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Le tir de chasse devant les chiens

Les variétés du marais

Le mois dernier, nous avons étudié le tir du canard exclusivement devant soi, à l'instant précis de son départ. Comportement logique quand on a pour dessein de ne s'inquiéter du tir de chasse que devant la chasse naturelle, c'est-à-dire en la compagnie des chiens appropriés à la chasse devant soi.

Aujourd'hui, l'exigence des faits nous oblige à détendre un peu cette ligne de conduite, afin qu'elle épouse honnêtement les contours de la réalité.

Le canard, que le joug d'une routine sédentaire n’entraîne point à des habitudes fixes, ne se rend pas directement, comme le perdreau, à l'une des remises qu'il a coutume de regagner en cas d'alerte. Il s'éloigne, revient, fait des cercles et peut parfois vous passer à portée si quelques touffes de roseaux vous cachent tant bien que mal.

Le chasseur qui le laissera passer sous prétexte qu'il ne doit tirer qu'à l'arrêt de son chien n'est pas encore au monde ; ou, s'il a commis l'imprudence de se mêler au troupeau, c'est un modèle de renoncement trop rare pour que sa vertu exceptionnelle fasse vaciller la règle générale.

En conséquence, le tir change de catégorie et, de tir devant soi, passe accidentellement au rang de tir de battue. Autrement dit : de tir d'oiseau en plein vol venant à vous au lieu qu'on aille à lui pour le mettre à l'essor. Battue de fortune, que les circonstances vous imposent, s'écartant de la battue tout court par son tranchant dédain des apprêts et des rivalités. L'amour-propre exagéré n'y trouve pas sa place. N'ayant pour galerie que la simple nature, elle en contient tout juste ce qu'il faut pour rester en bonne intelligence avec soi-même. L'amour de la chasse y prime l'amour du tir, et c'est pourquoi nous en parlons.

Dans ces conditions, le canard se présente en travers, demi-travers, en pointe, ou bien vous arrive par derrière, vous passe au-dessus de la tête et file droit devant vous. Tous les rites du tir sur l'oiseau lancé sont là, qui vous permettent de l'arrêter pour toujours. Il suffit de les appliquer. La théorie le recommande sur tous les tons, le répète, le crie, sans que la pratique la désavoue.

En travers, comme nous l'avons indiqué précédemment, il est utile de tirer le canard très en avant ; mais, puisque, dans le cas présent, il s'agit d'un canard ayant atteint sa pleine vitesse, il faut tenir compte de ce fait en allongeant la correction de pointage, sans oublier que, si un faisan lancé parcourt 20 mètres à la seconde et le perdreau 22, le canard en abat 36 et même davantage lorsqu'un vent vigoureux s'avise de le pousser.

En plus, ce tir, pas toujours très aisé quand il a lieu sur la terre ferme, voit sa difficulté doublée, sinon triplée, par la position qu'on occupe, les trois quarts du temps, au marais. On le tente généralement, pour ne pas dire toujours, accroupi à toucher l'eau, et même en la touchant sérieusement, les pieds embourbés, prisonniers chacun dans une cellule de terre mouvante qui les enferme bien. Situation peu confortable, propre à réduire les circonvolutions du tronc, si nécessaires au mécanisme du tir de chasse à leur plus simple expression.

Il faut ajouter à cette position précaire la présence du chien, lequel doit disparaître aussi, et se tenir tranquille, pour ne point fausser la manœuvre. Sa souplesse et sa soumission exigent un développement qui ne s'acquiert point en un jour et qui nécessite une éducation spéciale, que la pratique termine petit à petit. Entorse donnée au dressage classique, servant d'exemple à ce que nous avons dit à propos du chien de plaine et du chien de marais, auquel l'intelligence doit particulièrement réserver ses faveurs.

Lorsque ces conditions sont réunies, tout va pour le mieux. Un mieux qui s'approche timidement du moins mal. Cela n'empêche cependant pas le tir en demi-travers, presque cerclant, du canard dans l'entière énergie de son vol d'être, la plupart du temps, inefficace. Pour les droitiers, l'indispensable rotation complète du tronc, surtout de droite à gauche, devient impossible, puisqu'elle ne peut s'effectuer que par une volte du pied gauche, indisponible comme on le sait.

Celui de pointe et celui de dépassement juste au-dessus de soi pâtissent beaucoup moins de cet accroupissement instable. Les occasions de les pratiquer sont d'ailleurs plus rares et ne se présentent pas si l'on est imparfaitement caché. Ils ne sont d'ailleurs pas difficiles sur des oiseaux dont le vol est rectiligne. Il suffit de les attaquer en prenant l'avance nécessaire — c'est-à-dire plus de près que de loin — à la distance voulue pour que la gerbe les rencontre à son point d'épanouissement le plus meurtrier.

Cependant, avec le canard, surgit une complication qui contient une aussi grande part de vérité que de légende. L'épais plumage de son plastron lui a valu la réputation de posséder une poitrine sur laquelle les plombs frappent sans pouvoir l'entamer.

Certes, ce renom d'invulnérabilité ne lui est pas venu tout seul ; mais sa principale origine est le tir du canard qui nage, lequel n'est point de notre sujet.

Sa cuirasse, on ne peut le nier, est d'excellente qualité ; pourtant l'exactitude voudrait qu'on ajoutât qu'elle n'est pas impénétrable. En disant cela, le souvenir passe devant nos yeux de canards tués raides à la passée, qui présentaient cependant aux plombs leur poitrine ensorcelée.

Cette remarque n’a nullement le dessein de vouloir prouver que 1'efficacité du tir en pointe ne soit pas sous la dépendance de certaines conditions.

Elle relève principalement de la distance à laquelle on tire et des numéros de plombs employés.

A la passée, la question ne se pose guère, puisque le canard est le grand objet de ce tir ; mais devant soi ! ...

A moins d'opérer dans un marais à canards, avec un chien sage et de grand éventement, on charge généralement pour le petit gibier : d'un coup de 9 et d'un coup de 7. Or, quand l'occasion se présente de tirer un canard en pointe avec ce chargement, il faut bien l'accepter et, par conséquent, s'y prendre de manière qu'il ne soit pas perdu.

On a tout avantage, dans cette circonstance, à tirer, contrairement à ce qu'on pourrait croire, le plomb le plus gros le plus près, et le plomb le plus petit le plus loin.

Ceci parce que le plus petit risque davantage, par son éparpillement, de toucher la tête ou le cou et même de casser une aile, et que le second, dont les grains sont moins nombreux, tiré de près, a plus de choc, plus de rassemblement et, par conséquent, plus de chances de percer la cuirasse, sans toutefois broyer le canard.

Après la détonation du premier coup, il n'est, bien entendu, plus question du tir en pointe ! L'oiseau monte à la verticale : c'est donc un tir en chandelle qui se présente tel que nous l'avons indiqué.

Et s'il vous a été possible de changer de cartouches ?

Cela n'influe en rien sur la situation, sinon qu'avec deux cartouches de plomb plus fort on a moins l'occasion d'atteindre la tête et le cou qui se dégagent au maximum, alors que le plastron qui les suit reste toujours, aussi coriace.

Le tir du gibier filant droit, qui vous passe en ligne horizontale au-dessus de la tête, ne se heurte à aucun obstacle matériel, puisque les plombs frappent à rebrousse plumes et pénètrent ainsi sans peine. Il n'est pas de moyen plus sûr pour atteindre le corps que de tirer devant, ce qui est aisément réalisable en tirant plus ou moins au-dessous de l'oiseau suivant la distance où il se trouve.

Quand nous aurons rappelé qu'au raffinement de ces épreuves de positions il faut adjoindre les méfaits du froid, des zéphyrs exagérés, de la pluie et de tout ce que la Providence veut bien tenir en réserve à l'intention des malheureux chasseurs, nous aurons dit le principal sur le tir du canard devant soi.

Raymond DUEZ.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 518