Trois d'entre eux m'ont fait l'honneur de fréquenter mon
jardin. Ce sont d'ailleurs nos trois espèces les plus communes en France :
le pic-vert, et les pics épeiche et épeichette.
Le premier vient nous voir assez fréquemment, mais ses
visites sont très courtes. Il habite un bois de sapins à quelques centaines de
mètres de mon jardin à vol d'oiseau, c'est bien le cas de le dire ! Et il
faut les lui voir franchir — seul ou par couple — de ce vol plongeant et
onduleux si caractéristique. Quand je l'entends de grand matin pousser cette
sorte de rire hennissant et sonore qui le distingue des deux autres espèces, je
sais que quelque chose va mal pour lui, qu'à tout le moins il aura été dérangé,
qu'on est sans doute en train d'abattre encore des sapins aux Biots, pour qu'il
vienne momentanément chercher refuge dans un enclos d'aussi petite étendue que
le mien. Et je me demande qui l'on aura dérangé avec lui. Sera-ce le tour des
ramiers que déjà, il y a quelques années, on avait réussi à éloigner de ce bois
qu'ils aiment et dont ils animent le silence de leurs perpétuels rou-cou-hous ?
Ou les draines, qui auront vu tomber peut-être les vieux sapins chargés de gui,
qui les attirent en hiver et d'où elles émigrent parfois, lorsqu'elles ont
épuisé leurs ressources sylvestres, jusqu'aux quelques touffes que leur
réserve, comme fiches de consolation, mon grand acacia rose ?
Certainement, en tout cas, son confrère, le pic épeiche, aura perdu les vieux
troncs morts auxquels il s'accroche — celui entre autres d'un arbre foudroyé
par l'orage, — pour y chasser sa provision d'insectes, ou bien, au premier
printemps, pour y tambouriner ses curieux appels à une compagne éventuelle.
Au vol, le pic-vert paraît jaune, ce qui est la couleur de
ses parties inférieures. Mais il a le dos vert avec les ailes cendrées et, sur
la tête, une belle calotte rouge qui manque à son épouse. Très tapageur, il
anime les bois qu'il fréquente et dans lesquels il niche souvent. Il aime aussi
les vergers, les grands arbres qui bordent les ruisseaux et même ceux isolés au
milieu des prairies. Plus d'une fois, à leur pied, un petit amas de copeaux et
de fragments de bois, dont la coupe nette en dit long sur la vigueur du bec qui
attaque le tronc, m'a fait chercher à mi-hauteur du fût le trou circulaire qui
sert d'entrée au nid. Le plus intéressant spectacle que m'ait procuré ce bel
oiseau fut, par un midi de juillet, de le voir descendre de l'arbre auquel il
était accroché pour étendre à terre, avec mille précautions, sur le passage
d'une colonne de fourmis, sa longue langue extensible et visqueuse et pour la
retirer toute chargée de ce gibier qu'il préfère à tout autre.
Ses deux parents, l'épeiche et l'épeichette, ont en partage,
malgré leur taille différente, le même plumage varié de noir et de blanc et la
même parure de tête du rouge le plus éclatant. Seulement ils portent
différemment cet uniforme familial ; si l'épeichette mâle a conservé la
calotte rouge du pic-vert, l'épeiche se contente d'un bandeau plus étroit,
mais, pour compenser cette déficience sans doute, on retrouve sur son
bas-ventre, comme sur celui de sa femelle, la même somptueuse couleur.
Tous deux, le grand et le petit pic — taille d'un loriot,
taille d'un moineau, — sont beaucoup plus forestiers que leur cousin pic-vert,
et il a fallu une circonstance particulière pour les amener à fréquenter
habituellement mon jardin. Cette circonstance a été la grande neige du 16 mai
1926 qui, en surchargeant les arbres déjà couverts de feuilles à cette époque
de l'année, en a mutilé irrémédiablement un grand nombre. Ce fut chez moi, en
particulier, le cas d'une terrasse plantée de marronniers roses. Pendant treize
ans, jusqu'à la guerre, des soins assidus ont prolongé leur agonie. Puis, la
guerre venue, les jardiniers mobilisés, l'irréparable s'est accompli. Une armée
d'insectes xylophages a pris possession des branches et des troncs moribonds. À
leur suite sont venus les pics et, si le plus grand, plus discret dans ses
manifestations, a passé assez longtemps inaperçu, le plus petit, beaucoup moins
sauvage et beaucoup plus criard, a signalé tout de suite sa présence, par ses
cris d'abord, qui, d'une tonalité différente, plus aigus quoique plus faibles,
ont cependant le même rythme que ceux du pic-vert. Il en est d'ailleurs
également prodigue et s'est même hasardé à creuser son nid, deux années de
suite, dans le bois de ces arbres vermoulus, tout proches de la maison, ce que
n'a jamais osé faire le très sauvage épeiche. Seulement, la seconde année, la
petite femelle épeichette, sans doute devenue veuve, a dû chercher un
compagnon. Et, bien qu'elle fût assez pourvue de voix et qu'elle eût pu comme
le torcol traduire par ses cris son ardeur amoureuse, ce n'est pas ainsi
qu'elle a procédé. Mais, comme toute la tribu des épeiches, grandes et petites,
en de semblables circonstances, elle a tambouriné.
C'est un bruit bien étrange et bien particulier que ce
tambourinage des pics. Le bec frappe le bois avec un rythme d'une force et
d'une rapidité telles qu'il produit une sorte de roulement dont les vibrations,
à la fois sonores et ronflantes, portent très loin, j'ai dit « frappe le
bois », et c'est bien ainsi, en effet, que j'ai entendu pour la première
fois tambouriner ma petite épeichette sur le tronc déjà endommagé d'un vieil
érable négondo. Mais, très vite, cela ne lui a plus suffi. En oiseau moderne et
ouvert au progrès, elle avait trouvé mieux. Après une tentative sur le fût de
métal de ma girouette, elle s'est cantonnée sur les antennes de la T. S. F., la
mienne et toutes celles du voisinage. Pendant des jours, nous avons pu voir et
entendre le petit oiseau, cramponné aux hautes tiges métalliques dressées sur
les toits d'alentour, les faire vibrer de toute l'énergie de son désir, jusqu'à
ce que, sa recherche enfin comblée, j'aie découvert sur le tronc d'un des vieux
marronniers, à côté de la petite femelle modestement rayée de noir et de blanc,
le petit mâle paré de sa brillante calotte rouge. Et, dès lors, plus de cris,
plus de tambourinages. Le silence a été la règle et si bien gardé que j'ai
ignoré jusqu'à l'automne qu'ils aient, cette année-là, niché dans mon jardin. À
la chute des feuilles, j'ai découvert le petit trou circulaire révélant le
domicile abandonné, où toute une petite famille avait été élevée en parfaite
sécurité.
La raréfaction du combustible pendant la guerre nous a
bientôt obligés à faire abattre nos vieux marronniers morts. Après leur
destruction définitive, le petit pic n'a jamais reparu. Jamais, non plus, je ne
l'ai vu ni entendu dans les nombreux bois de notre région. On dit qu'il préfère
les forêts de plaine. De quelle distance était-il venu jusqu'à nous ?
Le pic épeiche, au contraire, s'est, depuis que je le
connais bien, montré beaucoup plus commun dans nos bois que je ne l'aurais cru.
C'est un oiseau inquiet et un peu farouche, qui semble ennemi du tapage
habituel à ses deux autres parents. Il tambourine lui aussi, mais au fond des
bois surtout, quoiqu'il s'aventure quelquefois dans les vergers plantés de
vieux arbres, et la seule idée d'employer à cet usage les antennes de T. S. F.
le ferait, je crois bien, mourir d'horreur. Son cri : kèk, kèk,
kèk, assez fréquemment répété, est peu bruyant et passe inaperçu aux
oreilles profanes. Je l'entends toujours avec plaisir et je surveille avec
beaucoup d'intérêt les allées et venues de cet utile et sympathique personnage.
Il n'est pas rare de le découvrir accroché à un cône de pin ou de sapin, dont
il consomme les semences mûres, bien que la plus grande partie de sa nourriture
consiste, comme celle de tous les pics, en insectes nuisibles aux arbres, ce
qui leur a fait donner à tous le nom de « conservateurs des forêts ».
Lui non plus n'est jamais revenu chez moi après l'abatage des vieux
marronniers, mais je sais parfaitement où le trouver dans nos bois où il
abonde.
Tous ces pics pondent au fond de leur trou des œufs blancs,
lisses, luisants et de forme oblongue, dont la taille varie suivant celle de
l'oiseau ; ils reposent à même le fond du trou, sur la poussière de bois
et les débris d'écorce. Il est assez difficile de distinguer les œufs du pic épeichette
de ceux du torcol, à peu près de la même taille et logés semblablement dans un
trou d'arbre.
Dans un Bulletin de la Ligue française pour la protection
des oiseaux en date de juin 1924, le Dr Cathelin avait indiqué, pour
explorer les cavités profondes qu'ils affectionnent, un procédé qui est
journellement employé, paraît-il, par les chirurgiens urinaires pour les
examens de la vessie. Au moyen d'une petite lampe électrique semi-rigide,
adaptée à une pile de poche, et d'une petite glace de bazar, longue et étroite,
pourvue par l'observateur d'un manche allongé, il parvenait, après avoir
introduit l'ampoule dans la profonde demeure et en tenant la glace inclinée à
l'orifice, à en obtenir, dans cette dernière, une image renversée et à
s'assurer si elle était encore habitée et contenait des œufs ou des petits. Le
procédé s'applique à tous les nicheurs de trous, qu'il s'agisse des pics, du
torcol, de la sitelle, des mésanges ou du grimpereau. Le seul inconvénient est
que ces trous sont généralement situés à bonne hauteur et nécessitent toute une
gymnastique arboricole que je laisse à d'autres le soin de tenter.
Pierrette MAGNE.
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