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Nécessité de l'exercice corporel

Il faut se conduire selon les lois de la vie. C'est un précepte fondamental d'hygiène, et aussi de morale. Il eût été vain de le formuler avant l'ère moderne et même il y a seulement cent ans. Ignorant trop alors ce qu'est la vie, les hommes n'étaient pas à même de régler sur son évolution et ses besoins leurs façons d'agir et de penser. Non pas que la science humaine ait, de nos jours, pénétré le mystère de la vie ; nous ne savons pas encore, et nous ne saurons probablement jamais, pourquoi, par quel étrange destin et dans quel but, une infime portion de la matière terrestre s'est animée et reste animée depuis quelques milliers de siècles. Mais, si nous restons encore interdits devant ce mystérieux pourquoi, nous nous trouvons de plus en plus renseignés sur la façon dont nos fonctions organiques assurent, entretiennent et développent la vie. Grâce aux progrès de la biologie, nous savons comment, c'est-à-dire dans quelles conditions, la vie se manifeste, évolue et se maintient ; nous savons aussi dans quelles conditions elle périclite et se détruit.

Quelques lois de la vie peuvent donc se formuler avec la même assurance et la même précision, que celles de la physique et de la chimie ; d'autres ne sont que des hypothèses de grande probabilité.

L'être vivant se meut, et il a conscience de ses mouvements, ce qui le distingue nettement des objets inertes. Cette constatation d'évidence ne pouvait guère avoir de conséquences sur notre conduite tant qu'on ne savait pas que nos gestes et déplacements s'accompagnaient et résultaient de mouvements incessants qui se produisent à l'intérieur de notre corps, dans nos organes, dans nos tissus, dans nos cellules. Les atomes qui nous composent ne sont pas d'autre nature que ceux des matières inanimées ; ils sont essentiellement d'oxygène, d'hydrogène, de carbone, d'azote. Mais, loin de se stabiliser en des corps durables, ils s'agitent et s'échangent entre eux, formant des molécules qui s'édifient et se détruisent sans arrêt, tout en maintenant la structure de l'organisme. Ces mouvements moléculaires entraînent et règlent ceux des organes, poumons, cœur, tube digestif, reins et autres, et l'activité continue de ceux-ci entretient et nécessite les mouvements qu'exécutent tous nos muscles. Par réciprocité, l'activité des muscles exige, stimule, et règle l'activité, c'est-à-dire le mouvement, de tout le reste de l'organisme. Ainsi toutes les manifestations du mouvement vital sont solidaires.

Puisque la vie ne s'établit et ne dure que par les mouvements continus de tous les éléments matériels dont est constitué le corps, l'intensité de cette vie dépend de l'intensité et de la régularité des mouvements que le corps produit. Quand les mouvements se ralentissent et se raréfient, les échanges moléculaires diminuent en quantité et en qualité, ce qui correspond à un affaiblissement de la vie. En effet, dans ces cas de ralentissement fonctionnel, les tissus se nourrissent mal et s'encombrent de produits usés et toxiques ; les cellules ne se régénèrent pas ; l'organisme vieillit rapidement et devient, de plus en plus, sensible aux maladies. L'arrêt complet de tous les mouvements organiques correspond à la mort ; c'est le retour des éléments de la matière vivante à l'inertie de la matière générale.

Il faut bien savoir que nos mouvements volontaires, ceux que nous exécutons pour nous transporter de place en place et pour travailler, ont une action considérable sur la production de nos mouvements internes, des mouvements qui assurent le jeu de nos organes et les transformations de notre nourriture en matériaux vivants. Dans le repos complet, en plein sommeil, ces mouvements sont réduits au minimum, tout en se poursuivant pour assurer la respiration, la circulation et autres actions vitales essentielles. Aussitôt que les mouvements extériorisés reprennent sous forme de gestes, d'allées et venues, de travaux professionnels, la dépense d'énergie ainsi réalisée exige que les organes, cœur, poumons, tube digestif, système nerveux, foie et reins travaillent davantage, produisent plus de mouvement, et cette augmentation du travail interne dépasse dans une assez forte proportion celle du travail extériorisé. La totalité du mouvement vital se trouve réalisée aux trois quarts par le travail inconscient de nos organes et, pour le dernier quart, par le travail de nos muscles, c'est-à-dire par nos gestes et actions volontaires. Pour que ces gestes et actions aient une influence suffisante sur l'activité des organes, il faut qu'ils aient une certaine valeur, qu'ils déterminent une suffisante dépense d'énergie ; car, s'ils se réduisent à une faible activité corporelle, ils entraînent la faible activité organique, donc une importante diminution des mouvements vitaux, un affaiblissement de la vie.

Durant des millénaires, l'activité corporelle imposée à l'homme par les conditions de son existence s'est trouvée assez énergique pour imposer à tous ses organes, tissus et cellules une activité parallèle plus que suffisante. La lutte pour la vie l'obligeait à marcher, courir, lutter contre les bêtes et ses semblables ; ses muscles étaient constamment en action ; il risquait bien plus le surmenage physique que la décrépitude dans l'inertie.

Mais, depuis un siècle et demi, le progrès a soustrait de plus en plus l'homme aux efforts corporels ; les machines productrices et les engins de locomotion le libèrent de jour en jour de la nécessité de mettre ses muscles en action. Et c'est avec une grande complaisance qu'on se laisse aller à cette suppression de nos mouvements volontaires. C'est consentir aussi à la diminution de nos mouvements internes, à l'affaiblissement de notre vitalité. On viole ainsi une loi fondamentale de la vie.

Une des premières règles de conduite que doivent s'imposer les hommes modernes est donc d'accorder à leur corps une quantité suffisante d'exercice volontaire, qui remplace l'exercice obligatoire auquel leurs aïeux étaient assujettis. Cet exercice est plus agréable et plus facile à doser que l'exercice imposé par les circonstances. Il se présente sous la forme de la culture physique et des sports. Ces activités corporelles ne doivent pas être considérées comme de simples distractions dont on peut se dispenser si l'on n'a ni le goût, ni le temps de s'y livrer. Ce sont des pratiques d'indispensable hygiène, de véritables devoirs à remplir envers soi-même. À tout âge, le mouvement nous est aussi nécessaire que la nourriture.

Dr RUFFIER.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 538