La saison de football est ouverte. Bravant la canicule, sous
le soleil d'août, de jeunes hommes s'occupent à courir derrière un ballon sur
les stades de France. Naguère, l'exercice était réservé à des saisons moins brûlantes.
Le football, divinité moderne, n'admet plus que de brèves détentes. Ses adeptes
professionnels sont condamnés à le servir sans trêve. En juin, ils avouaient
leur lassitude, ils se disaient saturés, écœurés. Au championnat ont succédé,
pour les grands clubs, des tournées. « Grâce ! Grâce ! » suppliaient
les athlètes, harassés. À peine rentrés chez eux, il leur a fallu reprendre
l'entraînement. Beaucoup, par surcroît, ont connu la fatigue et les soucis d'un
déménagement. Ceux-là ont été « vendus ». Très cher le plus souvent,
précisons-le tout de suite.
Dirigeants et exécutants n'ont oublié qu'un détail, à notre
avis essentiel : c'est que le football est un jeu. M. de La Palice — grand
homme méconnu — dirait que la chose est évidente puisque ceux qui manient la
balle sont appelés des joueurs. N'ayons pas honte, pourtant, de proclamer des
vérités premières puisqu'elles sont bafouées.
Indiquons tout de suite, pour qu'on ne nous accuse pas
d'exagération et de dénigrement systématique, que nous aimons le football,
autant et plus que les autres spectacles sportifs de qualité ! Les jours
de grands matches, nous expédions notre déjeuner à des heures impossibles,
piétinons devant les guichets, attendons sur les durs gradins des populaires le
coup d'envoi et, pendant la partie, nous vibrons, hurlons et sifflons à
l'unisson des plus exaltés. Aux gens sages et pondérés qui seraient tentés de
juger déraisonnable une telle conduite, nous répondrons que cette maladie du
football est loin d'avoir, en France, atteint son paroxysme. En Angleterre, des
stades de quatre-vingt, voire de cent mille places, se révèlent parfois trop
exigus pour contenir les foules. En Italie, en Espagne, la fièvre du football
est plus intense que chez nous. Quant à l'Amérique du Sud, elle délire les
jours de rencontres capitales, et il n'est pas rare qu'un spectateur soit
frappé d'apoplexie quand son favori est battu.
Donc, nous saluons cette vogue, cette frénésie du football
comme un phénomène normal des temps modernes. Il en existe de plus dangereux et
de moins sympathiques.
Mais, dans l'excès même, il est recommandé de garder une
certaine mesure. Nous disons que les limites sont dépassées quand, pour ne
prendre que deux exemples, certains considèrent la défaite de l'équipe
française par l'équipe italienne comme un désastre national et quand on cote un
joueur habile dix, voire quinze millions. Cette dernière somme a été offerte —
et refusée — pour la cession d'Antoine Bonifaci, un garçon de dix-neuf ans.
Devant de pareilles enchères, on conçoit que les joueurs de
qualité fassent payer très cher leurs services. En additionnant salaires et
primes, on arrive à des traitements doubles ou triples de ceux d'un président
de cour d'appel ou d'un doyen de faculté.
Ne nous indignons pas trop : c'est la loi de l'offre et
de la demande qui s'impose. Pour former les trente-six équipes réparties entre
les deux divisions, il faudrait puiser dans une masse de cinq cents joueurs
robustes, alertes et possédant la technique de leur métier. Ces cinq cents
joueurs n'existent pas en France. Les meilleurs, ou les moins médiocres, sont
considérés comme des phénomènes, des merles blancs ou des moutons à cinq
pattes, dont la valeur ne saurait être surestimée. Et l'on arrive à ce résultat
paradoxal que, malgré l'accroissement des recettes, les caisses des clubs
voient augmenter leur déficit.
La solution du problème paraît simple. Au lieu de se ruiner
en se disputant les rares vedettes, au lieu de pratiquer des échanges coûteux,
les clubs seraient sages de puiser dans le vaste réservoir alimenté par les
jeunes qui jouent pour leur seul plaisir, sans quitter le domaine de leur
région. Nous aurions des équipes typiquement bretonnes, gasconnes, flamandes,
auvergnates ou provençales, avec, chacune, son caractère, son tempérament, cet
amour de la petite patrie, des couleurs, créateurs d'ardeur, d'enthousiasme.
Les formations qu'on nous présente actuellement comme les
championnes de telle ou telle ville ne sont, en réalité, que d'étranges
cocktails aux éléments hétéroclites. Veut-on la formule de l'une d'elles qui a
connu, cette année même, le succès : trois Suédois, un Argentin, des
Français recrutés en Algérie et un peu partout, le tout complété par trois gars
de la contrée. Il faut avoir de grandes facultés d'illusions pour croire qu'une
telle équipe fait honneur à sa province.
Donc il serait nécessaire de procéder à une sélection parmi
les quelque cinq cent mille amateurs qui tapent dans une balle. Les mieux
doués, physiquement et moralement, seraient instruits, entraînés, élevés graduellement
au niveau de l'équipe première. Les sacrifices financiers seraient minimes, et
on aurait la satisfaction d'avoir accompli une œuvre louable.
Oui, mais cette politique raisonnable se heurte à une
objection majeure. Il faudrait des années pour la mener à bien. Or le public
exige des résultats immédiats. En partie, il est le grand responsable de la
crise. Ce qu'il vient voir, ce n'est pas une partie agréable. Il vient voir
gagner « son » équipe. Il préfère une mêlée confuse couronnée par la
victoire de ses favoris à une belle partie qui s'achève par une défaite. Les
rencontres amicales, qui ne comportent nul enjeu concret, se disputent devant
des tribunes vides.
Il serait aisé d'illustrer par un graphique cette
constatation désolante. Nous n'aurions qu'à inscrire la courbe des recettes,
dans une grande ville dont l'équipe, il y a peu d'années, était championne de
France. Après une défaite même imméritée, le stade est déserté ! Que
survienne un succès, il se remplit, le prochain dimanche. Seul le résultat
importe.
Est-il trop tard pour remonter le courant, pour rompre avec
de fâcheuses habitudes ? Nous ne le pensons pas. Et, même si nous le
pensions, nous rappellerions la devise du taciturne : « Il n'est pas
nécessaire d'espérer pour entreprendre. »
D'abord, les clubs menacés de faillite pourraient conclure
un pacte leur interdisant de s'arracher réciproquement leurs joueurs. Ils
devraient ensuite se pencher sur leurs minimes, leurs cadets, leurs juniors,
reporter sur ces espoirs leur sollicitude.
Sur un échelon plus élevé, la Fédération devrait s'ingénier
à resserrer son calendrier, de façon que les professionnels puissent, en de
longues vacances, se reposer, se guérir de leur intoxication de football,
retrouver leur spontanéité, la joie de pratiquer leur sport.
A tous, il faudrait recommander la vertu de patience. La
maison ne sera pas remise en ordre ni en un jour, ni en une année ; un
adolescent adroit ne devient pas un virtuose en quelques semaines. Ne soyons
pas trop pressés. Acceptons les insuccès sans crier au désastre.
À un barbouilleur pressé d'acquérir gloire et fortune, un
peintre illustre lançait : « De mon temps, jeune homme, on n'arrivait
pas. »
Si, on arrive. Mais les buts ne s'atteignent pas sans effort
et persévérance. Ces buts qui, en ce qui concerne le football, ont une
importance capitale.
Jean BUZANÇAIS.
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