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Élevage

La saillie des juments

Dans l'espèce chevaline, l'accouplement sexuel d'un mâle et d'une femelle — étalon et jument — est désigné sous le nom de saillie dans le langage courant, plus rarement de monté, et, après exécution de l'acte, on dit encore qu'une jument a été couverte par un étalon dont on lui réservait les services.

Bien que la date officielle du début de la saison de monte soit fixée au 15 février de chaque année par l'Administration des haras, c'est surtout au cours des mois du printemps que les propriétaires sont le plus souvent appelés à prendre une décision au sujet de l'opportunité et des conditions les plus favorables pour livrer les juments à la reproduction.

Quand il s'agit de femelles régulièrement exploitées à cette intention, de véritables poulinières, n'ayant pas d'autre destination que de produire un poulain chaque année (ce qui n'est jamais une certitude !), il est admis, de l'avis général des éleveurs, que c'est le huitième ou le neuvième jour après la mise bas que la saillie a les plus grandes chances d'être fructueuse, dès le premier « saut » ou la première « rencontre », autres expressions consacrées du langage hippique. Pour celles qui n'ont pas encore été saillies ou qui ne le sont que très irrégulièrement, à des époques plus ou moins éloignées, parce que leur fonction économique n'est pas de faire des poulains, les choses ne se passent pas aussi simplement ; il devient nécessaire d'observer attentivement leur comportement et leurs dispositions psychologiques, dont les variations fourniront d’utiles renseignements pour la date la plus favorable à la présentation à l'étalon.

Si celui-ci se montre toujours disposé à pratiquer la saillie, il n'en est pas de même pour la jument, qui doit se trouver, pour que la fécondation se produise, dans un état particulier, plus ou moins apparent, plus ou moins passager, désigné sous le nom de « chaleur » ou de « rut », correspondant à la production des œufs par les ovaires (ovulation) et dont il importe grandement de savoir reconnaître les signes extérieurs. La jument en chaleur manifeste un appétit capricieux, boit plus que de coutume, se montre inquiète, agitée, hennit fréquemment ; sa sensibilité est exaltée ; au moindre attouchement sur une partie quelconque de son corps, et surtout l'arrière-main, elle témoigne de la satisfaction en accentuant le contact, qu'elle recherche comme une caresse. L'appareil génital subit des modifications très significatives ; la muqueuse de la vulve est fortement congestionnée et les lèvres, tuméfiées, se contractent à chaque instant de façon spasmodique, en faisant apparaître à leur commissure inférieure le clitoris turgescent, et en donnant écoulement, par jets saccadés, de petites quantités d'une urine blanchâtre d'une odeur très particulière.

Dans cet état, la jument, laissée en liberté, recherche le voisinage des mâles et se prête très volontiers à l'accouplement, ce qui ne veut pas dire qu'il soit indiqué dans tous les cas. Si la fonction fait l'organe, ce qui est vérité élémentaire de physiologie, la réciproque est loin d'être confirmée, et c'est une erreur grossière de croire que toutes les juments soient bonnes pour la reproduction, sous prétexte qu'elles entrent en chaleur ou qu'elles sont sous l'influence de leur sexe, ainsi qu'on dit élégamment dans le jargon hippique sportif. Celles-là seules qui en sont dignes sont celles qui possèdent, au même titre que l'étalon auquel elles doivent être accouplées, et autant que possible à un degré équivalent, les beautés, les qualités, les caractères de race que l'on ambitionne d'obtenir chez le produit. Pendant trop longtemps, en élevage, la tradition, plus que de bonnes raisons, a démesurément grossi le pouvoir de l'étalon par rapport à celui de la jument. Au point de vue général, cette influence ne saurait être mise en doute, ni discutée, la poulinière ne donnant qu'un seul poulain chaque année, tandis que l'étalon peut en produire une cinquantaine environ, et son influence comme reproducteurs se trouve, de ce fait, augmentée dans la même proportion.

Mais, si l'on ne considère que le résultat à attendre de l'accouplement d'un étalon et d'une jument choisis spécialement, il n'est pas moins certain que le produit héritera à la fois, sinon également, en tout et pour tout, de son père et de sa mère, parce que, ainsi que le disait le professeur de zootechnie Sanson : « Selon la distinction établie en chimie, il est le résultat d'un mélange bien plus que d'une combinaison. »

D'autre part, environ à la même époque, pour lutter contre l'influence excessive accordée à l'étalon dans l'acte de la reproduction, M. de Sourdeval, conseiller général de la Vendée et éleveur très avisé, écrivait dans la Revue des Haras : « L'étalon ! L'étalon ! ce mot est plein d'illusions, chacun en abuse à sa manière. Il y en a, je crois, qui s'imaginent qu'un étalon est tenu de faire à lui tout seul un cheval parfait, adulte, peut-être même tout sellé et tout bridé, tandis que l'étalon, quelque merveilleux qu'il soit, ne produit que la moitié d'un poulain, de compte à demi avec une jument bonne ou mauvaise. Il peut bien remédier à quelques défauts de sa partenaire, mais non y substituer la perfection. »

Entre ces deux opinions, pourtant très autorisées, nous retiendrons surtout l'enseignement d'un vieux proverbe anglais, qui professe sagement que, pour faire un bon poulain, il faut un bon père, une bonne mère et ... un bon coffre à avoine !

Car la jument est à la base de l'élève du cheval, et sans une bonne mère; il n'y a rien à faire, quand l'étalon serait le plus beau de la terre ; et même, plus il sera beau, moins il fera bien si la jument ne vaut rien. Éleveurs, cultivateurs, sachez choisir les juments pour la reproduction : notre élevage hippique, déjà très réduit, ne doit pas être discrédité par des produits sans valeur autre que celle reconnue par la boucherie hippophagique.

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 487