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Physiologie du saumon

en mer et en rivière

Je n'ai pas l'intention de venir ici rabâcher les divers épisodes de la vie, d'ailleurs passionnante, du saumon ; les livres ne manquent pas sur ce très intéressant sujet, et même les films. Les Services scientifiques des États-Unis en ont tourné un remarquable, mais, par malheur, purement scientifique et qui ne passe pas sur nos écrans ; en revanche, un très remarquable documentaire, La Vallée des Castors, est jumelé au film Cendrillon, de Walt Disney ; La Vallée des Castors est le documentaire le plus spectaculaire qu'on puisse voir sur la question, si l'on met à part, évidemment, le documentaire strictement scientifique.

Mais un point tout nouveau vient d'être récemment éclairci sur la physiologie du saumon, grâce au professeur Fontaine, titulaire d'une des plus illustres chaires du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, celle de Claude Bernard. Le professeur Fontaine, après des recherches, qui ont duré plusieurs saisons, sur le saumon du Gave d'Oloron, recherches portant principalement sur les glandes endocrines de ce puissant migrateur, est arrivé à donner des explications particulièrement intéressantes sur certains comportements du saumon que les pêcheurs constataient sans pouvoir les expliquer.

Les particularités de la vie du saumon, c'est-à-dire son passage d'eau douce en eau salée et vice versa, sa croissance lente en eau douce et extrêmement rapide en eau salée, puis son anorexie totale (c'est-à-dire son manque d'appétit) dans sa remontée nuptiale, laissaient supposer que le saumon était un poisson dans lequel les glandes endocrines devaient avoir, à certaines époques, un fonctionnement intense. Les études du professeur Fontaine ont porté sur l'activité de ces glandes endocrines, et spécialement sur la thyroïde.

Il est un fait que les pêcheurs de saumon connaissent bien, c'est que le saumon adulte venant de la mer et remontant en rivière ne se nourrit pas ; son tube digestif est rétréci et rempli d'une sorte de glaire qui montre bien qu'il est incapable de digérer ; pendant des journées entières, un saumon restera « planqué » contre une roche du fond de la rivière, puis, d'autres jours, effectuera une longue migration, fera le « marsouin » en surface et se jettera sur le devon, la cuillère ou la mouche que le pêcheur inlassable fait passer devant lui.

Beaucoup de pêcheurs admettent que le saumon n'attaque l'appât que par colère ou agacement, ou simple réflexe, mais certainement pas pour se nourrir.

Je reviens aux recherches du professeur Fontaine. Il constata que le sang du saumon remontant les fleuves, et notamment le Gave d'Oloron, avait des teneurs en iode extrêmement élevées et, de toute façon, bien plus élevées que celles des autres poissons ; le saumon a donc en lui une importante réserve d'iode qui entre en forte proportion dans la composition de l'hormone thyroïdienne. Or la glande thyroïde est, sinon la seule, du moins une des glandes de l'activité locomotrice et de l'agressivité. Si l'on coupe la thyroïde d'un rat, il devient paresseux et inactif, et, au contraire, l'adjonction d'extraits thyroïdiens à la nourriture d'un animal particulièrement peu nerveux, tel que la tortue, augmente son activité et ses déplacements.

Les dosages dans le sang du saumon ont montré que le saumon de montée a un milieu intérieur contenant une haute teneur en hormones thyroïdes, mais que cette teneur fait l'objet d'importantes variations, la thyroïde débitant l'hormone non point de façon continue, mais par à-coups. Ceci permet déjà d'expliquer que le saumon quitte la mer pour trouver une eau douce courante, dans laquelle il pourra lutter contre le courant et satisfaire ainsi son excitation locomotrice, et, d'autre part, le fait que sa remontée a lieu d'une façon discontinue. Le saumon remonte en effet 15 ou 20 kilomètres d'une seule traite, puis est capable de rester quinze, vingt ou trente jours sous la même roche pendant une période où sa glande thyroïde le laisse tranquille.

En même temps que l'activité locomotrice, la combativité est excitée par le fonctionnement thyroïdien, et c'est ce qui explique que le saumon que sa glande thyroïde laisse en repos néglige tous les appâts qui lui passent sous le nez ; au contraire, lorsque les hormones thyroïdiennes l'excitent, il vient en surface, il s'agite, « marsouine » et il attaque les leurres qui passent sous son nez et l'irritent. Et ceci explique également que le saumon, dans cet état hyperthyroïdien et sympathicotonique qui le fait tendre à l'activité et au dynamisme, est particulièrement sensible aux influences cosmiques, comme tout animal en état général sympathicotonique ; ceci éclaire d'un jour nouveau d'une part la remontée par saccades du saumon, d'autre part son agitation certains jours ; d'un autre côté, le fait qu'il morde certains jours et pas d'autres et, enfin, la liaison de son agressivité avec les variations atmosphériques.

Un autre fait bien connu est que le saumon (plus exactement le bécard), en train de frayer est particulièrement agressif ; bien que le saumon sur les frayères ait encore une thyroxinémie assez élevée, cette agressivité sur le leurre s'explique surtout par les hormones sexuelles mâles, dont l'action dans le sens de l'incitation à l'agressivité est bien connue dans toutes les espèces. Il est facile de constater que, sur les frayères, la femelle est rarement capturée à la ligne et que au contraire, le mâle mord férocement sur les leurres passant à proximité, de même qu'il se bat avec les autres mâles qui tentent l'approche de sa femelle.

Un second point, plus complexe, a été étudié par le professeur Fontaine : c'est celui de la descente du tocan. Au printemps, le jeune tocan, avant de descendre à la mer, prend une robe argentée ; il est pris alors d'une agitation motrice très spéciale, monte en surface et se laisse entraîner par le courant vers la mer ; or on constate, à ce moment, que sa glande thyroïde est en activité intense, ce qui permet d'expliquer à la fois son accélération de croissance et son activité locomotrice ; mais, au même moment, il est curieux de constater que la teneur de son milieu intérieur est extrêmement faible en hormones thyroïdiennes. Comment s'expliquer à la fois une glande thyroïde en pleine activité et une faible teneur du sang en hormones thyroïdiennes ? C'est que le poisson est alors en état de déséquilibre, d'insuffisance hormonale, et qu'intervient une autre glands interne, l'hypophyse, qui sécrète la thyréostimuline. Or les médecins savent bien que, dans un tel cas de carence dans l'organisme d'hormones thyroïdiennes et de grande activité de l'hypophyse, l'homme devient hyperémotif et particulièrement agité ; ceci est dû à des décharges massives de thyréostimuline par l'hypophyse. La même chose se produit chez les tocans de descente et les pousse à l'agitation.

Ces phénomènes sont évidemment très complexes ; il ne nous reste qu'à remercier le professeur Fontaine d'avoir projeté une lumière nouvelle sur ces faits mystérieux et d'avoir donné des explications valables au comportement du saumon pendant certaines phases de sa vie.

En somme, le saumon, en rivière, peut être comparé à un homme que sa thyroïde rendrait par à-coups extrêmement nerveux et agressif pendant un état général de complète dépression et d'atonie.

Il est bien connu des médecins que les circonstances atmosphériques, telles qu'orage, vent du sud chaud et sec, ont une influence particulièrement active chez les hyperthyroïdiens, qu'elles rendent nerveux, irritables et agressifs. Il nous reste à transposer cette notion sur le saumon et à essayer de déterminer l'influence des facteurs externes aquatiques, tels que crues, réchauffements brusques de l'eau, sur sa sécrétion thyroïdienne pour savoir quand et comment le saumon deviendra agressif.

Et je vous souhaite d'avoir affaire, le plus souvent possible, dans vos parties de pêche, à des saumons hyperthyroïdiens.

LARTIGUE.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 536