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Causerie juridique

Poursuite des délits de chasse

Le premier alinéa de l'article 26 de la loi du 3 mai 1844 sur la chasse porte : « Tous les délits prévus par la présente loi seront poursuivis d'office par le ministère public, sans préjudice du droit conféré aux parties lésées par l'article 182 du Code d'instruction criminelle » ; et ce dernier texte précise notamment que le tribunal correctionnel sera également saisi de la connaissance des délits de sa compétence ... « par la citation donnée directement au prévenu et aux personnes civilement responsables du délit par la partie civile ».

Du rapprochement de ces deux textes, il résulte que la partie lésée par l'effet d'un délit de chasse a toujours le droit de faire citer directement le délinquant devant le tribunal correctionnel sans avoir préalablement porté plainte ou si le ministère public, saisi par la plainte, néglige ou refuse de saisir le tribunal. C'est là un principe qui ne soulève aucune difficulté. Mais il en est autrement lorsqu'il s'agit de savoir ce qu'il faut entendre par les mots « partie lésée ». Le point de déterminer quelles sont les personnes qui peuvent se prétendre lésées par l'effet d'un délit de chasse a donné matière à de nombreuses controverses.

Avant la loi du 13 avril 1946, dont l'article 42 bis a conféré au fermier de culture le droit de chasser, on décidait généralement que le fermier auquel le droit de chasse n'était pas conféré était irrecevable à poursuivre les délinquants en raison des dommages causés aux cultures par l'effet d'actes de chasse délictueux, pour cette raison que le dommage était la conséquence du seul fait de la chasse et non du caractère délictueux de ce fait ; le fermier n'était donc en droit de poursuivre la réparation du préjudice à lui causé que par voie de citation devant la juridiction civile, juge de paix du tribunal civil. On cite plusieurs arrêts de cours d'appel qui se sont prononcés en ce sens, notamment un arrêt rendu le 3 mars 1888 par la Cour d'appel d'Amiens et un autre du 16 janvier 1900 émanant de la Cour d'appel d'Aix.

On peut se demander s'il en est encore ainsi depuis la loi du 13 avril 1946. La jurisprudence n'a pas, à notre connaissance, été saisie de la question, sans doute parce que le cas d'un fermier de culture, partie civile dans une poursuite pour délit de chasse, ne s'est jamais présenté. Tout en reconnaissant que la question est délicate, nous estimons que la jurisprudence antérieure à la loi du 13 avril 1946 devrait continuer à s'appliquer; en d'autres termes, que, sous la législation actuelle comme antérieurement, les fermiers, même jouissant du droit de chasser, ne seraient pas recevables à saisir par voie de citation directe le tribunal correctionnel de la connaissance des délits de chasse.

Si, en effet, l'article 42 bis de la loi du 13 avril 1946 confère aux fermiers le droit de chasser, elle ne leur transfère pas le droit de chasse, qui repose toujours sur la tête du propriétaire ou du locataire de la chasse. Le fermier est plutôt assimilable à un permissionnaire de chasse qu'à un locataire, et il est unanimement reconnu que l'octroi d'une permission de chasse ne confère pas à celui qui en bénéficie le droit de poursuivre les auteurs des délits de chasse.

Sur un autre point, des difficultés se sont produites ; il s'agit du cas du propriétaire qui a loué la chasse sans se réserver le droit de chasser. Dans le cas où le locataire de la chasse néglige ou refuse de poursuivre les délinquants, la propriétaire serait-il recevable à le faire ? Nous ne connaissons pas de décisions de justice sur ce point. Nous estimons que, même en ce cas, le propriétaire serait recevable à poursuivre : en effet, le propriétaire, bien que n'ayant pas, jusqu'à la fin du bail de chasse, le droit de chasser, peut subir un préjudice par l'effet des délits de chasse, s'il peut en résulter qu'après l'expiration du bail il trouve sa propriété démunie de gibier ou n'ayant qu'un cheptel très réduit. Pourtant, si c'est en raison d'une transaction intervenue entre le délinquant et le bénéficiaire du bail de chasse que ce dernier n'exerce pas de poursuites, le propriétaire serait irrecevable à agir, la transaction ayant pour effet de mettre obstacle à la poursuite tant au regard du propriétaire que du locataire de la chasse.

On discutait autrefois le point de savoir si les associations constituées en vue de la répression du braconnage avaient le droit de poursuite, bien que n'ayant pas le droit de chasse : la négative avait été admise par un arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 1923. Mais la thèse contraire a fini par prévaloir. On considère notamment les sociétés départementales des chasseurs, dont l'objet essentiel est la lutte contre le braconnage et la conservation du gibier, comme habilitées à poursuivre les délinquants à défaut, par les propriétaires ou locataires de chasse, de le faire.

Paul COLIN,

docteur en droit,
Avocat honoraire à la Cour d'appel de Paris.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 514