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La médaille

de la Renaissance à nos jours.

Il n'est pas de témoin de la vie des hommes plus suggestif que la monnaie. C'est le sentiment de chacun lorsqu'il lui tombe entre les mains une pièce d'un pays étranger ou d'une époque révolue. On s'explique mal alors que la numismatique soit délaissée de nos jours ; est-ce son nom savant qui fait croire qu'il s'agit uniquement d'une science abstruse ? N'est-ce pas plutôt que la philatélie, par mode passagère, l'a détrônée ? Pourtant la collection de monnaies ou de médailles est celle qui peut le mieux satisfaire le goût de la recherche, et qui offre le plus de possibilités.

Sait-on par exemple que, dans notre sol, gisent encore des monnaies gauloises d'avant la conquête romaine, des pièces romaines, des barbares, des monnaies enfouies au moment des troubles de la féodalité, de la guerre de Cent Ans, des guerres de religion, des révolutions ? Et à quelles réflexions l'étude d'une trouvaille n'amène-t-elle pas ? C'est ainsi que M. Jean Lafaurie, bibliothécaire au Cabinet des médailles, étudiant un trésor de monnaies découvert près de Limoges, déduit de sa composition qu'il s'agit des économies d'un paysan d'un petit village du XIIIe siècle, représentant la valeur d'une douzaine de brebis ou d'un demi-arpent de terre (catalogue de l'exposition de numismatique à l'Hôtel des Monnaies, mai-juin 1951).

Cette exposition de numismatique qui consistait à juxtaposer une soixantaine de vitrines, composée chacune par un collectionneur, amateur ou professionnel, sur un sujet à son goût, montre d'ailleurs la variété des aspects sous lesquels on peut concevoir la collection. Délaissons le chapitre des monnaies, qui exige peut-être certaines connaissances d'histoire, et assez malaisé à entreprendre. La collection des médailles est à la portée de tout le monde.

La médaille est née à la Renaissance. En France, depuis Henri II, une Monnaie, installée à Paris, a frappé un nombre considérable de pièces pour commémorer les grands événements et les personnages les plus éminents de notre histoire. Or les coins, c'est-à-dire les pièces d'acier entre lesquelles elles furent frappées, ont été conservés pour la plupart. La Monnaie, à la demande des amateurs, peut refrapper des exemplaires de cette « histoire métallique ». De plus, elle continue d'éditer des médailles sur les événements et les personnages contemporains, sur les activités modernes comme le sport, ou sur les métiers et l'agriculture, ou sur les sites et les monuments, et même sur des sujets religieux. À côté de ces frappes officielles, il y a toujours eu en France une production privée de médailles, fondues notamment.

Veut-on savoir quel intérêt on peut trouver à la collection de ces pièces ? Consultons le catalogue de l'exposition de numismatique déjà mentionnée : un collectionneur prenant comme thème « la numismatique comme source de renseignements historiques » raconte toute la vie du prince impérial par le commentaire de ses médailles. Un conservateur du Musée Carnavalet reconstitue les institutions des anciens métiers parisiens au moyen de leurs jetons, petites médailles qui étaient frappées à la Monnaie. Une autre exposition montre que, si l'on agrandit par la photographie, ou si l'on examine attentivement certaines médailles du XVIIe et du XVIIIe siècle, représentant d'austères bâtiments, les quais ou les rues qui les bordent fourmillent de personnages, piétons, chaises, cavaliers, chevaux à l'abreuvoir, chiens, pêcheurs, bateliers, porteurs d'eau, campés avec une verve et une justesse de mouvements qui rappellent Jacques Callot, et cela malgré la dureté de la matière que travaillaient les artistes.

Dans une vitrine voisine, un autre collectionneur rapproche l'œuvre d'un artiste contemporain de celle de l'un des maîtres de la Renaissance. Un autre étudie la représentation du cheval dans l'œuvre de ce maître, et ailleurs les représentations d'animaux fantastiques dans certaines médailles. Plus loin, une collection développe les conséquences de la Révocation de l'Édit de Nantes. Une autre, joignant médailles aux monnaies, explique l'histoire de l'Union Française. Ailleurs, le Musée monétaire reconstitue, au moyen des coins qu'il possède, les médailles d'honneur qui étaient distribuées par Louis XIV et Louis XV aux Indiens du Canada, leurs alliés.

La médaille comme document iconographique était l'un des grands thèmes proposés. Certains l'ont traité très largement, d'autres ont pris un cadre d'investigation plus réduit. La Monnaie de Rome avait envoyé une collection formant la galerie de portraits des papes. Un numismate montrait les plus belles effigies de l'école française de médailles. Le Cabinet des médailles de Lyon exposait des médaillons des personnalités lyonnaises au XVIIe siècle. Une vitrine faisait un rapprochement amusant entre les descriptions de personnages par Saint-Simon et les effigies de ces personnes dans l'histoire métallique, la collection des médailles de la Monnaie ; sa voisine faisait le même rapprochement entre des chroniques du XIXe siècle ou contemporaines, comme le journal des Concourt ou celui de Gide, et des éditions récentes de la Monnaie : Paul Claudel, Toulouse Lautrec, Michelet, Léon Blum, Émile Zola, Francis Jammes, Max Jacob.

D'autres expositions encore rattachaient l'art de la médaille à l'histoire générale de l'art ; car la médaille, objet de curiosité ou d'attachement sentimental, est aussi, ou doit être, un objet d'art. L'art de la médaille, subtil par le côté intellectuel, voire poétique, imposé par l'accord nécessaire entre une face réaliste et un revers symbolique, ne le cède, d'autre part, à aucune autre forme d'art si l'on considère son côté plastique.

Pour parler seulement de l'école française, nous voyons dès la Renaissance la médaille illustrée par le nom prestigieux de Germain Pilon le sculpteur et ceux, moins connus du grand public, de Guillaume Dupré et de Jean Varin. Si, au XVIIe et au XVIIIe siècle, les médailleurs sont avant tout de très habiles graveurs d'acier, les maquettes d'après lesquelles ils travaillent sont l'œuvre des meilleurs peintres ou sculpteurs : Coypel, Boulongue, Bouchardon, Pajou. Il en fut de même sous l'Empire, où Lemot fit les dessins de la plupart des médailles. Le médaillon fondu fut fort à la mode chez les romantiques ; citons le plus célèbre, David d'Angers. Vers 1900, Alexandre Charpentier, Chaplain, Chapu furent les meilleurs médailleurs.

Au cours du XIXe siècle, le métier du médailleur s'était profondément transformé. Pendant plus de deux cents ans, les coins avaient été gravés directement à la main. À partir de 1850, une machine fut mise au point qui permettait de reproduire fidèlement dans l'acier une maquette modelés comme un bas-relief de sculpture. C'est à ce progrès technique que l'on a imputé l'affaiblissement de l'art de la médaille. La facilité donnée à l'artiste par la machine (car il est certainement plus facile de modeler dans une matière molle à grande dimension que de graver dans une matière dure à la dimension d'exécution) contient en elle-même le danger de donner à l'objet d'art une esthétique qui ne correspond plus à sa technique véritable. Mais il suffisait d'utiliser la machine, le tour à réduire, sans s'en rendre esclave ; considérer par exemple que l'on doit étudier une médaille dans sa véritable dimension avant de faire les maquettes définitives ; que l'on doit graver ces maquettes dans le creux après avoir modelé en relief ; que l'artiste doit retoucher lui-même les coins à l'échoppe après le travail de la machine. C'est ce qu'ont saisi quelques jeunes médailleurs qui viennent de faire faire à la médaille française un pas considérable.

Un autre danger que court l'art de la médaille, c'est d'être, consciemment ou non, considérée comme une des formes de l'art appliqué à l'industrie, et par là de cristalliser des styles ou des modes dépassés par les arts majeurs. La médaille a subi longtemps le style 1900 et plus tard le style arts décoratifs. C'est pour l'éviter que la Monnaie fait preuve en ce moment de l'esprit le plus éclectique qui soit, en confiant des commandes à des artistes de formation et de tendances très diverses. Ainsi le renouveau de la médaille française s'affirme-t-il vigoureusement de nos jours dans la production de médailleurs comme Henry Dropsy, Delamarre, Muller, Mme Guzmann, Galtié, Lay, Joly, de sculpteurs comme Belmondo, Corbin, Iché, Couturier, et même de peintres comme André Masson ou Maurice Savin.

Ceci n'a pas de l'importance seulement pour un groupe restreint d'amateurs. La médaille frappée peut être reproduite à un nombre quasiment illimité d'exemplaires. Chacun peut avoir chez lui, sous forme de médailles, une ou plusieurs œuvres des meilleurs artistes, à une époque où l'édition de l'« objet d'art » a fait faillite sur le plan artistique, et où les reproductions des sculptures des véritables artistes sont d'un prix trop élevé pour beaucoup de gens.

A ce point de vue, il faut considérer comme périmée la distinction entre la médaille d'art et la médaille dite de récompense. Ce n'est pas parce qu'elle est destinée au gagnant d'une épreuve sportive, au lauréat d'un concours .agricole ou à un vieil ouvrier qu'une médaille doit être une chose ridicule ou même désuète. Ainsi grâce à la médaille peut-on espérer voir prendre fin le divorce qui s'est prononcé, depuis de longues années, entre le grand public et l'art vivant.

DUMUSÉE.

Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 572