En 1946, j'écrivis dans La Clairière, revue mensuelle
du Camping-Club de France, un éditorial qui suscita un certain Intérêt.
Mon éditorial était intitulé : « Il faut adapter
les programmes scolaires à la vie moderne », et dans l'article je disais
ceci :
« Depuis de nombreuses années, la semaine anglaise est
pratiquée par le plus grand nombre des travailleurs. Depuis 1936, beaucoup
profitent même d'un week-end de deux jours. Et cette pratique se généralise de
plus en plus. Or les écoliers et les lycéens continuent à travailler le samedi ;
pourquoi ? Ne serait-il pas possible de les faire travailler le jeudi et
de leur donner le samedi et le dimanche pour se reposer ? J'ai posé la
question au directeur de l'école de mon fils. Il paraît que cela serait « antipédagogique »
et que le repos du milieu de la semaine est intangible, car le rendement (sic)
baisse à partir du mercredi soir. Ce serait déplorable pour la santé des gosses !
Mais des milliers d'écoliers américains font cinq jours consécutifs d'école et
ne s'en portent pas plus mal ! Alors ?
» En ce qui nous concerne, nous, campeurs, il me semble
que deux journées de plein air par semaine seraient beaucoup plus profitables
qu'un jeudi passé le plus souvent à la maison ou au patronage, car, les jeudis,
les parents travaillent ...
» Le rythme de la vie moderne s'est modifié peu à peu.
L'école et l'enseignement doivent suivre au même rythme. C'est mon point de vue ;
j'aimerais savoir s'il est partagé par d'autres campeurs. »
Je reçus à l'époque un grand nombre de lettres à ce sujet.
Il est évident que toutes les lettres des parents campeurs m'approuvaient sans
réserve. Et cela n'a rien de surprenant, puisque, à partir du moment où les
enfants vont à l'école, le camping de fin de semaine devient presque
impossible. Mais je reçus également des lettres d'instituteurs et de directeurs
d'école. Et ces lettres étaient toutes fort intéressantes. En vérité, le corps
enseignant m'a paru fort divisé sur ce sujet.
Deux directeurs d'école, l'un d'une école primaire
parisienne, l'autre d'une école rurale, approuvèrent totalement mon point de
vue, et j'ajoute que, si le premier était lui-même campeur, le second ne
l'était pas du tout.
Dans sa lettre, M. Depors, directeur d'école à Paris, me
disait : « Permettez-moi de vous féliciter d'avoir signalé l'anachronisme
du congé du jeudi. Comme vous, je ne vois aucune raison valable pour le
justifier. L'institution d'une journée de congé dans la semaine, outre le
dimanche, n'a pas été inspirée pour le souci de ménager un repos aux enfants :
l'art. 2 de la loi organique du 28 mars 1882 dit en effet : « Les
écoles primaires publiques « vaqueront un jour par semaine »,
en outre le dimanche, afin de permettre « aux parents de faire donner,
s'ils le désirent, à leurs enfants » l'instruction religieuse.» Par
application de cette disposition légale, c'est le jeudi qui a été réservé à
l'instruction religieuse. Le choix de ce jour était raisonnable à une époque où
les travailleurs ne profitaient pas de la semaine anglaise, mais les temps ont
changé ... »
Cette lettre, publiée à son tour, me valut des protestations
de la part d'autres instituteurs. L'un deux, M. Lagard, m'écrivit quatre pages
très aimables mais fermes, pour me développer, la thèse « pédagogique ».
Il paraît qu'au bout de trois jours les enfants sont fatigués et ne peuvent
plus donner une attention soutenue. « Il faut que les enfants aient la
semaine coupée par une activité autre que celle des exercices scolaires. »
Mais M. Lagard termine en disant : « Il est une autre solution :
dans les classes primaires des lycées, les élèves n'ont que vingt-trois heures
de classe au lieu de trente. Ils n'en sont pas moins instruits. Ils sont libres
non seulement le jeudi, mais le samedi après-midi : Tous les instituteurs
sont d'accord pour reconnaître que les programmes sont trop chargés. (Il en
est d'ailleurs de même pour les programmes du secondaire.) Ne serait-il pas
possible de réserver la journée du samedi aux activités de plein air, en
accordant aux parents la liberté, ce jour-là, de prendre leurs enfants avec
eux, s'ils vont eux-mêmes courir les champs et les bois ? »
Les autres lettres que je reçus étaient toutes du type des
deux que je viens de citer en exemple.
Je dois dire que les objections pédagogiques ne m'ont pas
convaincu du tout, et pour la raison majeure suivante citée dans mon éditorial
de 1946. Les jeunes Américains sont-ils faits autrement que les jeunes Français ?
Ils ont classe cinq jours de suite et ne me paraissent pas rachitiques ou exténués.
Et je maintiens que deux jours à la campagne, loin des villes, sont meilleurs
pour la santé et pour le repos physique et intellectuel que deux jours de congé
séparés passés par force bien souvent à la maison.
Mais, en admettant la thèse pédagogique, pourquoi ne pas
mettre le jour d'exercices scolaires de plein air le mercredi après-midi, ce
qui ferait un repos après deux jours et demi de classe, et avant deux jours de
classe ? Évidemment cela réduirait les programmes ! Mais tout le
monde est d'accord que les programmes sont trop chargés. Des membres qualifiés
de l'enseignement ont même parlé, ces derniers temps, de la suppression des
devoirs à domicile ... Alors ?
Quant à l'instruction religieuse, j'en ai parlé avec un de
mes amis, professeur à l'Institut catholique de Paris. En ce qui le concerne,
il ne verrait aucun inconvénient à placer le catéchisme le samedi matin par
exemple, de façon que, pendant les trois ans d'instruction religieuse, les
enfants puissent être libres le samedi vers dix heures trente. Comme on le
voit, même les intéressés ne prennent pas position à fond contre moi et
suggèrent des solutions qui me donnent raison ...
Autre chose ... Les vacances de la Pentecôte. Les
enfants ont congé trois ou cinq jours, suivant la date de Pâques. Très bien. Mais
leurs vacances commencent imperturbablement le samedi soir à quatre heures,
alors que leurs parents ont le samedi, le dimanche et le lundi.
Conséquence : le samedi, beaucoup d'élèves manquaient.
Alors on a trouvé très intelligent de placer, le samedi après-midi, des
compositions. C'est ainsi que mon fils, lycéen à Paris, avait, le samedi de la
Pentecôte, une composition d'histoire et géographie et que, dans l'école
communale de mes filles, plusieurs institutrices avaient placé des compositions
à la même date ! ... Est-ce fait exprès ? Je le crois ! et
c'est navrant ...
Le résultat a été que pour beaucoup d'enfants les vacances
de Pentecôte ont été gâchées et qu'ils sont restés à Paris.
Il serait si facile de donner congé aux enfants avant la
Pentecôte, du mercredi soir au mardi suivant la Pentecôte, et non après.
Routine ! Routine ! ...
Encore autre chose : la question des grandes vacances.
Nos députés s'agitent beaucoup là-dessus. Il paraît qu'il vaudrait mieux fixer
les vacances du 1er juillet au 15 septembre.
1° Parce qu'à partir du 1er Juillet les élèves ne
font plus grand'chose.
2° Pour profiter des jours plus longs.
3° Pour profiter du beau temps.
4° Pour étaler les vacances.
Si j'admets le point 2, je ne suis pas d'accord sur le
reste. Car si le projet est adopté les élèves ne feront rien à partir du 15
juin. (Examens de fin d'année pour les professeurs, etc. ...)
Il n'est pas plus sûr d'avoir du beau temps en juillet qu'en
septembre. Au contraire, j'ai souvent constaté que le mois de septembre est
fort beau, et ce n'est pas les lecteurs du Chasseur Français qui me
contrediront lorsque je soulignerai la gêne que cela causera aux innombrables
chasseurs, pères de famille, qui ne pourront plus profiter pleinement de
septembre pour satisfaire leur passe-temps favori. Enfin, le mois de septembre
était un mois où les vacances coûtaient moins cher qu'en juillet et août. Ces
deux mois, où l'on déversera la ruée des travailleurs en vacances, deviendront
impossibles. Les hôteliers, qui n'auront plus les clients de septembre,
voudront faire leur saison en deux mois. Là encore on n'a pas réfléchi à toutes
les conséquences ...
Voilà beaucoup de questions posées dans cette chronique.
J'espère recevoir beaucoup de lettres à ce sujet. Il serait très intéressant,
en effet, d'avoir l'opinion des membres du corps enseignant, des parents, des
chasseurs, des campeurs et aussi des hôteliers. Je remercie d'avance mes
correspondants.
J.-J. BOUSQUET,
Président du Camping-Club de France.
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