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La prairie temporaire

Les énormes progrès réalisés depuis le début du siècle par l'agriculture française ont surtout affecté les bonnes, ou tout au moins les moyennes terres, mais celles de médiocre qualité n'ont guère vu leurs rendements augmenter. On a passé plus facilement, en matière de céréales, de 25 à 35 ou 40 quintaux que de 6 à 10 quintaux, et, à l'heure actuelle, on rencontre, à côté de cultures à grande production, magnifiques de régularité et de propreté, des champs où les plantes adventices tendent à remplacer, sinon à étouffer, un blé ou une avoine clairsemés.

Pour améliorer ces terres, il faudrait disposer de beaucoup de fumier, de beaucoup d'engrais, travailler le sol en profondeur, utiliser des semences de choix. Mais, les terres étant pauvres, les productions sont maigres et les profits insuffisants. Il faudrait engager de gros frais d'une rentabilité incertaine, et on comprend fort bien que les exploitants ne s'y risquent pas. De toute façon, une terre ne se transforme pas du jour au lendemain, mais par un travail constant et méthodique.

Dans ces terres pauvres, les éléments naturels : acide phosphorique et potasse, manquent presque complètement, et il faut apporter à peu près tout ce dont la plante aura besoin, alors qu'en bonnes terres elle trouve sur place, sans qu'il soit besoin d'engrais, de quoi donner une récolte importante. On ne peut pas y faire grand fourrage, ce qui exclut la possibilité de disposer de quantités suffisantes d'humus et d'azote. Tout manque dans ces terres, il faut tout apporter et cela coûte cher. On ne peut pas les améliorer parce que la production est insuffisante, et celle-ci n'augmente pas parce qu'on ne peut améliorer. On tourne dans un cercle vicieux.

La terre étant incapable d'assurer des récoltes chaque année, on la laisse en jachère une année sur trois, parfois même une année sur deux, solution bien peu satisfaisante. Ou bien la jachère est travaillée, et ce sont des frais sans contrepartie de récolte, ou bien elle n'est pas travaillée, et la terre se salit, tandis que la vie microbienne se ralentit. Il y a, pendant la jachère, accumulation d'acide phosphorique et de potasse, ce qui fait dire que « la terre se repose », mais il y a déperdition de nitrates et de chaux. Il y a, en outre, perte de récolte. Le bilan de l’opération n’est guère favorable.

Une bien meilleure solution est la prairie temporaire. Elle permet de réduire la surface cultivée annuellement et, par conséquent, de concentrer sur celle-ci la totalité des moyens dont on dispose. On peut cultiver mieux, multiplier les façons, augmenter les doses d’engrais et de fumier, et même faire les frais indispensables pour avoir de bonnes semences ou des plants de pommes de terre non dégénérés.

La prairie temporaire produit du fourrage et permet de mieux nourrir un bétail plus nombreux, ce qui assurera des recettes et un supplément de fumier. On aura ainsi une production accrue avec, comme perspectives, un profit substantiel et une possibilité d'amélioration du sol. Il ne faut pas oublier, en outre, que la prairie comprendra une forte proportion de légumineuses, qui enrichiront le sol en azote, et que le défrichement, surtout si on enfouit la dernière coupe, assurera une masse d'humus importante.

Les prairies temporaires couvrent, en France, 985.000 hectares ; les départements qui en comptent le plus sont : l'Indre, l'Indre-et-Loire, le Loiret, la Vienne et l'Yonne. Elles sont constituées d'un mélange de plantes (graminées et légumineuses), trois au moins, rarement plus de huit. Les légumineuses constituent l'élément de qualité du fourrage et d'amélioration du sol. On les laisse durer, en moyenne, de cinq à six ans, parfois dix ou douze ans, en particulier dans les sols les plus médiocres.

Étant donné cette durée relativement faible, on ne fait pas pour leur création des frais aussi importants que pour les prairies naturelles. On les sème dans une céréale qui sert de protection. La première année, le développement est généralement faible, et l'exploitation ne commence guère que la deuxième année. Suivant les circonstances et les besoins, on peut les faire pâturer ou les faucher ; souvent on les fauche les deux ou trois premières années et on les laisse pâturer ensuite.

Quelques engrais augmentent la production, des scories de déphosphoration, par exemple, et de la sylvinite. Un peu d'ammonitrate, les premières années, active la végétation et favorise la constitution d'un tapis végétal plus épais.

Voici quelques types de mélanges à semer :

En terres argilo-calcaires :
Trèfle violet
Trèfle hybride
Trèfle blanc
Luzerne
Anthyllide vulnéraire
Ray-grass d’Italie
Ray-grass anglais
Fléole des prés
2 kilos.
l kg, 500.
l kg, 500.
l kg, 500.
2 kilos.
10 à 12 kilos.
10 à 12 kilos.
2 kilos.
En terres calcaires :
Sainfoin
Minette
Trèfle jaune des sables
Trèfle blanc
Ray-grass anglais
Fétuque ovine
Brome des prés
2 kilos.
2 kilos.
3 kilos.
3 kilos.
12 kilos.
5 kilos.
5 kilos.
En terres silico-argileuses :
Trèfle violet
Ray-grass anglais
Avoine élevée
Fléole des prés
8 kilos.
15 kilos.
5 kilos.
3 kilos.
Ou bien encore :
Trèfle violet
Minette
Trèfle blanc
Ray-grass anglais
Fétuque des prés
Dactyle pelotonné
6 kilos.
3 kilos.
3 kilos.
15 kilos.
6 kilos.
6 kilos.

Après le défrichement, on cultive généralement une avoine ou pomme de terre ; le terrain rentre ensuite dans l’assolement normal, cependant qu'on peut créer une autre prairie temporaire dans un autre lot de terre.

La prairie temporaire est donc un élément d'amélioration des terres et, dans bien des cas, elle a permis d'augmenter les rendements des exploitations. Elle est à préférer en toutes circonstances aux pâturages médiocres ou aux friches dont la productivité est incapable de progresser. Elle vaut mieux que la jachère et elle mérite d'être plus répandue qu'elle n'est actuellement.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 549