Accueil  > Années 1951  > N°654 Août 1951  > Page 499 Tous droits réservés

Retour de la mission de l'île Amsterdam

La veille de Pâques, la Mission météorologique de l'île Amsterdam (1) débarquait à Marseille avec son chef, M. Paul de Martin de Vivies ; le personnel au complet était en parfait état physique et moral. Par une chance providentielle, il n’y a eu aucun accident grave, malgré le genre de travaux exécutés ; aucune maladie sérieuse, aucune appendicite, si fréquentes pourtant dans ce genre d'explorations ; et il n'y avait pas de médecin, mais seulement un infirmier.

Lorsqu'on feuillette les albums du chef de mission, on se rend compte de l'énorme effort accompli pendant treize mois, dans un îlot absolument désert et perdu, bien rarement visité par des bateaux qui, du reste, ne peuvent pas souvent aborder.

Il y eut d'abord le débarquement acrobatique et périlleux, qui fut mené à bien à force d'énergie et d'audace, bien que les gens compétents eussent prophétisé un désastre. Au seul point où les falaises s'interrompent, une minuscule jetée naturelle servit de point de débarquement. On y scella une grue et l'on établit une petite voie Decauville pour enlever le matériel à proportion. Les lourds radeaux pneumatiques (des barques eussent été infailliblement brisées sur les rochers), dangereusement balancés par les vagues, faisaient la navette entre le Sapmer et la côte ; là, les hommes, pour ainsi dire en voltige, amarraient les caisses au crochet de la grue, qui pivotait et les déposait sur les wagonnets. On se rend compte de ce que fut ce travail sous les douches continuelles des vagues qui risquaient souvent d'enlever les travailleurs. Encore ce débarquement fut-il souvent interrompu par les tempêtes, et des photographies saisissantes nous font voir la petite jetée entièrement noyée par les vagues qui ne laissent voir que le sommet de la grue. Lorsque le calme fut revenu, on trouva la voie emportée et les rails tordus ... et ce travail dura vingt-trois jours. Le débarquement terminé, il fallut transporter à la main tout le matériel (2.400 colis) plus loin dans les terres, hors d’atteinte des plus fortes tempêtes. L'emplacement du poste ayant été choisi sur un plateau à 30 mètres de hauteur, le problème de la route se posa, car il fallait que la jeep et sa remorque puissent transporter le matériel à pied d'œuvre : une barrière de rochers coupant le tracé fut supprimée à la dynamite et l'on bétonna la partie de la route qui pouvait être atteinte par la mer. Désormais la jeep pouvait reculer jusqu'à la grue et recevoir directement le matériel. Restait alors à monter les baraquements préfabriqués, ce qui, naturellement, fut assez long, et ce n’est que le 1er mai que la mission put quitter l'abri très relatif des tentes.

Lorsqu'on examine les vues du poste, ses six baraquements bien alignés autour du mât où flotte le drapeau, lorsqu'on voit les intérieurs aménagés presque luxueusement : infirmerie, boulangerie, cuisine, réfectoire, chambres individuelles, météo, radio, ateliers, etc., on saisit le travail réalisé depuis le village de caisses et de matériel, bien aligné près de la côte, et le superbe poste complètement terminé.

D'autres photographies nous montrent l'arrivée de la relève, que l'on a fêtée, en arborant le grand pavois sur le mât aux signaux, son débarquement, enfin le départ de la mission dont les membres, groupés sur le pont du bateau, agitent leur mouchoir en adieu aux camarades à qui ils ont passé le flambeau et regardent s'éloigner peu à peu île dont la sombre silhouette s'encapuchonne de nuages.

Des éléphants de mer, des otaries, des pingouins, spectateurs indifférents des travaux, étaient les seuls habitants de l'île : les premiers, énormes bêtes qui atteignent deux tonnes, rampent péniblement et passent à dormir sur le sable tout le temps qu'ils restent à terre. Lorsqu'on les provoque, ils se contentent d'ouvrir une énorme gueule hérissée de dents effrayantes en poussant de vagues grognements. Quand ils se dressent sur leurs nageoires, leur hauteur dépasse celle d'un homme. Les otaries, à la jolie fourrure, beaucoup plus petites et beaucoup plus lestes, progressant par bonds, escaladent facilement les rochers, et il faut être assez leste pour s'enfuir quand on les a irritées. Quant aux petits pingouins, aux belles aigrettes latérales jaune vif, encombrants et stupides, ils supportent avec leur placidité habituelle les taquineries qu'on leur inflige. A une certaine époque, ils disparaissent mystérieusement et on ne les retrouve ni au pôle Sud ni ailleurs. Ils reviennent pour pondre sur des rockeries en haut des falaises inaccessibles, qu'ils abordent par mer et qu'ils escaladent fort adroitement en s'aidant de leur bec.

Les îles australes ayant été déclarées parc national, les membres de la mission ont toujours respecté ces divers animaux. Quant aux bœufs (environ un millier), et dont l'origine est discutée, ils n'ont de sauvage que le nom et venaient s'abriter des grands vents derrière les baraquements. Seuls les taureaux sont dangereux lorsqu'ils sont cernés. Ceux-ci, étant en surnombre, sont abattus au fusil suivant les besoins et constituent une réserve de viande fraîche des plus utile. Notons encore que la mission avait constitué des jardins potagers dans des dépressions à l'abri du vent et où elle avait transporté de la terre végétale, assez rare d'ailleurs. Tous les légumes y venaient magnifiquement pendant la belle saison et remplaçaient avantageusement les conserves. Les langoustes, qui foisonnent, constituaient un régal apprécié lorsque l'état de la mer permettait l'accès au rivage ... et qu'on avait le temps.

Tout bien considéré, la bonne santé de la mission est due au travail intensif qu'elle a dû fournir en plein air et à l'hygiène qu'elle a observée. Le climat est, du reste, tempéré (de + 4 à + 22) et serait agréable, n'étaient les vents violents qui règnent en permanence et atteignent parfois 200 kilomètres à l'heure. Si les grains sont assez fréquents, la sécheresse menace parfois pendant la belle saison de tarir les citernes naturelles qui fournissent l'eau à la mission. On pourrait du reste capter les petits lacs qui parsèment l'ancien cratère constituant le sommet de l'île.

On ne peut que souhaiter à la nouvelle équipe de pouvoir continuer dans des conditions aussi satisfaisantes l'oeuvre qui a été si bien commencée.

Paul PAQUIER,

abonné.

(1) Voir Le Chasseur Français de décembre 1950.

Le Chasseur Français N°654 Août 1951 Page 499