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Femmes cyclistes

On discute fort souvent des possibilités féminines en matière cycliste.

A ceux qui prétendent que la femme n'est pas faite pour le vélo, il serait facile de répondre qu'elle n'apparaît pas plus prédisposée à certains travaux des champs ou de l'usine, qu'elle accomplit, cependant, avec vaillance.

Glaneuses, faneuses, arracheuses, porteuses, les montagnardes le sont et leurs sœurs de la plaine ne rechignent pas plus qu'elles aux besognes ingrates de la ferme, nécessitant une particulière robustesse.

Nos ouvrières d'usine accomplissent de leur côté de très pénibles tâches, sinon sous l'angle de la force pure, du moins sous celle de la résistance aux bruits, aux imperfections de l'atmosphère et des matières.

On pourrait rétorquer à cela que, dans les cas ci-dessus traités, nécessité fait loi ... Je l'admets volontiers. Mais alors ? Que ne plaignez-vous pas les villageoises (pas toujours jeunes) qui s'en vont aux lointains marchés grâce à l'usage d'une bicyclette (elle non plus pas toujours jeune ni parfaitement conditionnée) ?

J'ai rencontré, récemment, une paysanne bien cassée, vieille amie de mes parents, qui allait, panier au guidon, pédalant d'un sabot ferme :

— Tu vois, mon p'tit René, me dit-elle, j'peux plus guère, marcher ... alors, j'prends mon vélo ...

Ce n'est sans doute point pour cette raison que la Fédération française de cyclisme a organisé le 8 juillet, à Nantes, un championnat de France sur route féminin (doté, notamment, d'un maillot tricolore). Pas plus pour justifier le droit de vote de la femme à l'égal des hommes, ni celui d'être soldat lorsqu'il y a la guerre, ou d'imiter de plus en plus, jusque dans les défauts, son camarade du sexe encore plus fort qu'elle.

À l'origine du sport, la femme dut, sans doute, faire des pieds (évidemment) et des mains (bien sûr) pour être admise à courir, nager, jouer au tennis, pratiquer l'escrime, etc. ...

Grâce au basket, elle renonça au football ... Par la culotte, elle triompha du cheval ... Là n'est pas le but de mon papier, dont le thème est exclusivement cycliste.

Je disais plus haut qu'à bicyclette l'homme est encore plus fort que la femme.

Des preuves :

Coppi a couvert dans l'heure 45km,798.

Jeanine Lemaire, 38km,600.

Tous deux sont recordmen du monde avec un écart de plus de 7 kilomètres au bénéfice de l'homme.

La conformation de nos campagnes plaide, cependant, en leur faveur dès qu'il s'agit d'actionner les pédales. Leurs masses musculaires inférieures (la seconde moitié du corps) sont meilleures que les nôtres ... Elles n'ont donc pas dit leur dernier mot.

Tant mieux ... car c'est peut-être la femme (lorsque toutes sauront que leur ligne, leur sveltesse, leur physique et leur jeunesse ne peuvent être entretenus que par le vélo), c'est peut-être elle, dis-je, qui ramènera l'homme à l'effort, dont le moteur lui fait perdre le goût.

Les courses de femmes ne réunissent pas encore un nombre considérable de participantes, mais le cyclotourisme pratiqué sous la forme sportive (brevets de randonneurs des Alpes, des Pyrénées, brevets d'audax et critériums de tandems mixtes) attire parfois leur multitude.

Cela est très normal, encore qu'il serait bon que toutes les jeunes filles aient un brin couru pour savoir dignement pédaler et respirer. Dans toutes les spécialités, il n'est que d'aller à fond pour comprendre vraiment ce qu'est le sport. Il n'est pas utile de le pratiquer longtemps. Il suffit d'y avoir goûté.

Nager en suivant le vol des papillons ne signifie rien ... pas plus que si un gosse sautait à la corde en marchant ...

Le cyclotourisme, qui est l'expression vraie et durable de notre sport, devient plus facile et meilleur lorsqu'on sait ce que représente la course ...

Les jeunes personnes qui se sont alignées à Nantes, le 8 juillet, pour un premier maillot tricolore (officiel) nous ont prouvé que la femme n'évolue que lentement, si l'on veut se souvenir que la première course à elles réservée (sur vélocipède) eut lieu à Bordeaux le 1er novembre 1868. La meilleure gagna une montre en or — signe des temps ... La nôtre (celle de 1951) gagna un maillot tricolore, une médaille d'or et 10.000 francs. Chacun y trouva son compte, l'honneur avec le maillot, l'amateurisme avec un objet d'art, le profit avec quelques billets.

— Si je comprends bien, va-t-on me faire remarquer (c'est sûr), vous voudriez que toutes les femmes courent ?

Ce n'est pas cela exactement, mais j'entends que toutes les jeunes filles devraient s'y amuser d'abord ... c'est le moyen d'adorer leur bicyclette ... de créer en elle un premier amour ... auquel elles reviendront toujours, selon l'axiome.

Et puis quoi ! joue-t-on à l'homme ... ou n'y joue-t-on pas ? Le port de la culotte crée des obligations.

Mlle Churchill a bien tiré le canon pendant la guerre ... Les Danoises fument la pipe dans la meilleure société, les Suissesses le cigare, et une jeune Parisienne il n'y a pas tellement longtemps, a mis K. O. un gangster dans la rue ...

Conchita Cintron fait aussi bien que les hommes, face aux taureaux. Quant à Mme Paul Auriol, son mari doit être rudement embêté pour la précéder afin qu'elle le suive.

Chez certaines peuplades, c'est la femme qui travaille et l'homme qui se repose prématurément.

À l'Hippodrome de Longchamp (excusez-moi de la comparaison), les pouliches font florès ...

Ma petite nièce a neuf ans ... Elle roule à vélo comme Bobet ... et n'attend qu'une chose, essayer — dans sa candeur — d'aller plus vite que moi ...

Alors ? L'écart, sur l'heure, entre Fausto Coppi et Jeanine Lemaire ne correspond pas aux réalités.

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 538