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Une chasse au renard

Beaucoup de chasseurs méprisent le renard ; ce n'est pas, disent-ils, un animal à chasser à courre ; sa voie est tellement forte qu'il n'essaie pas de ruser, et la seule défense qu'il peut employer est de gagner son terrier, rendant ainsi la prise impossible sans qu'il y ait pour cela faute des chiens ou des hommes. Cette opinion n'est pas la nôtre ; le renard peut être classé animal de vénerie, et sa chasse, comme toutes les chasses, présente des difficultés et des attraits qui rendent son courre aussi passionnant qu'un autre, surtout pour les petites meutes et les veneurs modestes.

Du reste, avant guerre — et maintenant aussi, — il était chassé par des fanatiques et leur procurait du bon sport. C'est l'ultime ressource des petits vautraits quand manquent les bêtes noires, et les bons chiens de sanglier le chassent d'amitié et avec quel enthousiasme.

Personnellement nous y avons pris grand plaisir, et je ne compte plus les beaux parcours que nous avons faits aux trousses du matois, dans un pays qui semblait avoir été créé pour cela, il faut bien le reconnaître.

Je me souviens tout particulièrement d'une chasse se déroulant il y a déjà bien longtemps, puisqu'elle remonte à vingt-cinq ans, à une époque où nous chassions le lièvre à courre.

Déjà plusieurs fois, et sans nous occuper du prétendu danger qu'il y aurait de gâter le nez des chiens de lièvre en chassant des renards, nous en avions attaqué et même pris, sans que pour cela nos toutous chassent plus mal ou mieux leur animal habituel.

Or, par une journée de mars où nous avions trotté assez longtemps sans rien rencontrer, nous avions décidé, en désespoir de cause, de fouler une grande enceinte très fourrée, petit taillis de mauvais bois parsemé d'importants massifs de genêts et de quelques ajoncs.

Bientôt un rapprocheur, en suivant un layon, prit une voie à la branche, entra au fourré en se récriant et fit suite au fort, entraînant ses camarades qui faisaient chorus. Pour nous, à la façon des chiens, il n'y avait pas de doute : c'était une voie de renard.

En effet, les chiens s'enfonçaient dans le fourré, faisant une très jolie musique, s'amplifiant de minute en minute, pour former bientôt un délicieux concert, sans qu'il y ait eu, en somme, de lancer, car l'animal avait dû vider sa reposée au bruit, et c'était sa voie chaude que les chiens défilaient maintenant.

Le temps n'avait cependant rien d'engageant pour des veneurs : la terre était sèche et dure, il faisait chaud et, pour comble, le vent d'est soufflait assez fort. Nous en étions encore à ce moment-là au stade de formation qui nous faisait croire dur comme fer à la malignité bien connue de ce vent redouté. Depuis, nous avons appris que les vents n'ont d'importance que lorsque l'on a manqué ... et, quand résonne l'hallali, personne ne se soucie de quel côté il ventait.

Pour l'heure, nos chiens paraissaient en souffrir, car ils chassaient assez mollement, ayant beaucoup de peine à maintenir une voie qui aurait dû être saignante. Aussi, plutôt mal que bien, ils traversent deux boqueteaux, et les voici en plaine, car l'animal a débuché. Le renseignement d'un laboureur nous apprend que le renard a une bonne demi-heure d'avance. Et nous suivons paisiblement par les chemins la meute en forlonger dans les blés.

Toujours aux petites allures, nous passons une route nationale, puis nous coupons une propriété voisine et nous arrivons très péniblement à un boqueteau d'une trentaine d'hectares un peu perdu dans la plaine. Les chiens y entrent, la voie devient meilleure et le renard est relancé. Sans hésiter il reprend la plaine en filant droit devant lui vers de nouveaux bois. Mais, là, le train change, les chiens volent littéralement et sans un balancer ; on se croirait dans la vieille Angleterre, sauf que le terrain est coulant et facile et que le bon gentleman ne risque pas la chute au passage de quelque sévère bull-finch qu'on franchit un bras en l'air en poussant son cri de chasse, suivant les meilleures traditions britanniques ...

Talonné par la meute, le renard coupe une route, gagne un ruisseau, bat l'eau un moment et entre dans un grand bois. À la suite de ces manœuvres, il a repris un peu d'avance, mais ce parcours à plein train a dû l'essouffler aussi, car maintenant il se fait battre dans une enceinte atrocement fourrée. Les chiens chassant à la queue leu leu, seul celui qui tient la tête crie un peu, et parfois quelques camarades tout au bout de la file l'accompagnent. Et, bien maintenu, notre animal débuche de nouveau.

Maintenant la chasse prend un meilleur aspect et marche dur ; un nouveau renseignement d'un suivant en auto nous signale la bête de meute passant à cinquante mètres des chiens et hallali courant. On a beau faire fi des renseignements, une semblable nouvelle vous cale supérieurement dans votre selle et fait paraître plus douce à sonner sa trompe.

Et, en effet, notre renard est pris après une très jolie fin de chasse dans un boqueteau situé tout de même à dix kilomètres du lancer et après un courre qui avait duré quatre heures dix. C'est le renard que nous avons chassé le plus longtemps.

Notre Livre de chasse porte aussi : seize chiens découplés, et les personnes présentes : sept en tout. Mais, hélas ! et c'est la mélancolie de ces vieux souvenirs, il n'en reste plus que deux : mon frère et moi.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 516