Le terme de physionoscopie désigne la science anthropobiologique
— de l'homme vivant et bien portant — se proposant de tirer des conclusions
psychologiques de caractère, d'aptitude et de tempérament en analysant et
étudiant les formes et aspects du soma, c'est-à-dire de l'ensemble
extérieur du corps, soit tête, tronc et membres.
Ces notions sont très loin d'être nouvelles, car on en
retrouve des mentions dès la plus haute antiquité avec Galien et Hippocrate,
qui en avaient donné des bases empiriques mais découvertes par de longues
observations. Le premier avait distingué des tempéraments pituitaires, bilieux,
mélancoliques et sanguins ; le second avait eu recours à une tout autre
classification, moins abstraite : en les rapprochant des quatre éléments :
air, terre, eau et feu, il avait distingué les tempéraments « complémentaires »
des éléments, soit froid, chaud, humide et sec.
Ces classifications, bien qu'ayant des bases solides,
restaient quelque peu arbitraires ou au moins artificielles. Les savants
modernes, à la suite de Sigaud, et plus spécialement le professeur G. Neuroi, les
ont repris en leur donnant des caractéristiques et des définitions purement
scientifiques.
Ils distinguent en effet quatre tempéraments :
respiratoire, nutritif, musculaire et cérébral. Ceux-ci sont définis par la
prééminence de la respiration (poumons), de l'assimilation (estomac), de
l'action (muscles) et enfin de la cérébralité (cerveau).
Il ne faut pas en conclure que les humains correspondant à
ces classifications possèdent ces qualités d'une manière exclusive et absolue.
Ils ont simplement des prédestinations, des tempéraments et des tendances.
Ces catégories ont été étudiées d'une façon très
méticuleuse, et tout particulièrement au point de vue statistique. Par rapport
à une population donnée, les proportions sont très loin d'être uniformes.
Ces proportions varient non seulement avec chaque nation,
mais même dans chaque province, et elles sont très différentes dans les villes
et à la campagne.
En France, pour l'ensemble de la population, elles
représentent des pourcentages respectifs de : respiratoires 30 p. 100,
nutritifs 14 p. 100, musculaires 47 p. 100 et cérébraux 9 p. 100.
Il est difficile de prétendre établir une véritable
hiérarchie de ces divers groupes en valeur absolue. Tout est fonction de
l'activité actuelle de l'individu considéré. Pour comprendre ce point de vue,
il suffit de considérer qu'un magnifique cheval de course, représentant une
valeur d'une quinzaine de millions, ne présente cependant aucun intérêt pour un
agriculteur ayant besoin d'un animal de trait pour ses labours. Inversement, un
puissant percheron, parfait pour les plus lourdes tractions, ne présente aucune
utilité pour un jockey. Il en est de même dans les activités humaines : un
pur cérébral fera un mauvais docker, et un musculaire sera un piteux comptable.
Toutefois il y a le point de vue du biologiste qui, se
basant sur des observations précises, autorise l'établissement d'une doctrine.
L'enfant qui vient de naître est d'abord uniquement un
respiratoire, il peut attendre deux ou trois jours sans rien manger ou boire,
mais il décède au maximum en cinq minutes s'il ne respire pas. Après avoir été
uniquement un « respiratoire », puis un « nutritif »,
l'enfant, vers deux ans, commence son stade « musculaire ». Ce n'est
que beaucoup plus tard, après la période de la puberté, qu'il deviendra un « cérébral ».
Il s'agit là d'un fait dépassant le cadre de la seule
observation. Il existe, en effet, une grande loi biologique indiquant que, pour
atteindre son plein développement d'adulte, « l'homme récapitule deux fois
ses formes ancestrales ». En termes scientifiques, on dit : « L'ontogénie
rejoint la philogénie. »
Pendant sa vie foetale, le fœtus récapitule les formes zoologiques
primaires des animaux de la lignée aboutissant à l'homme. Jusqu'au moment de la
naissance, le futur enfant vit d'une manière aquatique dans les « eaux »
amniotiques, et ses futurs poumons travaillent à la manière des branchies.
A partir du moment de la naissance, il se produit une
seconde récapitulation, et celle-ci concerne les races primordiales, puis
primitives — aujourd'hui disparues — de la préhistoire et de la protohistoire.
Puis il termine en présentant en raccourci une fresque de l'évolution humaine
des temps historiques.
Un fait subsiste, c'est que les fouilles anthropologiques
démontrent que les races très primitives n'eurent jamais de types cérébraux. De
même, les types des squelettes exhumés se trouvent selon les âges successifs en
correspondance avec la progression et la survenance des diverses catégories. Pour
établir une diagnose, on étudie l'aspect général d'un corps pour commencer, et
on continue par des examens de détail : d'abord de la physionomie et
ensuite du corps proprement dit, c'est-à-dire du tronc avec ses membres.
Ces examens sont très simples et ne demandent aucune mensuration.
Le spécialiste les réalise même d'une façon constante sur le vu d'une simple
photographie. Le cas le plus usuel en la matière concerne l'identité
judiciaire, pour aider à la recherche des malfaiteurs en fuite.
Dans ces examens, au naturel ou sur document, on divise la
tête en trois zones superposées, séparées par deux lignes imaginaires passant
respectivement par les sourcils et la base du nez. On définit ainsi trois
secteurs : frontal, nasal et bucal. Le second est toujours le plus large.
A son tour, le corps est également divisé en trois régions : thoracique, ventrale
et jambique.
Le respiratoire.
— Dans ce type, le contour du visage est ovale ou losangé
s'il s'agit de quelqu'un de maigre et osseux. La zone nasale est la plus
grande. Le buste et le thorax sont très développés au-dessus de la ceinture,
les épaules sont larges et les bras décollés. Cela figure l'aspect inverse du
musculaire. Chez lui, tout est le reflet d'une respiration ample et abondante.
La taille est un peu étroite et les hanches sont effacées ;
le flanc est court avec deux centimètres mesurant la distance des dernières
côtes à l'os iliaque.
Chez la femme, les seins sont petits et attachés haut. Le
bassin étroit donne toujours un aspect virginal.
Dans la statuaire antique, ce type a servi de modèle parfait.
Il se trouve particulièrement bien représenté au Musée du Louvre avec la Vénus
d'Arles, et au Musée du Vatican avec la Vénus Anadyomède. En peinture, Botticelli
l'a adopté pour son Printemps. Au Louvre encore, le Mars Borghèse est
d'un type respiratoire parfait, s'opposant au Doryphore du Vatican, et encore
plus à l'Hercule Farnèse, qui est une sorte de boule de graisse.
Psychologiquement, le respiratoire est entreprenant et enthousiaste,
mais il est aussi instable et velléitaire, il envisage de grands projets, mais
il en réalise peu et mal, faute de pouvoir et savoir estimer ses possibilités.
Il a une tendance marquée à la mégalomanie. Sa vie est saccadée,
il aime la nature et la vie au grand air, les changements et les déplacements.
L’histoire présente un type parfait de respiratoire en la personne
de François 1er, avec son instabilité sentimentale, justifiée par
ses multiples liaisons, et ses déplacements perpétuels à Chambord, Blois,
Fontainebleau, Saint Germain etc., etc.
Le nutritif.
— En France, le nutritif figure dans la statistique pour 14 p.
100. Mais au Groenland, chez les Lapons, chez les Eskimos, il atteint 90 p. 100
et même plus. En France, on le trouve surtout en Flandres ; en Normandie,
il arrive à certains endroits à la proportion de 60 p. 100.
Sa figure est extrêmement caractéristique, avec une grande
base et une forme générale de la face en trapèze. La bouche est grande, les
lèvres épaisses et la mâchoire puissante et carrée. Les joues sont plates, les
pommettes peu marquées et le front étroit.
Chez la femme, les yeux pressentent souvent un aspect bête
et même parfois bovin, avec une bouche gourmande et même désagréablement
goulue.
Le buste est en trapèze avec grande prédominance ventrale. Le
flanc est très grand et les hanches surabondantes. Le sternum est haut. La
distance entre les dernières côtes et le sommet de l'os iliaque atteints à 6
centimètres.
Chez la femme, le type est moins lourd que chez l'homme. Cependant
les seins sont situés assez bas. Les épaules sont généralement tombantes, ce
qui donne, en compensation, un décolleté harmonieux. La chute des reins est
ondulée et présente un certain charme anatomique. Mais l'ensemble reste
généralement lourd par suite de la présence d'un excès de graisse modelant les
contours jusqu'à la pesanteur.
En statuaire classique, ce type est figuré au Louvre par la
Vénus de Cnide, présentant une forme générale en amphore aux lignes fort
amples.
La psychologie du digestif est empreinte de douceur,
d'optimisme, celui du bon vivant. Souvent gourmand, il est aussi fort charnel.
Dans l'histoire, le nutritif est merveilleusement représenté par
Louis-Philippe.
Le musculaire.
— En France, ce type est de beaucoup le plus nombreux
proportionnellement, puisqu'il atteint 47 p. 100, soit près de la moitié de la
population.
Le visage présente généralement une grande harmonie avec les
3 zones égales en hauteur et très larges. Le visage affecte alors une forme
très rectangulaire dont les côtés sont à la fois parallèles et droits. Le front
est également haut et droit.
Le buste affecte aussi une forme rectangulaire avec un grand
équilibre de proportions. Aucune des 3 parties schématiques ne prédomine. Le
flanc est moyen avec 2 à 4 centimètres.
Les membres sont sans grand caractère dans les types
respiratoires et nutritifs, mais ici, chez les musculaires, ils constituent
tout au contraire des éléments prédominants de diagnose. Bras et jambes sont
très longs, et la main ouverte descend très bas sur les cuisses.
Anatomiquement, les masses musculaires sont abondantes et
fortement attachées. Le musculaire, à ce titre, est exactement l'inverse du
respiratoire. Les attaches des bras, en particulier, empiètent sur le dos et
sur la poitrine.
Chez la femme, on note souvent une tendance marquée au
virilisme, et son visage est généralement sévère, sinon dur.
Psychologiquement, le musculaire est souvent lent, mais son
caractère est fait de stabilité, de continuité, de persévérance. Sa puissance
au travail est grande ; enfin il sait toujours économiser ses forces.
Ce serait toutefois une erreur de croire que les milieux
ouvriers sont essentiellement musculaires et d'un type parfait. Bien au
contraire, les ouvriers d'usine sont d'un type musculaire fort médiocre, par
suite de leur travail au point fixe. Les simples manœuvres, les dockers, les
paysans présentent des types bien meilleurs. C'est chez les acrobates, les
sportifs, les chasseurs que l'on trouve les sujets musculaires les plus
caractérisés.
Il existe de parfaits musculaires chez les intellectuels,
tel le maréchal Lyautey, dont le visage prolongé par des cheveux en brosse
constituait un rectangle parfait.
Le cérébral.
— C'est le dernier type et aussi le plus rare. En France, en
certaines professions, le pourcentage n'atteint pas un pour mille. Inversement,
dans certaines professions libérales, il monte à 26 p. 100. Au Collège de
France, à la Recherche scientifique, parmi les professeurs de Facultés, il
atteint 73 p. 100. Il atteint 82 p. 100 dans les ordres religieux contemplatifs
et chez les poètes.
Le corps est fluet, sans être malingre. Le front est
toujours vaste et large, avec des contours cabossés. Le bas du visage est mince
et les mâchoires sans importance. L'aspect général de la face est un triangle
isocèle ayant la pointe en bas.
Historiquement, il en existe un type absolument parfait :
celui du cardinal de Richelieu dans le portrait de Philippe de Champaigne. Le
caractère triangulaire y est encore accentué par la petite barbe en pointe.
Ce type n'existe pas dans les squelettes des fouilles
préhistoriques et ne paraît même chez les Égyptiens qu'au premier millénaire
avant l'ère chrétienne.
Le cérébral indique la prédominance du cerveau et l'aptitude
essentielle à l'étude et à la spéculation intellectuelle.
Conclusion.
— Les hommes sont très rarement des types purs. L'expérience
quotidienne montre que chaque homme possède un complexe des quatre types
théoriques avec une prédominance plus ou moins forte de l'un d'entre eux. Les
anthropologues estiment que le type idéal est justement constitué par une
marque puissante de cette dominance sur un fond constitué par un mélange
harmonique et équilibré des trois autres.
Janine CACCIAGUERRA.
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