Célébrant cette année le cinquantenaire de sa fondation, le
Club français du griffon d'arrêt à poil dur a marqué cet événement par deux
initiatives heureuses. L'une n'intéresse que lui, l'autre doit constituer, un
exemple que les autres clubs imiteront avec profit.
La première consiste dans la décision, prise en réalité l'an
dernier sur la proposition de M. de Kermadec, mais que devait entériner
l'assemblée générale de 1951, de transformer sa désignation en y ajoutant le
nom de Korthals. Le club s'intitule donc désormais Club français du
griffon à poil dur Korthals. Apparemment ce mot ne vient que compléter
l'appellation d'une race déjà ainsi désignée par beaucoup ; mais, en
réalité, c'est bien une transformation que le club a voulu consommer, et la
nuance est d'importance telle qu'il convient de la souligner en expliquant son
véritable sens.
Tout le monde sait que le griffon d'arrêt, vieille race
continentale et internationale qui existait à peu près dans tous les pays
d'Europe sous variétés à peine distinguées suivant les lieux et les climats, a
été unifié, fixé, standardisé et grandement amélioré, au cours du dernier quart
du XIXe siècle, par l'éminent éleveur hollandais Korthals. Or ce
dernier, se défendant avec modestie d'avoir créé une race, ne voulut jamais que
son nom désignât d'autres chiens que ceux issus directement de sa propre
famille. Les clubs de griffons d'arrêt des divers pays l'admirent aussi et
firent leur la fameuse charte des griffonniers rédigée par Korthals lui-même.
Cette charte affirmait que tous les griffons d'arrêt de tous les pays
appartenaient à une même race et que, par conséquent, l'alliance des griffons
hollandais, belges, français ou allemands devait être considérée comme
orthodoxe.
Dès 1879, cependant, des éleveurs allemands, reniant cette
vérité, prétendaient que les griffons de leur pays constituaient une race
distincte, le « chien d'arrêt allemand à poil dur » (Deutsch Stichelhaar) ;
ils firent inscrire leurs produits à un livre généalogique spécial et, en
expositions, créèrent une classe à part. Afin de mettre la nature en
concordance avec leur thèse, ils s'employèrent à sélectionner surtout sur la
dureté du poil, jusqu'à faire disparaître la bourre. Néanmoins, après une
longue polémique, le 12 février 1907, un compromis fut établi et l'unité
de la race griffonne proclamée à nouveau, avec toutefois reconnaissance de la
variété Stichelhaar qu'un quart de siècle d'élevage singulier avait réussi à
fixer.
Or les éleveurs allemands, continuant leur sélection
particulière, arrivèrent bientôt à transformer leurs chiens, par quelques
infusions de poils courts, en véritables braques à poil long et très dur, ayant
fait disparaître la plupart des caractères griffons. Entre temps, un autre
groupe d'éleveurs allemands, désireux de créer une autre race nationale, conçut
le Drahthaar. Partant du principe qu'en dosant les mélanges des diverses races
de chiens d'arrêt (pointers, braques, griffons), et même d'autres chiens
réputés très mordants sur certains animaux (terriers, airedales), ou
particulièrement intelligents (caniches), on devait obtenir un chien de chasse
idéal, ils firent officiellement ce cocktail, l'accusant sur les pedigrees. Le
sérieux de leur sélection et leur persévérance leur permirent d'obtenir, en
effet, une race nouvelle, sous poil très dur, souvent plat, tout à fait
différent de la toison du griffon à poil dur, et dont les qualités, si elles ne
répondaient pas au miracle escompté, en faisaient d'excellents chiens de chasse
pratique. Peu à peu le Drahthaar supplanta le Stichelhaar en Allemagne.
Les griffonniers, soucieux de conserver leur race orthodoxe,
dont les qualités s'affirmaient de plus en plus, proscrivirent alors toute
alliance entre les deux races qui n'avaient plus rien de commun que, parfois,
par un rappel de sang griffon, une certaine ressemblance extérieure. La guerre
1914-1918 consomma la scission ; mais la fameuse charte des griffonniers
n'avait pas été reniée, non plus que la volonté de Korthals de ne désigner sous
son nom que les griffons issus de son propre élevage. C'est pourquoi le Club
français et les clubs belge et hollandais refusèrent toujours de désigner leurs
chiens « griffons Korthals ».
Or, aujourd'hui, les derniers vrais griffons Korthals sont
morts depuis un quart de siècle ; on ne saurait donc plus risquer la
confusion ; d'autre part, les Drahthaars, de plus en plus nombreux, sont
apparus en France. Leur manque d'homogénéité témoigne dans les rings des
expositions de la diversité de leurs origines ; leur aspect, pour qui veut
y prêter un peu d'attention, les éloigne incontestablement du type griffon korthalsien.
C'est en raison de ces considérations, en même temps aussi pour rendre hommage
au génial rénovateur de la race, que le Club français du griffon à poil dur a
pris la décision susdite. Logiquement, les Belges et les Hollandais se doivent
de l'imiter.
La charte des griffonniers est en effet devenue caduque.
Sans doute les pseudo-griffons allemands (et que ce mot « pseudo » ne
les diminue pas) n'ont jamais prétendu s'amalgamer au griffon korthalsien, bien
au contraire, puisqu'ils n'ont jamais renié leurs origines, qui font leur
lustre, et qu'ils entendent bien rester eux-mêmes.
Sans doute, aussi, leur aspect différent ne permet pas en
général de les confondre. Mais Beaucoup d'amateurs, ignorant les différences
fondamentales des deux races, dont certains sujets aux limites de leur standard
respectif se ressemblent parfois, sont enclins, sinon à les confondre, du moins
à se persuader qu'un cousinage très voisin les unit. Bien qu'en réalité le
Drahthaar soit bien plus un braque à poil dur qu'un griffon, dès l'instant
qu'il se présente sous des aspects griffons, dont le caractère essentiel est de
porter barbe et moustache (ce que n'ont pas les épagneuls), l'appellation « griffon
d'arrêt à poil dur » était une équivoque. Celle-ci, désormais, disparaît
et, si l'orientation du Drahthaar le fait de plus en plus se rapprocher du
griffon véritable, le griffon Korthals désignera incontestablement une race
griffonne distincte, celle des chiens fixés, régénérés, améliorés et
standardisés par Korthals, dont les disciples entendent maintenir l'oeuvre,
cultiver les principes d'élevage et la fixité des caractères physiques et
moraux, indissolubles, de la race.
La deuxième initiative du club, due à son président-mécène,
constitue une innovation fort utile.
On constate, dans toutes les races, des divergences parfois
graves dans les jugements. Tel sujet se voit ici couronné d'un certificat
d'aptitude au championnat (C. A. C.) et là nanti d'une simple mention. Beaucoup
de dirigeants de clubs le déplorent, mais ne font rien pour l'éviter. La cause
en est, évidemment, le manque de formation des juges, que nous avons déjà
stigmatisé ici. Pour essayer de remédier dans une certaine mesure à cet état de
fait regrettable, le C. F. G. P. D. avait donc organisé, à l'occasion de
l'exposition de Paris 1951, un concours spécial, en marge de toutes les classes
ordinaires, auquel avaient été conviés tous les griffons ayant obtenu un C. A.
G., au cours des deux dernières années. Un jury tripartite, composé de juges
particulièrement compétents, devait, en opérant un classement, désigner les
meilleurs sujets, mâle et femelle, pour définir le type idéal à rechercher, dont
les sujets les plus approchants mériteraient l'attribution du G. A. C.
Il va sans dire que des nuances devaient classer les
candidats champions sans, pour cela, diminuer leur valeur respective.
Néanmoins, presque tous les invités ayant répondu à l'appel (une douzaine de
chaque sexe), on a pu constater dans la gamme des classements des différences
de valeurs fort importantes, des inversions de rang confirmant le flottement de
nombreux jugements et des attributions de C. A. C. inexplicables.
La leçon qui s'en est dégagée mérite à elle seule un
développement dont amateurs et juges doivent faire leur profit. Sans
commentaire et sans publicité, la portée de cette manifestation s'avérerait
sans lendemain ; c'est pourquoi nous croirons faire oeuvre utile en lui
consacrant un article ultérieur. Il serait à souhaiter que tous les autres
clubs suivent l'exemple des griffonniers ; il en résulterait sans doute un
pas de fait vers l'unification des jugements, ou, tout au moins, une limitation
de ces divergences de vues dont font preuve tant de juges et qui déconcertent
exposants et visiteurs. L'orientation des élevages en recevrait aussi des
directives, et c'est là le but essentiel.
Mais un essai ne peut être parfait, il montre toujours des
lacunes dont les imitateurs doivent tirer profit.
Pour atteindre son but, un tel concours doit prévoir ses
moyens. Il est d'abord très important que tous les sujets conviés, dûment
choisis, y soient présents. En l'espèce, le président du C. F. G. P. D. avait
alloué une somme importante, à titre personnel, susceptible d'indemniser un bon
nombre de propriétaires de leurs frais de déplacement. A défaut de mécènes, les
clubs agiraient sagement en consacrant une somme importante à cela, au
détriment d'attributions de prix dispersés en maints autres concours.
Il serait, en outre, souhaitable que le plus grand nombre de
juges soient convoqués pour assister à ce jugement sans appel. C'est là qu'ils
apprendraient à bien juger la race. Enfin, il serait nécessaire que le jury
commente à haute voix, pour le public, les défauts et les qualités des sujets.
Pour compléter, des mensurations devraient être prises, ainsi que des
photographies sous différents aspects, et le tout devrait être publié, diffusé
par le club.
Certes, il ne faut pas attendre de telles manifestations
plus qu'elles ne peuvent rendre ; elles ne constituent qu'un timide effort
pour l'unification des jugements. Mais cette dernière revêt une telle
importance qu'il convient d'applaudir à tout ce qui peut la favoriser ; et
c'est pourquoi le Club français du griffon Korthals, ayant, une fois de plus,
montré la voie à suivre, devrait être imité et se doit de récidiver.
Jean CASTAING.
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