Eurêka ! J'ai retrouvé ma mouche (1) ! Non sans
peine, car je suis bien distrait et susceptible d'emballement. Enfin voilà.
J'ai refait ma mouche plombée, telle que je la voyais, c'est-à-dire voir comme
voient les artistes, en imagination, et non réellement. Il faut toujours,
n'est-ce pas, un petit effort et un certain temps pour reconnaître qu'on voyait
mal. Mais, à l'épreuve, quand j'ai fait nager ma mouche : elle faisait
encore la « planche », c'est-à-dire la nage sur le dos. Encore !
direz-vous, oui, encore, mais cette fois j'ai compris. Ma première mouche ne
devait pas être comme je la voyais, comme je l'ai même dessinée de mémoire,
l'ayant perdue. Pour que la mouche nage horizontalement, dans une position naturelle,
il faut que ses poils, ceux qui imitent les trachéo-branchies de la larve,
soient au moins horizontaux. Légèrement inclinés vers le ciel est encore plus
sûr, aussi bon et plus vrai. Remarquez, en effet, qu'ainsi disposées les
barbules sont plus près de la vérité naturelle de la larve qui a ses trachéo-branchies
articulées à chaque segment de l'abdomen, au milieu et horizontalement. J'ai
regardé aussi les ailes de l'avion ... J'étais obsédé par le mouvement de
bas en haut que je désirais obtenir ... Le secret de la réussite est donc
bien simple : c'est une affaire de coups de ciseaux.
J'en ai profité pour changer un peu le montage du cerque, me
rapprochant davantage du cerque de la Sialis. Comme vous le voyez en figure 1
a, représentant la forme du cerque unique de la Sialis, en forme de carotte,
agrémenté de poils diminuant progressivement de longueur de la base à la
pointe, ce cerque rappelle assez une pointe de hackle (fig. 1 b) pour qu'on
puisse utiliser ce dernier à la place du cerque triple, plus difficile à
monter. Nous renoncerons donc à celui de l'Agrion, si nous voulons, en
considérant toutefois celui de l'Agrion comme meilleur. Pour tout le reste, le
montage est le même.
Cependant l'hameçon n°10 ordinaire est un peu court. Il est
préférable d'employer un hameçon 8 ou 7 à tige longue.
Résumons le montage de la Sialis plombée.
Matériaux.
—Hameçon n°10, 8 ou 7 à tige longue, à défaut prolonger la
hampe d'un hameçon court bien ouvert à l'aide d'un fil d'acier suivant (fig.
II) C ou C' : en C le fil d'acier coudé à angle droit faisant arrêt est
fixé par une ligature ; en C' le fil d'acier est noué. Il pourrait être
soudé, mais c'est déjà plus difficile, quoique plus pratique, étant donné qu'on
pourrait en profiter pour plomber la mouche.
Fusible 2/10, donc fin, pour alourdir (plomber) la mouche en
l'enroulant de la naissance de la courbe à l'œillet.
Hackles de ton neutre, gris, vert, verdâtre de poule coq
jeune, pic-vert, poule d'eau, râle d'eau.
Sauf pour le cerque qui doit être fait avec une pointe de
hackle de vieux coq à barbules raides, les autres plumes doivent être de
préférence à barbules souples, mais non molles.
Fil de soie ou de coton mercerisé couleur kaki et ciré.
Habillage.
— 1° Enrouler le fusible. 2° Fixer le fusible en enroulant
par-dessus le fil kaki ciré en partant de la courbe jusqu'à l'œillet et retour
à la courbe en d. Placer le cerque au commencement de la courbe, le
fixer par un tour ou deux de fil, le relever par deux tours de fil passés sous
le cerque ; placer le premier hackle, les premières barbules coïncidant
avec les premières du cerque, le fixer par un tour ou deux de fil, enrouler le
hackle en remontant vers l'œillet; arrivé à la fin du hackle f, le
maintenir en place par une pince à ressort placée à l'extrémité du hackle e,
le fixer en enroulant le fil ; placer un deuxième hackle comme indiqué
(fig. III) et recommencer, comme de d en e, jusqu'à l'anneau de
l'œillet en utilisant autant de hackles que nécessaire ; faire une tête et
le nœud final. Couper ensuite, aux ciseaux, toutes les barbules verticales et
obliques situées au-dessus et au-dessous d'un plan horizontal passant par la
hampe de l'hameçon, de façon à n'avoir que des barbules horizontales ou
légèrement obliques vers le haut. En laisser quelques-unes pour imiter les
pattes au thorax.
Pour la technique, rien de changé : pêche en mouche
noyée, travaillée, en travers, en aval, en descendant. Insister sur les bords, relâchers
lents et longs.
J'ai monté cette mouche en pensant beaucoup à la Sialis
(larve), mais sans la copier et sans l'avoir sous les yeux. Il n'est pas
inutile cependant d'avoir quelques renseignements documentaires en complément
de ce que nous avons dit au sujet de l'insecte adulte (voir Le Chasseur
Français, n° 611).
La Sialis est un insecte de l'ordre mégaloptère, famille Sialidae,
qui éclôt au printemps, d'avril à août. Sa longueur est de 10 à 13 millimètres.
La larve est aquatique et carnassière avec pattes abdominales segmentées jouant
le rôle de branchies. Comme beaucoup de larves d'éphémères, elle possède des trachéo-branchies
à chaque segment de l'abdomen. Ainsi que les Nemoures et les Perles, elle sort
de l'eau pour éclore.
Tout est bien qui finit bien. Cette petite histoire
montrera, j'espère, à nos lecteurs qu'il faut être tenace. Que le fly-maker
amateur, s'il a parfois quelques désillusions avec ses « navets »
halieutiques, a aussi de grandes joies très souvent. Avoir toujours et en tout
temps une boîte bien pleine de jolies mouches personnelles, n'est-ce pas
posséder la boîte de Pandore ? ...
P. CARRÈRE.
(1) Voir Le Chasseur Français, numéro d'août 1951.
|