Nous venons de parcourir en automobile, durant un mois,
l'Afrique du Nord, de Tunis à Rabat, avec quelques pointes dans le Sud. Nous
n'avons pas la prétention d'avoir fait là un voyage d'exploration ni une
prouesse extraordinaire. Loin de là. Mais peut-être que les quelques
commentaires techniques et touristiques qui suivent pourront être utiles à
quelques usagers qui désireraient entreprendre un beau voyage sans difficultés
particulières. Cela les changera du climat — ce dernier mot pris dans le sens
le plus large — des classiques randonnées sur le continent, en France,
Belgique, Italie, Suisse, etc. Ils en tireront une belle leçon et une foule de
méditations sur l'œuvre immense accomplie par nos compatriotes de là-bas.
L'Afrique du Nord est à vingt-neuf heures de bateau du
continent et à quelques heures seulement d'avion. On peut acheminer sa voiture
par mer, accompagnée ou non.
Embarqués à Marseille vers onze heures, nous touchons Tunis
le lendemain à cinq heures de l'après-midi. Mer calme. Belle traversée,
agrémentée de repas excellents servis par la Compagnie transatlantique. Un
retard de quarante-huit heures dans le déchargement de notre voiture, dû à une
grève intempestive des dockers — ah ! ces dockers, — nous permet de prendre
contact avec Tunis en toute tranquillité. Dès les premiers pas, l'enchantement
commence. Peu de villes d'Afrique du Nord offrent, comme Tunis, un tel mélange
de l'Orient et de l'Occident. On sent l'Orient tout proche. On le respire à
pleins poumons. C'est une vie grouillante, assourdissante, toute nouvelle, qui
s'étale à nos yeux. Voici les femmes arabes tout de blanc vêtues et voilées.
Voici les petits cireurs vous offrant à chaque heure du jour et de la nuit
leurs services empressés, importuns certes, mais toujours sympathiques. Voici,
et cela est moins heureux, la nuée de mendiants sous toutes les formes et
d'éclopés en tout genre qui s'attacheront à vos pas, à vos gestes ;
véritable essaim lancinant et crasseux qui vous poursuivra partout, durant tout
votre voyage, vous faisant passer par la compassion, la fatigue, l'odieux. Que
d'heures délicieuses s'écoulent en se laissant guider par le hasard au milieu
de ces ruelles débordantes de vie, croulantes de marchandises les plus diverses
et les plus imprévues, où vendeurs, acheteurs et curieux discutent, palabrent,
crient, marchandent sans fin, comme savent le faire les disciples de Mahomet.
Seuls les souks de Fez et de Marrakech peuvent rivaliser en abondance et en
pittoresque avec ceux de Tunis. Mais il s'agit de faire le plein de notre
réservoir à essence. Agréable surprise ! L'essence nous sera débitée à
raison de 29 francs le litre. Nous la paierons 36 francs à Alger et 24 francs
seulement à Casablanca. Les usagers continentaux apprécieront de telles
largesses. Pourtant il est utile, avant de conclure, de considérer que
l'échelle des distances n'est pas du tout comparable à celle de la France. Ici,
on compte par cent kilomètres nos déplacements ; là-bas, ce sont les cinq
cents kilomètres qui donnent l'unité. On se déplace sur de longues distances
pour des motifs qui n'ont souvent rien d'impérieux : amis à rencontrer,
week-ends en montagne, bains de mer, etc.
Les routes sont belles, souvent rectilignes sur 20 ou 30
kilomètres, notamment au Maroc. Les villes ou villages sont espacés. Exemple,
sur les quelque 500 kilomètres qui séparent Fez de Marrakech, par la R.24, on
ne rencontre que deux modestes agglomérations, presque totalement indigènes :
Beni-Mellal et Kasba-Tadla. Même remarque pour les 225 kilomètres qui joignent
Oujda à Taza. Surprise également pour l'usager de se voir offrir un train de
pneumatiques neufs, livrables de suite, à des conditions avantageuses. Il est
vrai que la douane tunisienne, débonnaire comme les deux autres douanes de
notre Afrique du Nord, fatiguée de voir entrer de vieilles carcasses et
ressortir d'autres bien pourvues en gomme, a soin de relever précieusement les
numéros des enveloppes venant fouler le sol du Maghreb.
Ceci dit, nous n'avons garde d'oublier de visiter le musée
du Bardo, qui renferme des trésors d'archéologie, ni, l'après-midi, de
parcourir la route de Carthage aux ruines si curieuses, Sidi-bou-Saïd
typiquement musulmane, avec retour par La Marsa. Puis, le lendemain, départ à
la première heure pour Bône. La campagne tunisienne défile sous nos yeux.
Gourbis d'indigènes, immenses propriétés, fermes modèles, céréales, vignes.
Ici, des fellahs moissonnent à la faucille ; là, à côté, un colon est en
pleine action, juché sur une moissonneuse-lieuse-batteuse des plus modernes.
Contraste ! Comme partout, d'ailleurs, sur cette terre où la machine
dernier cri croise à chaque pas l'âne et le chameau. Deux civilisations qui se
côtoient sans se fondre nulle part : une, ancestrale et moyenâgeuse, qui
n'a pas évolué d'un pouce depuis plusieurs siècles; l'autre, frappée de
l'américanisme le plus récent.
Après Souk-el-Arba, la route devient plus accidentée. C'est
la Khoumirie. On monte à 800 mètres, en plein massif forestier, pour atteindre Aïn-Draham,
coquette station estivale. Puis la route vous descend à la mer, avec les
premières maisons de Tabarka, site admirable et port de pêche. Langoustes et
crevettes roses. Frontière algéro-tunisienne et formalités. Un brave gabelou
s'assure que nos pneumatiques n'ont pas rajeuni en route. C'est l'Algérie. Ici,
la civilisation a pénétré plus vite. La colonisation aussi. Les plaines
deviennent moins vastes, le relief plus tourmenté. La montagne tombe à pic sur
la mer, en falaises tranchées par des effondrements. Sur une profondeur de cent
kilomètres, tout au long de la côte méditerranéenne, on retrouve toute la
diversité, en plus sauvage, de la France. C'est au sein de forêts de
chênes-lièges, rappelant celles des Maures, que Bône est atteint, laissant à
gauche le mamelon boisé d'Hippone, couronné par la basilique Saint-Augustin.
Peut-on venir en Algérie sans faire connaissance avec le Sud et ses oasis ?
Biskra, la perle du désert, nous attend à cinq cents kilomètres de là, aux
confins du Sahara. En route. Chemin faisant, donnons un coup d'œil à Guelma et
à son théâtre romain si bien reconstitué. Des ombres tout de noir vêtues,
toujours voilées, glissent furtivement près de vous. Ce sont ces dames arabes.
Puis le paysage change, les montagnes vallonnées de la Medjerda vous hissent à
1.200 mètres. Le spectacle est curieux. Les villages deviennent rares et
pauvres. Un blé maigre ondule en larges vagues sous le souffle des vents. Sédrata,
Aïn-Beïda sont laissés derrière nous. Nous tombons dans Khenchela en
effervescence. C'est le grand marché. On fait halte au sein d'un océan de
turbans blancs. Ceux-ci ont remplacé les chéchias rouges du littoral. L'arabe
devient plus fier, plus distingué. On parcourt, amusé, le marché. Quelques
emplettes parfaitement inutiles. Et, 90 kilomètres plus loin, les ruines
romaines de Timgad nous accueillent sous l'ombre du massif boisé de l'Aurès,
d'où émergent les plus hauts sommets de l'Algérie, avec le Chélia (2.331
mètres). La Pompéi africaine, fondée par Trajan en l'an 100 de notre ère, est
pleine de grandeur. On va, ému et le cœur un peu serré, de découvertes en
découvertes. Encore des ruines antiques à Lambèse et, enfin, terme d'une étape
bien fatigante, mais riche en enseignements de toute sorte, Batna. Les premiers
rayons de soleil de la matinée suivante nous retrouvent déjà sur la route du
Sud. Une nouvelle féerie nous attend. Voici les caravanes de chameaux qui
remontent du désert vers les plaines plus clémentes de Constantine ou les
massifs boisés de l'Aurès. Nous sommes en juin, tout ce monde transhume. Les femmes
nomades, perchées sur leurs chameaux, voilées toujours, ainsi que les hommes
d'ailleurs, se prélassent dans une sorte de corbeille d'osier, appelée basour,
recouverte d'étoffe de laine bariolée, d'où pendent des guirlandes de pompons
multicolores. Ces défilés, pleins de majesté et de couleurs, s'écoulent sans
fin, à pas lents et comptés, par vingt, cinquante chameaux, accompagnés d'ânes
et de troupeaux de moutons et de chèvres. Sur le dos des ânes et des chameaux
sont accrochés les fagots de bois pour la cuisine, les animaux qui ne peuvent
suivre tels que poules ou agneaux, les ustensiles de cuisine, les toiles de
tentes, etc., et le reste des bipèdes : gosses, hommes, vieillards
valides, suit à pied. Toutes ces caravanes s'étirent sur plus de cent kilomètres.
La moyenne baisse, mais on ne regrette rien, tant pour nous le spectacle est
nouveau ; l'aridité de la région s'accuse de plus en plus. Relief
tourmenté, gorges profondes. Enfin première oasis et un des sites les plus
célèbres de l'Algérie : El Kantara (porte du désert), qui vous laisse une
profonde impression avec sa palmeraie et son défilé. Quarante kilomètres
encore, et soudain, au sommet du col de Sfa, apparaît, au centre d'un paysage
désertique, dans une atmosphère d'une pureté extraordinaire, Biskra et son
oasis aux 150.000 palmiers.
G. AVANDO.
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