éclectique sur le choix de sa nourriture. Il se nourrit principalement de poissons vivants, mais ne dédaigne pas les grenouilles, les rats d'eau ou les oiseaux aquatiques ; on a même cité le cas où on a trouvé, dans le ventre d'un silure géant, le cadavre d'un nouveau-né.

La rareté de l'anguille dans les régions de l'Europe centrale et la grande analogie de la chair du silure avec celle de l'anguille a incité les pisciculteurs tchèques et hongrois à en faire l'élevage ; longtemps, cet élevage se heurta à des échecs techniques, mais il est maintenant au point dans les étangs d'élevage de l'Europe centrale, où le sandre ne peut guère être élevé avec profit en raison de la nature vaseuse du fond. Le silure a, en outre, pour les pisciculteurs, la qualité de s'élever dans des eaux faiblement oxygénées et d'être facile à transporter vivant et à conserver. Le pisciculteur se procure donc des femelles d'au moins quatre ans, pesant de 3 à 10 kilos, et des mâles plus jeunes et de taille plus petite. Il faut également disposer d'un petit étang spécial, un peu semblable à un bassin de grossissement de carpes. Ce petit étang sera exclusivement réservé aux alevins de silure.

L'alevin de silure ressemble à un têtard ; sa grosse tête et son corps allongé rendent cette ressemblance frappante pendant au moins le premier mois de sa vie ; vers trois mois, son corps grossit plus vite que sa tête, et il ressemble beaucoup plus à un véritable poisson.

Le jeune alevin de silure est, évidemment, planctonophage, mais, à la fin du premier âge, il commence à rechercher les petits poissons. En octobre, il pèse de 50 à 100 grammes. On le mettra, l'hiver, dans des viviers spéciaux, où on le nourrira avec de petits poissons, tels que gardons ou petites carpes. Au printemps, les jeunes silures sont repris et mis dans des étangs peuplés de carpes de deux ans, à raison de vingt-cinq à quarante individus par hectare. Il est, en effet, important de ne mettre des silures qu'avec des carpes qui ont au moins la même taille qu'eux, pour éviter les dégâts que ces carnassiers ne manqueraient pas de faire parmi les poissons plus petits.

Les Tchèques et les Hongrois vendent le silure pour la consommation dès qu'il a passé le troisième été ; il pèse, à ce moment, de 3 livres à 3 et 4 kilos ; il n'y a pas intérêt à le garder au delà, étant donné sa voracité, à part quelques sujets que l'on garde comme reproducteurs. Le silure de deux à trois ans est très apprécié dans les étangs à carpes, car il s'attaque particulièrement aux grenouilles et aux têtards, dont il fait une belle consommation.

En 1948, j'ai pu admirer de très beaux spécimens de silure dans les étangs fraîchement nationalisés du prince de Schwarzenberg, au domaine de Wittingau, en Bohème.

Avons-nous intérêt à l'introduire en France ? Certainement pas dans les eaux libres, c'est un trop grand ravageur ; mais peut-être y aurait-il intérêt à l'essayer dans certains étangs de pisciculture de la région de l'Est à fond vaseux où, à la belle saison, la pullulation de grenouilles et de têtards est telle que la majeure partie du plancton destiné aux carpes et aux tanches est dévorée par eux. Le tout est de se procurer des reproducteurs, qu'il ne serait pratique d'obtenir, pour l'instant, qu'en Tchécoslovaquie et peut-être dans l'Allemagne de l'Est.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 471