Parmi les charges qui pèsent le plus lourdement sur
l'agriculture figure l'entretien des bâtiments agricoles, qui couvrent une
superficie considérable ; aussi n'est-il pas surprenant qu'ils soient
souvent en mauvais état : toitures affaissées, portes et fenêtres
vermoulues, etc.
Il est cependant nécessaire de mettre à l'abri des
intempéries non seulement l'exploitant et sa famille, mais aussi les animaux,
les machines, les semences, les récoltes et même parfois le personnel, qui
trouve difficilement à se loger ailleurs. Il faut donc une maison d'habitation,
des écuries, des étables, des magasins, des hangars et des granges, ce qui
représente des centaines de mètres carrés de toitures, des portes, des
fenêtres, des volets, des murs, des gouttières, des chéneaux, des
canalisations. Au prix actuel des matériaux et de la main-d'œuvre, cela
représente une charge écrasante, à laquelle on ne saurait cependant se
soustraire sans en supporter rapidement les conséquences fâcheuses.
Construits bien souvent sans plan d'ensemble, ces bâtiments
ne sont pas toujours disposés très logiquement et ils obligent à des allées et venues
considérables qui entraînent des pertes de temps et de la fatigue ; la
surveillance est difficile et, quand on veut les aménager, pour y installer par
exemple l'électricité ou l'eau courante, les frais sont rendus considérables
par leur dispersion, qui multiplie les décamètres de tuyaux et de fils. S'il
est difficile de revenir sur ce qui existe, on peut cependant, parfois, avec un
peu d'imagination, arriver à regrouper les services de façon différente, à
ouvrir une porte ou un passage, à établir une cloison et à rendre plus pratique
un dispositif périmé.
Dans certains milieux agricoles audacieux, on va plus loin
et on cherche à se passer des bâtiments. On conserve, évidemment, ceux qu'on
possède, tout au moins lorsqu'ils sont en bon état, mais on s'abstient d'en
construire d'autres ou même de réfectionner ceux qui menacent ruine, préférant
garder l'argent ainsi économisé à mieux entretenir ceux qui restent, y compris
l'habitation de l'exploitant, trop souvent négligée encore à l'heure actuelle.
Les hangars pour les machines d'extérieur, dit-on, sont
inutiles et même gênants. Quand on veut y prendre un appareil, il est toujours
engagé derrière plusieurs autres qu'il faut déplacer au préalable, d'où une
perte de temps considérable. Pourquoi ne pas laisser ces machines dehors,
alignées les unes à côté des autres, parfaitement accessibles ? Faites
pour l'extérieur, elles doivent pouvoir braver les intempéries, à condition,
évidemment, de les graisser très soigneusement et de les repeindre chaque fois
que le bois ou le métal apparaît. Certaines pièces, comme les toiles des
lieuses, sont à enlever en fin de campagne, mais, même si on les gardait sous
un hangar, ce travail serait à faire.
Les grains destinés à la vente peuvent être livrés à la
coopérative dès la récolte, ce qui diminue l'importance des greniers, où il n'y
a plus à emmagasiner que les produits destinés à l'alimentation humaine ou
animale.
Les pailles, les fourrages peuvent passer l'hiver en meules,
et l'ensilage lui-même peut se faire sous cette forme. Cela entraîne un peu de
perte, mais le résultat est moins onéreux que l'entretien des bâtiments.
Les animaux, eux, n'ont pas besoin d'être enfermés et
supportent fort bien de passer une partie de leur vie au grand air. Même si
l'on fait une exception pour les vaches laitières et les animaux de trait,
qu'on peut souhaiter avoir à portée de la main pour des raisons de commodité,
il reste de nombreux animaux qu'on peut laisser dehors : animaux d'élevage
et d'engrais. Les jeunes chevaux, par exemple, et les porcs n'ont pas besoin de
bâtiments.
Peut-être y a-t-il des réserves à faire sur cette thèse,
mais il est certain qu'elle contient une part de vérité et que bien des fois on
pourrait réduire de façon appréciable l’importance des bâtiments agricoles.
C'est affaire de mesure et de climat. En tout cas, la vie au grand air vaudrait
mieux pour beaucoup d'animaux que certaines étables complètement insalubres.
Un Belge, M. Cl. Van Himbeeck, professeur de génie rural à
l'Université de Louvain, a eu, lui, une autre idée. Alors que les bâtiments
agricoles n'ont, en général, qu'un rez-de-chaussée et qu'un étage, il les
réunit en un bloc à plusieurs étages, attenant à la maison d'habitation. De
cette façon, il réalise une économie de construction de l'ordre de 40 pour 100
et il rend l'aménagement et la surveillance beaucoup plus faciles ; il
réduit aussi les frais d'entretien.
L'idée est originale, et, même si certaines dispositions de
son projet : vacherie au premier étage au-dessus du fumier, par exemple,
peuvent prêter à discussion, elle ne saurait être écartée a priori.
Elle ne concerne toutefois que les installations nouvelles,
alors que dans la plupart des exploitations les bâtiments existent déjà, dont
il importe de tirer le meilleur parti. Mais elle contient une idée essentielle,
qui est la concentration des bâtiments indispensable pour permettre une
meilleure organisation du travail et une réduction des frais de tous ordres.
Elle facilite ainsi l'aménagement intérieur des bâtiments, ce qui est une
nécessité de notre époque. À la campagne comme à la ville, il faut que
s'installe le confort moderne. L'électricité, l'eau courante, le gaz sous
pression, le frigorifique, la radio et le téléphone y sont devenus aussi
indispensables que le tracteur, l'automobile ou la moissonneuse.
Peu de bâtiments, mais des bâtiments pratiques, bien
entretenus, bien aménagés, bien disposés, des cours propres, des chemins
empierrés, tel est le cadre de l'agriculture moderne, celui que demandent les
jeunes, à juste titre.
R. GRANDMOTFET,
Ingénieur agricole.
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