Notre vieille cavalerie française, qui s'est illustrée sur
tant de champs de batailles, a fini par disparaître peu à peu. Les transformations
de l'art de la guerre ont modifié profondément la composition de notre armée. Des
dragons d'autrefois aux casques scintillants, des cuirassiers aux plastrons
étincelants au soleil, des chasseurs à cheval aux pimpants uniformes, il ne
reste plus guère de nos jours que des soldats vêtus de kaki, coiffés d'un calot
dit de tradition, dont les couleurs évoquent vaguement les anciennes tenues de
leurs héroïques prédécesseurs. Cependant, ces nouvelles unités ont non seulement
conservé les numéros des anciens régiments, mais aussi le plus souvent leurs
coutumes, leurs refrains, etc. Les revues militaires s'efforcent, avec juste
raison, de faire connaître aux recrues le glorieux passé du 12e cuirassiers
ou du 2e d'artillerie ; c'est pourquoi il nous paraît intéressant
de retracer les fastes de nos vieux « houzards ».
Les hussards sont d'origine étrangère. Au XVIIe siècle, des
Hongrois furent enrôlés par nos rois et formèrent des troupes plus ou moins
régulières utilisées dans des combats de petite envergure. C'étaient alors des
troupiers habillés d'une étrange façon, dont la grosse moustache pendait sur la
poitrine. Leur tête était rasée, à l'exception d'un toupet de cheveux sur le
sommet du crâne. Sans chemise ni bas, recouverts d’une peau de tigre sur un
mauvais costume, ils fonçaient sur l'ennemi, le sabre haut ; c'étaient,
pour employer l'expression d'un mémorialiste du temps, des « bandits à
cheval ». Comme ces braves n'avaient point de poches, ils avaient suspendu
à leur ceinturon une sacoche de cuir, la sabretache, qui fut leur
attribut, envié d'ailleurs du reste de la « légère ».
C'est au XVIIIe siècle que furent créés les premiers
régiments de hussards. Le comte de Bercheny leva une troupe qui porta son nom
avant de devenir le glorieux 1er hussards. On raconte que le vieux
Hongrois avait fait représenter dans son château de Luzancy des portraits en
pied de ses principaux officiers. Un évêque le surprit un jour en contemplation
devant cette galerie qui lui rappelait tant d'héroïques souvenirs. « Vous
voilà, lui dit le prélat, devant vos chanoines ? — Oui, monseigneur,
repartît le grand cavalier, et ce qui m'en plaît, c'est qu'ils n'ont jamais été
à matines sans que j'y allasse ! »
En 1789, la France possédait plusieurs unités de houzards
qui sont à l'origine de certaines de nos formations actuelles : Bercheny
(1er), Chamborand (2e), Esterhazy (3e), Saxe
(4e), colonel Général (5e). La Révolution et le premier
Empire mirent sur pied de nouveaux escadrons.
Sous l'ancienne monarchie, les hussards portaient de
brillantes tenues, agrémentées de couleurs distinctives, ancêtres, en quelque
sorte, de nos insignes actuels. Le fond de Chamborand, c'est-à-dire du 2e,
était le brun marron, qu'il garda longtemps, car, si nous en croyons une
historiette, il entra en campagne, en 1914, avec la couleur qu'il avait
illustrée depuis cent cinquante ans.
Ajoutons que le système pileux de ces braves devait être
abondamment fourni, leurs tresses nouées à la hongroise servaient de
porte-monnaie et protégeaient aussi leurs propriétaires contre les coups de
sabre !
Rutilant et fort original sous l'ancienne monarchie, le costume
des hussards devint particulièrement somptueux à partir du premier Empire.
A son arrivée au Consulat, Bonaparte avait trouvé treize
régiments de hussards. Il les dota par la suite de tenues éclatantes dont nous allons
demander la description à l'érudit Frédéric Masson : « Qu’on aille donc se
dissimuler dans un gros de fantassins, avec cette pelisse et ce dolman, cette
culotte bleu de ciel à agréments blancs, sur quoi tranche le gilet rouge, comme
le portait le 1er hussards ; ou avec cette pelisse et ce dolman
marron sur le gilet et la culotte bleu de ciel du 2e ; ou,
lorsqu'on en était, ainsi qu'au 3e, tout vêtu dolman, pelisse, gilet
et culotte de drap gris argentin ! Et plus voyant encore le 4e avec
le dolman et la culotte bleu national, la pelisse écarlate à tresses jaunes et
le gilet blanc, le 5e, avec la pelisse blanche aux tresses citron,
le dolman écarlate et la culotte bleu céleste ; le 6e,
inversant les couleurs du 4e ; le 7e, pelisse et
dolman vert impérial, culotte et gilet écarlates ; le 8e, presque
semblable, mais avec les tresses blanches au lieu de Jonquille ; le 9e,
bleu de ciel relevé par le jonquille des tresses et l'écarlate du dolman ;
le 10e, bleu de ciel entièrement avec les tresses blanches, et le 11e
bleu foncé avec de l'écarlate au collet et aux parements et du jaune aux
tresses. Et ce n'est pas assez : voici, sur la tête, le shako noir à
plumet démesuré ; voici, battant à la jambe, la sabretache de cuir noir,
et, aux reins, voici la ceinture cramoisie à olives blanches ou jaunes. Un
homme en tel costume, même sans l’énorme colback de la compagnie d'élite, était
contraint d'être brave ... » Les hussards d'ailleurs inscrivirent à leurs
étendards bon nombre de victoires !
Nous citerons, à ce sujet, une seule anecdote publiée par un
excellent historien de la cavalerie française, le capitaine Choppin. La veille
de la bataille de Lutzen, en 1813, Napoléon passa en revue le 10e régiment
de hussards, qu'il n'avait pas vu depuis 1808. En témoignage de sa
satisfaction, il donna à cette unité vingt-cinq croix de la Légion d'honneur,
en exceptant de cette distribution les officiers. L'adjudant-major fit
immédiatement sortir des rangs les sujets dignes de recevoir cette distinction,
puis, après avoir fait ouvrir le ban par un trompette, il les proclama
légionnaires. A l'appel du soir, après le tragique combat, on ne trouva plus
dans les rangs que cinq des nouveaux décorés : vingt autres gisaient
étendus sur la plaine après avoir vaillamment fait leur devoir ...
La Restauration et le gouvernement de Louis-Philippe
conservèrent soigneusement les traditions de nos hussards, qui étaient encore,
après le premier Empire, recrutés principalement dans les pays de langue
allemande. Les littérateurs chantent à l'envi ce soldat déluré, bourreau des
cœurs, casseur d'assiettes (ceci n'était pas alors pris au figuré, car, lors de
leurs repas de corps, ces messieurs démolissaient tout !). En 1844,
d'Houdetot écrit : « Voyez cette taille de guêpe dont rien ne déguise
les contours, cette pelisse à brandebourgs encadrée de fourrures qui le drape
avec tant d'élégance ! ... Voyez cette sabretache fugitive qui semble
bondir sur ses jambes nerveuses, pour en accuser l'élasticité ! Tout est
harmonieux, y compris ce petit dandinement classique, qui imprime à sa démarche
un cachet d'individualité. » Le houzard est alors un homme heureux, fier
de sa belle tenue, mais qui sait aussi fort bien se battre : le 2e
hussards s'illustra en compagnie des chasseurs à pied au légendaire combat de Sidi
Brahim.
Peu à peu, le pimpant uniforme des vieux houzards se
modifia. En 1868, une grave revue militaire déplorait amèrement leur nouvelle
tunique bleue à brandebourgs noirs et la suppression de leur musique, si chère
aux cœurs des populations citadines. Cependant, sous le second Empire, le costume
militaire est encore fort élégant. Leur coiffure était alors le talpack,
composé d'une carcasse en carton revêtue d'une toile de coton collée à la
gomme, couverte elle-même d'un manchon de peau d'agneau frisé de couleur noire ;
ils portaient le dolman avec des tresses. C'est en cet équipage qu'ils
chargèrent au cours de la malheureuse guerre de 1870-1871.
La réorganisation de l'armée fit disparaître les
buffleteries, les chamarrures, les bonnets à poil. En 1872, les couleurs distinctives
des hussards leur sont enlevées, le 2e hussards doit abandonner le
marron, qu'il portait depuis si longtemps. Dès lors, hussards et chasseurs à
cheval portèrent, en dehors de quelques détails, le même uniforme. Le nœud
hongrois de la coiffure des houzards demeura sans doute le seul vestige d'une
tradition glorieuse et déjà ancienne.
Roger VAULTIER.
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